Sur la Rue 11x18 de la médina, quartier populaire de Dakar, près de 3.000 cordonniers y fabriquent au quotidien des milliers de chaussures, vendues "à pertes" à destination de la sous-région en raison du coût des intrants, jugés très élevés.
Tout au long de la rue, c’est toute une large gamme de chaussures qui sont accrochées sur les étals ou exposées dans les vitres pour attirer des clients qui visitent à longueur de journée les différents ateliers.
"Je ne gagne pratiquement rien dans ce que je vends. On fait ce métier parce que nous voulons le faire", fulmine Pape Samba, jeune homme robuste de 26 ans, assis devant son atelier, qu’il partage avec trois autres compatriotes, occupés par leurs tâches quotidiennes.
Ne pouvant pas joindre les deux bouts avec la cordonnerie, Pape s’est trouvé un autre business, personnaliser les chaussures et sacs avec du pagne, une tendance très prisée par ses clientes européenne et africaines vivant en Europe.
"J’habille les sacs et les chaussures avec du pagne que j’expose sur ma page Facebook. Je peux vendre un article à 50 euros (32.500 Fcfa) et cela me rapporte beaucoup d’argent", raconte Pape, au téléphone avec une cliente togolaise qui vient de lui passer commande pour cinq paires.
A quelques mètres de l’atelier de Pape, Ndiao Sow, 50 ans, "le doyen" (celui qu’il faut voir pour un entretien en français) a passé les ¾ de sa vie dans la cordonnerie. Enfant de cordonnier, c’est plutôt auprès de ses oncles qu’il a appris son métier qu’il exerce depuis 1978 avant de s’envoler en Côte d’Ivoire où il a passé une dizaine d’années également dans l’artisanat.
Revenu au Sénégal en 1991, il loue l’atelier sur la rue 11x18 à 60.000 Fcfa par mois avec d’autres cordonniers et travaille avec ses enfants et neveux.
"Les problèmes des artisans africains sont les mêmes dans tous les pays. Au temps du président Houphouët Boigny (premier président de la Côte d’Ivoire, mort en 1993), il avait également promis d’aider les artisans mais les promesses n’ont jamais été tenues", se souvient M. Sow, chevelure blanche, visage dégoulinant de sueur.
"Nous avons des clients ivoiriens, maliens, burkinabè, togolais, gabonais mais nous vendons à perte. Ici, les chaussures ne se vendent pas au-delà de 2.500 Fcfa. Quand vous payez en gros, les prix peuvent baisser jusqu’à 1.500 Fcfa", fait-il savoir, montrant une gamme de chaussures blanches fabriquées avec des matériaux importés.
"Depuis la dévaluation (1994), nous ne nous en sortons pas. Tous les intrants (colle, caoutchouc…) viennent de l’Europe, du Brésil ou de Chine et ils coûtent très cher alors que le pouvoir d’achat des clients n’augmente pas", déplore ce père de famille de neuf enfants.
Conscient des difficultés de ces cordonniers, le chef du centre des impôts de la Médina les a exonérés d’impôts sur le revenu. Ces artisans ne payent que les taxes communales et la patente qui leur revient à 20.000 ou 30.000 Fcfa l’année après "négociation".
"Le chef de centre s’est déplacé sur notre lieu de travail, il a pu constater que nous n’avons pas de chiffre d’affaires", fait-il savoir. M. Sow déplore le manque de politique des gouvernements sénégalais face à la hausse des prix des intrants.
"Pendant les périodes électorales, les candidats nous font plein de promesses qu’ils ne tiennent pas une fois élus", regrette M. Sow, qui poursuit l’emballage des chaussures, en appelant de tous ses vœux à l’industrialisation de la cordonnerie, qui occupe le troisième rang dans le secteur de l’artisanat au Sénégal.
"Nous faisons avec la main ce que les Européens font avec la machine. Il faut que l’Etat industrialise le secteur et nous donne les moyens", conclut M. Sow.
Mais face à la hausse des prix intrants, ces cordonniers sénégalais doivent faire face, depuis quelques années, à la concurrence des produits importés de Chine communément appelés "chintok". Une "concurrence déloyale" que critiquent ces artisans "impuissants", selon le quinquagénaire.
LIB
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