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La sensibilisation des hommes politique à l’épreuve de la réalité: Pleurent-ils par sincérité ou simulation?
Publié le lundi 1 fevrier 2016  |  Sud Quotidien
Christine
© aDakar.com
Christine Lagarde a tenu un discours devant la Représentation Nationale
Dakar, le 30 Janvier 2015 - La Directrice Générale du Fonds Monétaire International s`est adressée aux députés Sénégalais. Christine Lagarde a été reçue à l`Assemblée nationale par le président Moustapha Niass.




Au-delà de l’apparence d’individus froids, durs vis-à-vis de leurs concitoyens, les hommes politiques savent parfois se montrer sensibles, surtout lorsqu’il s’agit de susciter l’adhésion et la compassion de l’opinion détentrice des clés du pouvoir. Certains d’entre eux sont même allés jusqu’à fondre en larmes. C’est le cas du Président Diouf en 1989, devant les blessés des événements Sénégalo-Mauritaniens, de Moustapha Niass en 2012 aussitôt après sa première élection à la tête de l’Assemblée nationale du Sénégal et Idrissa Seck sur le plateau de la télévision futur média (Tfm) le 25 mars 2013. L’ex ministre de l’intérieur, Mbaye Ndiaye a aussi laissé couler les larmes lors de la cérémonie de passation de service avec son remplaçant, le général Pathé Seck. Ces larmes sont-elles sincères ou simulées ? Traduisent-elles le ressenti d’une situation réellement vécue par l’homme politique ou ses proches ?
Sud a donné la parole aux hommes politiques pour percer et comprendre le mystère. Thierno Bocoum, député à l’Assemblée nationale et responsable du Rewmi d’Idrissa Seck, Moussa Sarr, porte-parole de la Ligue démocratique (Ld), Babacar Gaye, porte-parole du Parti démocratique sénégalais (Pds), Mbaye Dione, maire de Ngoudiagne, responsable régionale de l’Afp et Mael Thiam, administrateur général de l’Alliance pour la République (Apr), nous promènent dans les coulisses d’hommes politiques, humains, trop humains !

THIERNO BOCOUM, DEPUTE A L’ASSEMBLEE NATIONALE : «Un homme politique est avant tout un être humain…»
«Un homme politique est avant tout, un être humain qui, en fonction des situations auxquelles il est confronté, peut révéler sa nature humaine. Cela est dans l’ordre normal des choses. Je ne pense pas donc que le fait de verser des larmes soit un signe de faiblesse. Je pense plutôt que les larmes montrent la sensibilité de la personne aux préoccupations de ses populations. Parce qu’il se révèle comme étant un être humain, un citoyen lambda qui doit sentir d’abord les problèmes avant de pouvoir les résoudre. Le plus extraordinaire, c’est qu’il les (problèmes) sent de la même manière qu’un sénégalais ordinaire. Pour moi, ce sont des larmes rassurantes qui attestent la sensibilité de l’homme politique par rapport aux préoccupations de ses concitoyens au point d’y consacrer toutes ses énergies.
En revanche, on ne peut pas dire de manière formelle que les larmes ne sont pas sincères. Et de mon point de vue, les larmes peuvent véritablement être sincères. Car, normalement, les larmes traduisent un ressenti très fort. Elles expriment la personnalité de l’homme politique en termes de sentiment pour répondre aux préoccupations des populations».

MOUSSA SARR, PORTE-PAROLE DE LA LIGUE DEMOCRATIQUE (LD) : «L’homme politique peut manquer de mots pour exprimer ce qu’il ressent»
«Pour moi, qu’un homme politique montre sa sensibilité ou son émotion, c’est dans l’ordre normal des choses. Un homme politique quel que soit son engagement au service de ses concitoyens, il reste un homme dans le vrai sens du mot. Il est fait de chair, d’os, il a un cœur. Alors, de ce point de vue, il peut arriver des circonstances qui le mènent à exprimer son émotion, sa sensibilité. L’expression de ses sentiments, de son émotion peut revêtir plusieurs formes : cela peut être par des pleures, en laissant échapper quelques gouttes de larmes ou autre chose de moins visible.
Mais, je ne crois pas que le fait de verser des larmes soit un signe de faiblesse. Parce qu’il arrive, à un moment de son discours, que l’homme politique manque des mots pour exprimer convenablement ce qu’il ressent parce que le langage a des limites. Le langage ordinaire n’arrive pas toujours à exprimer ce que l’on ressent au fond de soi-même. Par exemple Obama, lors de son récent discours, a versé des larmes. L’on peut être amené à l’interpréter comme un manque de mots pour exprimer exactement ce qu’il ressent en ce moment-là en pensant aux familles dont les enfants ont été fauchés par les armes.
La sincérité des larmes dépend des situations. Je ne peux pas dire que c’est toujours des larmes qui expriment une sincérité. Il y a des hommes qui peuvent, à un moment précis de leur discours, exprimer des sentiments qui ne sont pas sincères, ça peut arriver.
Le discours n’arrivant pas à exprimer ce que l’on ressent, on peut recourir aux larmes ou autre chose pour le combler. On a vu Moustapha Niasse verser des larmes lorsqu’il a été élu Président de l’Assemblée nationale en 2012. Lui seul sait ce qu’il a ressenti en ce moment-là. Moi-même pour vous donner mon exemple, il m’est arrivé de pleurer, en 1996, lors d’un meeting, dans ma commune de Dionewar dans le département de Foundiougne où je milite au nom de la Ligue démocratique. Cela est arrivé à un moment de mon discours parce que tout simplement, beaucoup des militants du Parti socialiste (Ps) avaient rejoint la Ld, alors que c’est un milieu qui était hostile à notre parti.
On aussi vu le Président feu Nelson Mandela esquisser des pas de dance en Afrique du Sud pendant des meetings de l’Anc. Je crois que les hommes politiques sont des hommes comme les autres, ils éprouvent des sentiments, ils ont des émotions et ils peuvent les exprimer à tel ou tel moment de leur discours.».

BABACAR GAYE, PORTE-PAROLE DU PARTI DEMOCRATIQUE SENEGALAIS (PDS) : «Ce qu’on attend d’un homme d’État, c’est sa capacité à maîtriser ses émotions…»
«A priori, l’homme politique est humain, il est donc sujet à des sentiments liés à l’émotion. Mais, ce qu’on attend d’un homme d’État, c’est sa capacité à maîtriser ses émotions et à rester zen quelles que soient les circonstances. Même si l’expression des sentiments émotionnels : la peur, joie, colère sont le fait de l’homme. La différence entre l’homme d’État et l’homme ordinaire, c’est cette capacité que le premier a de poser des actes en toute froideur. Cela ne signifie pas qu’il n’a pas de sensibilité ou d’émotions. Mais, on demande à l’homme d’Etat, en public, de les contenir. Je reconnais que cela n’est pas toujours facile.
En revanche, en ce qui concerne les chefs d’Etat et spécifiquement, le cas Obama, je suis convaincu qu’il ne peut pas tomber dans ces excès, si son cœur ne lui parle pas. Vous savez, les éternuements et les larmes sont une façon pour l’organisme de réagir par rapport à une agression. C’est en cela que l’on pourrait considérer que l’expression de ses états d’âme pourrait être sincère, d’autant que je ne vois pas ce que pourrait gagner Obama, du point de vue politique ou de sa notoriété, en essayant de manipuler l’opinion à travers justement ses gouttes de larmes. Ma conviction profonde est que par moment, le visage d’un homme d’État peut laisser transparaître des une certaine faiblesse».

MBAYE DIONE, MAIRE DE NGOUDIAGNE, RESPONSABLE REGIONALE DE L’AFP : «On ne pleure pas parce qu’on est faible»
«Moi, je pense qu’il faut d’abord relever que les hommes politiques sont des humains qui ont des sensations, des pulsions, des sentiments. Pour toutes ces raisons, ils peuvent pleurer parce qu’ils sont heureux ou malheureux. Quand un homme politique en arrive à verser des larmes, c’est parce que la situation, à mon avis, devient intenable pour lui dans un sens ou dans un autre. C’est un ensemble de bonheur ou de malheur. Il arrive souvent, en un moment, que ce soit une consécration qui fait que la personne soit dans cet état. Parce qu’elle ne pensait jamais arriver à ce niveau. C’est donc un ensemble d’images qui tournent dans la tête de la personne. Et, généralement, c’est ce qui fait que cette dernière finit par craquer. On peut donc les comprendre. Il ne faut surtout pas penser que ces personnes pleurent par faiblesse. On pleure souvent parce qu’on est sous le coup de l’émotion, qui peut être le bonheur ou le malheur. Cependant, l’homme politique, surtout l’homme d’État doit pouvoir se contenir, pour gérer ses sentiments. Quelle que soit la situation, l’homme politique doit donc éviter de verser ses larmes, de peur de tomber dans la banalité.
Je pense qu’il y’a des larmes qui sont sincères. Il faut prêter la bonne foi aux gens. Je ne dis pas que tous ceux qui ont versé leurs larmes sont sincères, mais je pense qu’il y’ a des personnes qui le sont, parce qu’elles ne pouvaient se contenir. Cela ne veut également dire que tous les hommes politiques qui ont eu à verser les larmes, l’ont fait dans la sincérité. Car, souvent, on assimile les larmes des hommes politiques à de la comédie parce que tous les moyens également bons, pour certains, d’atteindre une cible. On considère que les larmes suscitent un sentiment d’affection et de victimisation chez les autres. Ça peut être l’effet recherché, mais je pense que si c’était le cas, c’est malhonnête parce qu’on n’a pas besoin de verser les larmes pour s’attirer l’affection des citoyens ou des électeurs. Les Sénégalais ne sont pas dupes. Si homme politique en arrive à verser des larmes, alors que la situation ne s’y prête pas, les populations vont le découvrir».

MAEL THIAM, ADMINISTRATEUR GENERAL DE L’ALLIANCE POUR LA REPUBLIQUE (APR) : «Un homme politique doit dompter et contenir ses émotions »
«Un homme politique est un leader, un manager investi d’une responsabilité managériale, à l’image d’un manager d’entreprise, d’une équipe de football… À ce titre, il doit faire preuve d’intelligence émotionnelle qui n’est rien d’autre que la capacité d’un individu à connaître et à maîtriser son espace émotionnel, à pouvoir appréhender l’espace émotionnel de ses interlocuteurs ou de ses administrés afin d’établir une relation de qualité.
L’intelligence émotionnelle doit donc amener le manager à pouvoir dompter et contenir ses émotions. De la même manière, qu’un chef de détachement militaire en guerre ne doit pas exprimer sa peur, un homme responsable, un manager doit également dompter ses émotions pour l’équilibre et la tranquillité des citoyens qui sont sous sa responsabilité. Il est évident que toutes les émotions ne sont pas les mêmes, mais ont un point commun : l’expression d’un flux sanguin du cœur vers l’extérieur selon la définition étymologique.
Ceci pour dire que nous ne sommes pas maîtres de nos émotions. Mais, c’est justement ce défi-là qui est lancé à tout leader, à tout manager. Car, verser des larmes peut-être jugé comme un déficit d’intelligence émotionnelle. Toutefois, il faut préciser que les larmes d’Idrissa Seck n’ont rien à voir avec les larmes versés par le Président des États-Unis. Les larmes d’Idrissa Seck sont l’expression d’une maladresse stratégique. Elles (larmes) n’exprimaient rien d’autre qu’un homme anéanti par les résultats de la présidentielle qui ont consacré Macky Sall, président de la République du Sénégal. Il s’est réveillé de son traumatisme et, il n’a pas trouvé autre stratégie que de verser des larmes pour implorer la pitié des Sénégalais afin qu’ils l’autorisent à revenir dans l’espace politique.
Il y’a certains leaders qui provoquent des larmes, mais si elles sont sincères, cela peut être effectivement, un signe d’un déficit d’intelligence émotionnelle chez le leader en question. Le leader politique doit faire en sorte que son cerveau rationnel prenne le dessus sur son cerveau émotionnel. Parce que l’émotion est du domaine de la passion, de l’aveuglement, de l’immédiateté ; on sort de toute possibilité d’élaboration de stratégie, de vision prospective. On vit dans l’immédiateté et ça, c’est dangereux pour un manager, pour un homme politique qui a la charge de présider aux destinées d’un pays».

ABDOULAYE NDIAGA SYLLA, ANALYSTE POLITIQUE : « Fondre en larmes, ne fait que révéler leur part d’humanité »
D’abord, il faut que nous reconnaissions aux hommes politiques le fait qu’ils sont des humains dotés de sensibilité. Maintenant, au-delà de leur position de leader, il faut, en fait qu’ils puissent faire preuve d’une certaine lucidité, de rigueur dans le comportement, leur manière d’agir et leurs propos, tout en évitant aussi d’être trop émotifs. Mais, en tant que humain, des circonstances exceptionnelles peuvent les amener à avoir des ressentiments qu’ils ne pourraient pas, effectivement contenir. L’essentiel, c’est que cela ne soit pas répétitif. Mais, je pense aussi qu’il faut le leur concéder. C’est le cas de Barack Obama, sur son temps de parole. L’exemple est souvent plus plausible, parce que nous avons eu dans le passé à voir, dans cet état, des hommes politiques de haut rang, parfois en pleine émission ou adresse à la nation.
C’est donc normal que parfois, ils puissent, en fonction de leur état psychologique et du contexte, être parfois très émotifs. De mon point de vue, le fait de fondre en larmes, ne fait que révéler leur part d’humanité qui est aussi recherché. C’est une manière de montrer, quelque part, qu’ils sont capables de ressentir ce que les populations ressentent en termes de bonheur et de malheur. De mon point de vue, cela peut aussi les rapprocher du peuple. Si ces larmes interviennent dans un contexte particulier et permettant de comprendre l’émotion ou la force de l’émotion qui les animent, je ne pense pas qu’on puisse soupçonner de la part des acteurs politiques des larmes qui sortent de manière calculée.
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