Joe Diop, membre du Mouvement Yoonu Askan Wi, n’a pas sa langue dans sa poche. Ce militant de Gauche invétéré est toujours sur ses gardes lorsqu’il s’agit de défendre les masses populaires. En prélude au cinquantenaire du Manifeste du PAI, l’ancien entraîneur de l’équipe nationale revient, dans cet entretien accordé à EnQuête, sur l’histoire de la Gauche, son avenir. Mais, il a n’a pas manqué d’apprécier le régime de Macky Sall à qui il décerne une mauvaise note.
La Gauche sénégalaise va commémorer le cinquantenaire du Manifeste du PAI ce week-end. Qu’est-ce qui est attendu de cette rencontre ?
D’abord, de grandes retrouvailles de ceux-là même qui ont gardé les profondes convictions d’appartenir à notre peuple, aux classes populaires, et d’avoir la mission d’aller jusqu’au bout, c'est-à-dire l’émancipation, la désaliénation. Nous devons briser les chaînes de l’esclavagisme représenté aujourd’hui par un ordre capitaliste libéral.
Ces idéaux que vous prônez ne sont-ils pas aujourd’hui désuets ?
Tant qu’il y aura l’impérialisme et sa garniture néolibérale, ces idéaux conserveront leur valeur, se poseront comme exigence et contradiction à résoudre. Avec ces idéaux, il y a toujours des perspectives à conquérir. Il est dans l’intérêt des peuples africains, à travers leur classe populaire et fondamentale, de poursuivre la lutte contre l’impérialisme et toutes ses formes d'aliénation afin de briser toutes les chaînes esclavagistes.
Depuis 50 ans, la Gauche a toujours fait figure de ‘’faiseur de roi’’. Pourquoi, elle n’arrive pas à s’imposer une alternative politique au Sénégal ?
La Gauche est une alternative. Elle doit prendre le contre-pied des idéologies dominantes. Nous n’allons pas continuer à faire des rois. La Gauche, idéologiquement, politiquement, stratégiquement, prend sa raison d’être, sa source dans la substance des classes populaires. La Gauche doit renverser l’ordre capitaliste libéral au service de l’impérialisme pour asseoir un authentique pouvoir au service de notre peuple.
On a l’impression que votre discours n’accroche pas les classes populaires auxquelles vous vous identifiez, au regard des résultats électoraux.
Je ne parle pas d’élection. Quand on a un projet social, on se lie aux masses populaires pour pouvoir le réaliser. Est-ce que nous nous sommes suffisamment liés aux masses populaires ? Est-ce que réellement, nous avons construit l’idée stratégique et les comportements tactiques avec les masses ? C’est cette question qui mérite d’être posée et qui mérite une réponse.
Et quelle est votre réponse ?
Je dis que nous n’avons pas été toujours liés aux masses populaires. Ce ne sont pas les élites qui vont faire l’Histoire. Quand on a un projet de libération, d’émancipation et de transformation sociale, c’est avec les masses qu’on la réalise.
Pensez-vous que la Gauche a suffisamment fait son autocritique ?
Je ne sais pas. Je dirai tout simplement qu’il faut faire le bilan de la Gauche. Comme je l’ai dit tantôt, il faut se lier aux masses pour réaliser un tel projet.
Après 50 ans d’existence, qu’est-ce qui reste aujourd’hui de la Gauche ?
Ce qui reste, c’est les conditions d’existence précaires des masses. Les élites de tous les secteurs sociaux ont capitulé ; ils ont trahi. C’est fini la verticalité consistant à suivre tel leader politique. Il faut une horizontalité d’interaction qui engage les masses dans leur lutte. Il y a une injustice manifeste. On promeut la médiocrité.
Depuis plusieurs années, on parle de l’unité de la Gauche. Pourquoi tarde-t-elle à se réaliser ?
Ceux-là qui veulent lutter réellement doivent confondre leurs actions aux profondes aspirations de notre peuple. L’unité de la Gauche, c’est d’abord la disponibilité des forces, des consciences qui choisissent les masses profondes et d’engager le combat. Ce sont ces forces qui vont asseoir un socle unitaire. Il y a des élites qui ont intérêt à ne pas voir se réaliser l’unité de la Gauche.
Pourquoi ?
Parce que leur intérêt est de servir le pouvoir. On a connu le pouvoir de Senghor, de Diouf, de Wade. Aujourd’hui, c’est le pouvoir de Macky, c’est sûr qu’il y aura des moutons de Panurge. La Gauche doit asseoir une autonomie populaire et engager le combat.
Comment appréciez-vous le régime de Macky Sall ? Est-ce que la rupture proclamée est amorcée ?
Quelle rupture ? Il n’y a pas de rupture. C’est la continuation de l’ancien régime.
Pourtant, votre Yoonu Askan Wi l’a porté au pouvoir
Comment les choses se sont passées ? D’abord, il fallait satisfaire le slogan : ‘’Wade dégage’’. Wade est parti, Macky a été élu. Mais rien n’a été réglé par rapport aux Assises nationales pour lesquelles nous nous sommes investis. Je ne l’ai pas personnellement porté au pouvoir. Je ne me retrouve pas dans Benno Bokk Yaakaar. Je m’identifie à travers les profondes aspirations du peuple.
Est-ce que vous n’êtes pas frustré par le fait que vous n’avez pas été servi ?
(Il s’énerve). Je n suis pas à la recherche de quoi que ce soit. Je n’attends rien d’aucun régime. Je ne suis pas un mouton de Panurge ; je ne suis pas un mendiant. Je n’ai jamais tendu la main de ma vie. J’ai une identité qui se confond à la lutte du peuple pour son émancipation.
Qu’est-ce que vous reprochez concrètement à Macky Sall ?
Je ne parle pas d’individualité. Nous vivons un contexte dominé par l’impérialisme. Nous subissons la convoitise de l’Occident, nous sommes pillés pas l’Occident. Il y a ses représentants dans le pays.
Par exemple
Tous les régimes qui se sont succédé n’ont jamais servi le Sénégal et son peuple.
Vous pensez qu’on n’est pas réellement indépendant ?
Non, la problématique de souveraineté se pose. La question foncière est là. Les terres de Mbane sont bradées à des étrangers. Le problème de la souveraineté, c'est l’existence d’un régime authentiquement populaire.