Relaxés en première instance, dans l’affaire de détournement des produits phytosanitaires destinés au Plan Jaxaay, Aïda Ndiongue et ses coprévenus ont comparu hier, en audience spéciale, devant la Cour d’appel. Comme en instance, les prévenus ont clamé leur innocence.
Les débats de fond, dans le cadre du procès en appel de l’affaire du présumé détournement de deniers publics relatif aux produits phytosanitaires destinés au Plan Jaxaay, ont été entamés. Pendant plusieurs tours d’horloge, Aïda Ndiongue, Abdoul Aziz Diop, Amadou Ndiaye et Madou Sall se sont évertués à établir leur innocence. Ils sont accusés d’avoir détourné des tentes, bacs à ordures et motopompes destinés au Plan Jaxaay. Un plan mis en place par le régime libéral pour venir en aide aux populations de la banlieue victimes des inondations de 2009. Selon l’accusation, des chèques respectifs de 3 milliards 789 millions 988 mille 967 francs CFA, 3 milliards 998 millions 750 mille francs CFA, 1 milliard 350 millions de francs CFA et 5 milliards de francs CFA ont été émis pour le compte d’Aïda Ndiongue, alors qu’elle n’a pas exécuté l’intégralité des marchés.
Comme en première instance, ils ont tous contesté les faits. ‘’Tout ce qu’on me reproche est archifaux. J’ai deux entreprises qui sont à mon nom et quatre autres qui appartiennent à des membres de ma famille’’, a commencé à se défendre l’ex-sénatrice. Mais elle a vite été interrompue par le président Diouf, en ces termes : ‘’Vous avez le droit de créer autant de sociétés que vous voulez, mais on veut savoir leur lien avec les marchés gagnés’’. La prévenue a répondu pour dire qu’elle ne s’est jamais cachée derrière ces entreprises pour gagner des marchés. Car elle n’est que la caution morale et financière des entreprises des membres de sa famille.
‘’Je ne dois rien à l’Etat’’
Par rapport à la livraison des matériels, elle a affirmé que tout a été réceptionné. ‘’Certains matériels sont disponibles dans mes entrepôts. Il y a 3 mois, la CREI a demandé à la DIC de procéder à la vérification et cela a été fait. J’ai gardé ces marchandises dans mes entrepôts, à la demande du ministère qui n’avait pas où les mettre’’, a-t-elle soutenu, tout en martelant qu’elle ne doit rien à l’Etat. L’avocat général a soutenu le contraire, en expliquant que sur les motopompes attribuées aux Sapeurs-pompiers, il y a une différence sur la qualité et la quantité, par rapport à la commande initiale. Pis, l’avocat général Madiaw Diaw estime que Aïda Ndiongue ne devait même pas bénéficier des marchés, puisque ses entreprises contractantes n’étaient pas en règle avec le fisc. Pour étayer ses propos, le magistrat a brandi un document, mais il s’est heurté au refus de répondre de la ‘’Lionne du Walo’’.
Lorsque le substitut a demandé à Aïda Ndiongue comment il se faisait que ses quatre sociétés obtiennent toujours des marchés, elle lui a lancé d’un ton sec : ‘’Il faut poser la question à l’autorité contractante’’. ‘’Si je dois poser une question à l’autorité contractante, je le ferai. Contentez-vous de me répondre, sinon, dites que vous n’avez pas de réponse. Mais ne me donnez pas de directives’’, lui a rétorqué le parquetier. Lorsque celui-ci est revenu à la charge pour évoquer encore le problème du fisc, Aïda Ndiongue a exprimé un ras-le-bol. ‘’Je ne peux pas vous répondre car je ne suis pas pour ces détails du fisc. Cela, je le réglerai avec eux. Je suis là pour des raisons que je ne dirai pas, car il y a des milliers d’entreprises au Sénégal et je suis la seule à être poursuivie. Je gagne des marchés depuis 1986. Donc, je peux avoir plus’’, a asséné la prévenue, tout en affirmant que l’intégralité des produits a été réceptionnée.
Irrégularités
Ce qu’a confirmé, l’agent comptable matière Amadou Ndiaye qui a déclaré à la barre que tous les articles ont été comptés à la réception. Mais il n’a pas pu convaincre le maître des poursuites intrigué également par le fait que le prévenu Abdoul Aziz Diop ait signé des ordres de paiement, or l’enquête a révélé des irrégularités, notamment sur la qualité des marchandises. Pour sa défense, l’ancien coordonnateur du Plan Jaxaay a laissé entendre que parfois, il se faisait représenter. Il a ajouté que l’agent comptable pouvait ne pas payer les ordres de paiement qu’il signait. Et qu’il n’a jamais contraint le comptable à un paiement, après refus de ce dernier. ‘’Il n’y a jamais eu de refus de paiement qui aurait conduit à une requisition forcée’’, a renchéri le comptable Amadou Ndiaye.
Sur l’attribution des marchés à des sociétés dont Aïda Ndiongue impute la paternité à ses neveux, Abdoul Aziz Diop a laissé entendre que ce n’est pas interdit par la DCMP (Direction centrale des marchés publics), pourvu que les sociétés n’aient pas les mêmes directeurs, adresse et nineas. C’est pourquoi l’avocat général a demandé à l’ancien secrétaire général du ministère de l’Habitat, Madou Sall, s’il procédait à des vérifications. « Ce n’était pas dans mon rôle de vérifier, mais à la cellule », s’est-il défendu, tout en précisant que c’est la raison pour laquelle il ignorait que toutes les entreprises appartenaient à sa coprévenue Aïda Ndiongue .
La valse des témoins
A la suite des prévenus, différents témoins ont défilé à la barre dont les neveux de Aïda Ndiongue qui gèrent les sociétés contractantes. Ils ont affirmé avoir créé les entreprises et ont soutenu qu’ils ont donné une procuration à l’ex-sénatrice. Les témoins ont reconnu avoir gagné des marchés, mais ils n’étaient pas capables de donner des explications sur la procédure de soumission, du coût des marchés et de l’exécution de ceux-ci. Le chauffeur Mamadou Diouf a affirmé avoir livré des motopompes à Guédiawaye, à Daara Djolof et Gaya, soit dans des mairies et des maisons. Il a précisé qu’il agissait sous les ordres de Abdoul Aziz Diop qui l’a reconnu à la barre. Le matériel était livré par Masseurigne Ndiongue. Le témoin Birame Sène a affirmé que sur le plan administratif, il n’y a pas eu d’irrégularités par rapport au paiement des marchés.
Aïda Ndiongue est poursuivie pour détournement de deniers publics portant sur 20 milliards de francs Cfa, escroquerie portant sur des deniers publics et faux et usage de faux et complicité. La responsable libérale est également poursuivie pour exercice illégal de commerce, car, on l’accuse de s’être présentée comme enseignante au moment des faits, or elle a démissionné de l’enseignement depuis les années 80. Abdoul Aziz Diop est poursuivi pour détournement de deniers publics, tandis que Amadou Ndiaye et Modou Sall sont accusés de complicité.
Le procès va se poursuivre avec les plaidoiries et réquistions du parquet général.