Le Tribunal des flagrants délits de Dakar a été hier le théâtre d’un incident entre les avocats et la présidente de l’audience, la magistrate Racky Dème. A l’origine de cet incident qui a bloqué l’audience pendant près de deux heures, l’arrestation d’une avocate inscrite au Barreau de Paris, pour trouble. Chronique d’une journée folle pour les avocats, les justiciables et même la presse.
A peine la crise née des accusations de corruption portées par Me Mame Adama Guèye s’est-elle estompée, qu’une nouvelle crise a failli naître entre avocats et magistrats. Tout est partie de l’arrestation, en pleine audience, d’une avocate sénégalaise inscrite au Barreau de Paris, Me Marie Wade. Aux environs de 13 heures, pendant qu’une affaire d’escroquerie était en train d’être jugée, une belle nymphe au teint marron, moulée dans un pantalon leggins de couleur noire assorti d’un chemisier de couleur vert ciment, chaussures haut talon, a débarqué à la salle 1 où se tiennent les audiences de flagrants délits du Tribunal d’instance de Dakar.
Accompagnée d’un homme vêtu d’un costume, ils sont passés près de la barre. Surprise, puisque seuls les avocats en robe ont le droit de passer par là, la présidente de l’audience, la juge Racky Dème, leur a demandé ce qu’ils faisaient là. Me Hamid Ndiaye a expliqué à la présidente qu’ils étaient venus chercher quelqu’un et s’est excusé. Me Marie Wade a elle déclaré qu’elle est avocate au barreau de Paris et qu’elle a le droit de passer par là. Pour prouver ses dires, elle a décidé de montrer sa carte professionnelle.
Mais la présidente ne lui a pas laissé le loisir de le faire, car elle n’a pas apprécié le ton sur lequel l’avocate lui a parlé. ‘’Je n’en ai cure’’, a-t-elle lancé, avant d’ordonner aux gendarmes d’arrêter l’avocate et de la mettre au box des prévenus. Surprise par la tournure des évènements, la ‘’nouvelle prisonnière’’ n’a pas hésité à asséner ses quatre vérités à la juge. ‘’Vous n’êtes pas Dieu, pour vouloir me priver de liberté. Je suis avocate moi’’, a-t-elle débité en se débattant pour se dégager de l’emprise des gendarmes qui l’amenaient au box. Une fois dedans, elle a commencé à émettre des appels téléphoniques. Là aussi, ordre fut donné aux pandores de lui confisquer son cellulaire. Ce fut le niet catégorique de la robe noire. ‘’Je ne vous donne pas mon téléphone. Mon sac, vous pouvez le prendre. Mais il faudra prendre toutes vos responsabilités’’, a-t-elle lancé depuis le box.
Après cette passe d’armes entre la juge et l’avocate, le dauphin du bâtonnier de l’ordre des avocats a été saisi. Me Mbaye Guèye est venu pour s’imprégner de la situation. Mais un dialogue de sourds s’étant installé entre les avocats et la présidente, une suspension d’audience fut ordonnée. Pendant ce temps, l’avocate-prisonnière ne cessait de vociférer : ‘’Je suis là. On me met ici sans que je sache le pourquoi. C’est quoi cela ? Je ne sens pas la solidarité de corps’’, pestait-elle sous les yeux de son collègue Me Ndiaye qui avait tout le temps le téléphone à l’oreille. Ensuite, l’audience tardant à reprendre, certains avocats commencèrent à montrer leur agacement. En effet, ils n’attendaient qu’une chose : la reprise afin que leur confrère soit libérée. ‘’C’est de la provocation ce qui s’est passé aujourd’hui. Jamais une pause n’a été aussi longue que celle d’aujourd’hui’’, murmuraient certaines robes noires.
‘’Il n’y aura pas d’audience, tant qu’elle ne sera pas libérée’’
L’attente s’est poursuivie jusqu’à 16 heures passées de quelques minutes. A la reprise, la présidente a vidé les affaires mises en délibéré, avant la pause. A peine a-t-elle terminé, que la barre a été prise d’assaut par plusieurs avocats, avec à leur tête Mes Mbaye Guèye et Mbaye Dieng. Prenant la parole en premier, le dauphin du Bâtonnier a joué la carte de la conciliation, en expliquant que Me Wade devait être libérée, car elle est avocate et qu’elle est passée devant la barre, sans robe, par ignorance. Mais la juge Racky Dème s’est montrée inflexible. Me Mbaye Dieng est alors venu à la rescousse, en expliquant que Me Wade a élu domicile à son cabinet, comme le permet leur règlement. Il s’y ajoute qu’elle a le même droit que les avocats sénégalais, du fait d’une convention existant entre la France et le Sénégal. Cet argument n’a pas non plus fait changer d’avis la présidente qui a décidé de poursuivre l’audience. Ce qui a fait montrer l’adrénaline chez les avocats.
Furieux, Me Mbaye Guèye a élevé le ton. « Vous ne pouvez ni arrêter, ni juger un avocat. Ne nous poussez pas jusque dans notre dernier retranchement’’. Comme la juge continuait à camper sur sa position, Me Guèye a asséné : "On peut considérer l'arrestation de notre confrère comme un incident, car vous ignoriez qu'elle est avocate. Maintenant que la preuve vous est rapportée, vous ne pouvez pas nous dire que « vous n’avez que faire », alors qu’elle ne peut être arrêtée que sur ordre du Parquet général, après avis du Bâtonnat’’. ‘’C’est une violation. Si cet avocat reste dans le box, il n’y aura plus d’audience, ni dans cette salle, ni ailleurs. J’en assumerai toute la responsabilité’’, a asséné d’un ton ferme l’avocat, en tapant du poing sur la barre.
Ses autres confrères ont acquiescé en lançant : ‘’Quitte à ce qu’on reste ici jusqu’à 6h du matin. C’est cela qu’on attendait du barreau. Il est hors de question qu’on la laisse agir de la sorte.’’ Encore une fois, une pause forcée a été prise…
La presse expulsée ainsi que le public.
Au cours de cette seconde suspension, la salle a été vidée du public. Même la presse n’y a pas échappé. Lorsque les journalistes ont cherché à comprendre le motif de cette expulsion et d’où venait l’ordre, les gendarmes se sont montrés très autoritaires et zélés. ‘’Nous n’avons pas reçu d’ordre. Sortez, sinon je serai obligé d’utiliser la force’’, a menacé un des pandores. Mais des avocats se sont rangés du côté des journalistes. ‘’Ne sortez pas. Personne n’a le droit de vous expulser si l’ordre ne vient pas de la présidente’’, a martelé Me Etienne Ndione. Après quelques minutes d’échanges houleux, certaines robes noires ont invité les pisses-copies à se conformer à l’ordre. ‘’Si c’est pour vous priver de l’information, vous aurez tout’’, a lancé une des robes noires. Les journalistes n’étaient pas les seuls à rouspéter. Les justiciables rongés par la fatigue et la faim ne cessaient aussi de maugréer, à cause de l’incident qui a bloqué l’audience. Certains faisaient porter le tort à la magistrate.
Le Président Lamotte désamorce la bombe
Ce n’est qu’à 18h42mn que l’audience a repris. Les journalistes comme le public furent autorisés à regagner la salle 1. Cette fois-ci, la juge appela la mise en cause, Me Marie Wade dont la défense s’était renforcée. Mais il n’y a pas eu de procès, comme beaucoup s’y attendaient. Les avocats ont plutôt présenté leurs excuses. A en croire nos sources, cela a été fait à la demande du président du Tribunal de Grande Instance de Dakar. Le juge Malick Lamotte a réussi à faire revenir les uns et les autres à de meilleurs sentiments. Lors de la pause, les avocats et les juges se sont retrouvés dans son bureau pour une séance d’explications. A en croire nos sources, la présidente s’est braquée, en campant sur sa position, tout en déplorant le comportement de l’avocate. Les avocats lui ont fait comprendre que quelle que soit la faute commise par Me Wade, elle ne pouvait pas la juger. Donc, il n’y avait aucune raison de mettre l’affaire en fin de rôle.
Ainsi, le juge Lamotte a préféré jouer la carte de l’apaisement, en invitant les avocats à présenter leurs excuses, pour le bien du fonctionnement de la justice. Ses conseils ont été suivis par les robes noires. Car, dès la reprise, le dauphin du Bâtonnat a présenté les excuses des avocats. ‘’Cet incident a bloqué la marche d’un Tribunal, ce que nous déplorons. Je présente mes excuses au nom de tous les avocats. Pour le bénéfice du Tribunal, les avocats et les magistrats doivent être en odeur de sainteté’’, a soutenu Me Mbaye Guèye, en ajoutant qu’il ne peut y avoir de problème entre magistrats et avocats. ‘’Il pourra beau y avoir des frictions, mais il n’y aura jamais de séparation, car les uns ne peuvent pas aller sans les autres’’, a-t-il conclu, tout en précisant que Me Wade n’est pas trop imprégnée des réalités des juridictions sénégalaises.
‘’Ah les femmes ! Elles restent toujours les mêmes !’’
Sur ce, il a invité son confrère à s’excuser. ‘’Je présente mes excuses’’, a lâché Me Marie Wade sur un ton forcé. En voyant l’attitude de la ‘’prévenue’’, la présidente Racky Dème n’a pu s’empêcher de lui lancer : ‘’Je suis convaincue que vous ne l’auriez pas fait à Paris où je ne sais où. Je vois votre rictus, mais pas votre amendement. Qu’à cela ne tienne’’. Sentant qu’un nouvel incident risquait de se produire, Me Mbaye Dieng a repris la parole. ‘’Cette affaire, a-t-il martelé, est une non-affaire. La preuve, il n’y a même pas de dossier’’. Il a été interrompu par la juge. ‘’Nous avons plus important à faire. Des affaires à renvoyer’’. Sur ce, l’avocate parisienne a quitté la barre avec ses confrères sénégalais, en attendant son retour en France prévu jeudi prochain.
Cette visite du Tribunal de Dakar restera gravée dans sa mémoire, mais aussi dans celle de ses confrères sénégalais qui, en quittant la salle, ont marmonné : ‘’Ah les femmes ! Elles restent toujours les mêmes !’’