Interné au service de léprologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Fann à Dakar, Alpha Oumar, le visage tuméfié et les yeux rougis par la lèpre, raconte son exclusion sociale : "J’ai été viré de mon travail, exclu de mon appartement, et mes amis m’ont délaissé", dit-il, visiblement désabusé.
Admis depuis octobre 2015 au Centre hospitalier de l’Ordre de Malte (CHOM), qui abrite le service de léprologie du CHU de Fann, Alpha se dit "touché et déçu par l’abandon de ceux qui (l’) entouraient encore, il y a trois mois".
"Quand mon entourage s’est rendu compte que je souffrais de la lèpre, j’ai été systématiquement mis à l’écart (…) C’est difficile", confie ce soudeur métallique d’origine guinéenne.
Enclavé dans l’enceinte du CHU de Fann, le CHOM est situé à plusieurs centaines de mètres des autres services de l’hôpital, aux extrémités de cette vaste enceinte étendue sur 37 hectares.
"On a été un peu rejetés, plusieurs personnes ne connaissent pas l’Ordre de Malte alors que nous sommes au sein de l’hôpital Fann", soutient le docteur Lala Fall, médecin dermatologue et chef de service de léprologie au CHOM, "qui ne traite plus uniquement la lèpre", mais abrite aussi "un service de dermatologie et de chirurgie orthopédique", précise-t-elle.
Le microbe responsable de la lèpre a été découvert en 1873 par le bactériologiste et dermatologue norvégien Gerhard Hansen, qui a laissé son nom à la bactérie (bacille de Hansen) et à la maladie (maladie de Hansen).
Le docteur Fall explique que la lèpre est "une maladie chronique, en ce sens que sa prise en charge peut aller au-delà de six mois. Des fois, ça peut aller jusqu’à un an, voire plus. Le mode de contamination est par voie aérienne, un peu comme la tuberculose".
"C’est une contamination interhumaine, il n’y a pas de contamination par les animaux et la manifestation de la maladie se fait par des signes cutanés dans un premier temps, ensuite par des signes neurologiques", ajoute le docteur Fall.
Selon la spécialiste, "les signes cutanés se manifestent par une tâche ou un bouton rougeâtre ou clair, plus clair que la peau normale. Au niveau de ce bouton, il y a une baisse de la sensibilité, cela veut dire que lorsque vous appliquez la pointe d’un stylo – par exemple – le malade ne le sens pas. Ce n’est pas douloureux, ça ne gratte pas : ça aussi c’est un signe très évocateur de la lèpre".
"Lorsque le dépistage n’est pas fait précocement, poursuit-elle, apparaissent les signes des signes neurologiques qui sont des sensations de fourmillement, des douleurs au niveau des mains et des pieds (et) cela peut ensuite évoluer vers une paralysie ou une baisse de la force musculaire au niveau" de ces membres.
Le chef du service léprologie du CHOM de Dakar est catégorique : "Le combat, c’est vraiment de pouvoir dépister la lèpre au stade des signes cutanés, (car) le traitement devient coûteux lorsque ça évolue vers des signes neurologiques".
Et d’ajouter : "Lorsque la maladie est dépistée très tôt, on administre au patient une polychimiothérapie – des antibiotiques qui traitent la lèpre – et c’est un traitement qui est gratuit et qui nous est donné par l’OMS à travers de ministère de la santé".
Elle dit regretter que la lèpre soit encore "stigmatisée" et que "les malades soient rejetés" alors que "la polychimiothérapie, qui lutte efficacement et guérit la lèpre, est disponible depuis 1982 au Sénégal".
"Il y a une nette régression des chiffres au Sénégal, qui a éliminé cette maladie depuis 1995", renseigne le docteur Fall, avant de préciser que dans l’immédiat, "on parle d’élimination quand on a moins d’un (1) cas pour 10.000 habitants".
Selon les derniers chiffres officiels datant de 2014, "240 nouveaux cas ont été déchiffrés au Sénégal pour 14 millions d’habitants".
"Vous voyez que c’est peu et même négligeable, mais c’est à considérer quand même", nuance Mme Fall.
"Ce sont des malades qui, pour la plupart (80%), ont la forme contagieuse de la maladie. Si rien n’est fait, ces 240 cas peuvent contaminer au moins 240 autres personnes et ainsi de suite. Il faut les prendre en charge pour rompre la chaîne de transmission", poursuit-elle.
Supprimer les villages de reclassement et mettre en place un plan de communication continu sur la maladie
Au Sénégal, le thème retenu, cette année, pour la 63e édition de la Journée mondiale de lutte contre la lèpre porte sur "un dépistage précoce de la lèpre et (un) changement de statut et du cadre de vie des villages de reclassement social".
Les villages de reclassement social avaient été créés "dans un souci purement médical, parce qu’à cette époque, les moyens de traitement n’étaient pas très développés (et) pour éviter que ces malades affectés puissent contaminer le reste de la communauté, on les isolait tout simplement ; donc c’était un moyen d’isolement", rappelle le docteur Lala Fall.
Son point de vue est qu’il faut "supprimer ces villages de reclassement social, qui n’ont plus leur raison d’être".
"La polychimiothérapie (qui élimine la lèpre) est disponible au Sénégal depuis plus de trente ans et aujourd’hui, les nouveaux cas sont concentrés à Dakar, Thiès, Diourbel et Kaolack, du fait de l’exode rural, avec la promiscuité dans les banlieues et le manque d’hygiène qui favorisent le développement de la maladie", souligne le médecin.
"Au niveau des villages, ce sont des anciens malades qui ont été traités mais qui ont des mutilations, des séquelles de la lèpre, sur lesquelles on ne peut rien faire à part les suivre sur le plan de l’appareillage", note-t-elle, ajoutant que "le manque de sensibilisation, est une des difficultés rencontrées" dans la lutte contre cette pathologie.
"On en parle juste à l’occasion des Journées mondiales, il faut qu’il y ait tout un plan de communication continu sur cette maladie, que les gens sachent, qu’ils y pensent, elle est là, elle n’a pas disparu", prévient Mme Fall.
La lèpre "est une maladie sociale, la prise en charge est très longue, les malades sont stigmatisés, il y a un problème d’exclusion sociale, de réintégration professionnelle, parce qu’il y a certains malades qui ne peuvent plus effectuer un travail manuel et ce sont des gens qu’il faudrait suivre sur le plan social", insiste la dermatologue.