Je viens de lire avec intérêt l’interview du ministre d’Etat, Robert Sagna, paru dans Le Quotidien du mercredi 03 février 2016. Je m’en réjouis profondément, car la complexité et la complexification des questions agricoles incitent à plaider pour une pluralité des analyses. Je voudrais, pour ma part, faire observer un certain nombre d’éléments.
1) Monsieur Sagna annonce qu’on ne «pourra jamais régler définitivement l’autosuffisance si on n’emblave pas suffisamment». J’aurais nuancé ce point de vue. En effet, avant la crise de 2008, la production rizicole africaine avait augmenté en moyenne de 3,2%. La hausse des superficies emblavées y avait contribué à hauteur de 75% et celle des rendements pour 25%. Par contre, à partir de 2008, avec la massification investissements et l’incorporation d‘innovations technologiques, la production a augmenté de 5,8%, expliquée par la hausse des rendements à hauteur de 71% et celle des superficies pour 29%. Par conséquent, il est scientifiquement établi, à partir des recherches du centre du riz pour l’Afrique (AfricaRice) que le progrès technique impacte plus sur l’augmentation de la production que la hausse des superficies.
Ici au Sénégal, nous avons une approche mixte consistant à rechercher les effets synergiques entre les rendements et les emblavures pour accélérer la cadence.
2) M. Sagna affirme, et c’est à son honneur en tant qu’ancien ministre de l’agriculture, que des résultats record ont été enregistrés cette année. Toutefois, il semble attribuer tout ceci à une bonne pluviométrie. La Fao, pour sa part, dans sa publication en date du 25 janvier 2016 intitulée «Views country briefs-Sénégal» pense plutôt que c’est la bonne pluviométrie et les mesures prises par le Gouvernement qui expliquent les performances notées et saluées. Je suis tenté de confirmer le point de vue de la Fao car cette année la production céréalière au Sahel a augmenté de 4% contre 82% au Sénégal. Pour l’arachide, la hausse sahélienne est de 10% et celle du Sénégal de 68%. Pour le niébé, le Sahel enregistre une hausse de 12% contre 125% pour le Sénégal. Il en résulte donc que l’eau est un facteur de production à combiner de façon optimale avec des intrants en quantité et en qualité grâce a des itinéraires techniques porteurs de progrès. A titre illustratif, la quantité de semences certifiées d’arachide est passée 6 000 tonnes en 2012 à 50 mille tonnes en 2016, d’où immanquablement un différentiel positif de productivité. Pour le riz, la quantité de semences de pré-bases produite par l’Isra en 2015/2016 est de 30 tonnes, soit deux fois plus que celle nécessaire (15 tonnes) pour atteindre l’objectif de l’autosuffisance rizicole.
3) Nous sommes à l’ère et à l’heure de la gestion des changements climatiques, fondée et soutenue sur les connaissances et les technologies générées par le génie créateur de l’homme.
C’est pourquoi en 2014, malgré le déficit pluviométrique enregistré, la production agricole a augmenté au Sénégal de 7,8%, grâce à la conception et à la mise en œuvre d’un programme d’adaptation au changement climatique.
4) L’auteur dit que «les résultats obtenus en riziculture pluviale n’ont jamais été atteints» et les explique par la pluviométrie de cette année. Je voudrais prolonger son analyse en faisant remarquer que c’est aussi à cause de la diffusion de nouvelles variétés telles que Nerica 1, Nerica 4, Nerica 5, Nerica 6 et la mise en valeur d’environ 34 mille ha en zone pluviale, basée sur la construction de digues anti-sel et d’ouvrages de retenue d’eau.
5) L’auteur ne réfute pas la faisabilité de l’objectif de produire 1,6 millions de tonnes en 2017, mais estime «insuffisantes les capacités de trituration du riz» qui selon lui, sont de 200 mille tonnes. Il s’agit certainement d’une erreur de frappe, car le riz n’est pas trituré à l’image des oléagineux, il est décortiqué. Il convient également de souligner que le rôle de l’Etat dans cette activité consiste à accompagner les acteurs privés. Ce qui, du reste est actuellement le cas comme l’illustre la montée en puissance des rizeries sur l’étendue du territoire national, notamment avec le projet indien qui vient de démarrer, le Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc) et plusieurs initiatives privées qu’il serait fastidieux d’énumérer ici.
6) Pour l’autosuffisance en riz, l’auteur nous donne la voie, à savoir, miser sur la double culture au nord avec 120 mille ha pour régler le problème. Le continent africain, selon les spécialistes d’AfricaRice, de l’Irri et des systèmes nationaux de recherche, a un potentiel enviable en ce qui consiste la riziculture de bas-fond. En effet, l’Afrique au sud du Sahara compte plus de 130 millions d’ha pour cette écologie et n’en exploite que 3,9 millions d’ha. C’est ce qui explique pourquoi des recherches ont été entreprises pour mettre au point des Nerica Lowlands et les Arica à cycle court. Notre conviction est qu’un changement de la physionomie de l’agriculture passe nécessairement par l’exploitation raisonnée des capacités productives de nos écosystèmes. Déjà Kolda nourrit Kolda en riz avec le niveau de production enregistré cette année, comme l’a brillamment démontré le Directeur général de la Sodagri.
7) Pour rappel, de 1960 à 2000, les statistiques officielles nous apprennent que le Sénégal n’a pas produit plus de 364 mille tonnes de paddy par an, nous sommes actuellement à 917 mille tonnes. Il y a donc de bonnes raisons de penser que les ruptures opérées ont été salutaires.
8) Pour ce qui concerne les réserves de l’auteur sur les capacités de transformation du riz qu’il plafonne à 200 mille tonnes, je voudrais préciser qu’en 2015, rien que dans la Vallée, plus de deux fois cette quantité de paddy a été décortiquée avec les équipements déjà en place, et qui vont augmenter dans le cadre des programmes précités.
Décidément, l’environnement se transforme vite et bien. Et, en tout état de cause, les riziculteurs sénégalais, avec le soutien de l’Etat, ont déjà réalisé un niveau de production rizicole jamais égalé depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, en moins de deux ans. Par conséquent, ces riziculteurs sénégalais sont à féliciter et à encourager.
Je termine mon propos en réitérant mon attachement et mes félicitations à ce monument de l’agriculture sénégalaise pour sa contribution.
Dr Papa Abdoulaye SECK
Ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural du Sénégal
Spécialiste en politique et stratégies agricoles
Académicien des Sciences Agricoles (Ansts, Aas, Twas)