L’année 2016 risque de n’être pas de tout repos pour le régime en place, surtout du côté du front social où les acteurs affûtent de plus en plus leurs armes contre un gouvernement accusé par tous de non respect des accords contractés en 2015. Loin du « délai de grâce » accordé au régime de Macky Sall, les travailleurs des collectivités locales tout comme les organisations de l’enseignement, tous ordres confondus, voire le Syndicat unitaire des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas) sont sur le pied de guerre. Ces syndicats ont ainsi déposé pour la plupart des préavis de grève pour croiser le fer avec le gouvernement du Sénégal et le pousser au respect des engagements inscrits dans les protocoles signés d’accord partie. La dernière organisation syndicale à plonger dans la mêlée est ainsi l’Intersyndicale des travailleurs des collectivités locales qui a entamé une grève de 72 heures afin d’exiger entre autres revendications le retour à la ville de Dakar de tous les agents redéployés au niveau des anciennes communes d’arrondissement, dans le cadre de l’acte III de la Décentralisation. Prétexte pour Sud quotidien de revisiter toute cette problématique autour du réchauffement d’un front en passe de durcir le climat social, dans une année jugée charnière pour le régime en place par bien d’observateurs.
GRÈVE DES TRAVAILLEURS DES COLLECTIVITÉS LOCALES : Mot d’ordre largement suivi aux Parcelles et à Mermoz
Le premier jour de la grève de l’Intersyndicale des travailleurs des collectivités locales a été largement suivi hier, lundi 25 janvier, au niveau des communes des Parcelles assainies et Mermoz/Sacré Cœur. La plupart des services publics relevant de la compétence des collectivités ont été paralysés par ce mouvement d’humeur des agents des collectivités locales qui réclament le retour aux villes de tous les agents, redéployés aux ancienness communes d’arrondissement dans le cadre de l’acte III de la décentralisation mais aussi l’effectivité de la fonction publique.
A Mermoz/Sacré Cœur, c’est le strict service minimum. Seuls les services en charge de la délivrance des actes de décès et de permis d’inhumation assurent une permanence. Par contre, pas de déclaration de naissance, de mariage encore moins de recouvrement des taxes fiscaux. Juliette Bengar, conseillère municipale et directrice de cabinet du maire, trouvée sur les lieux, nous a assuré que seul le cabinet du maire fonctionne mais au ralenti à cause de cette grève. Aux Parcelles assainies par contre, outre la paralysie des services municipaux, et excepté la délivrance des actes d’inhumation, l’ambiance des retrouvailles qu’on avait l’habitude de constater lors des débuts de semaine au niveau du building communal, a fait place à un silence de cimetière. Les portes d’accès à l’édifice sont même restées fermées bien qu’on soit à onze heures de la fin de matinée.
Mis à part le vigile, pas l’ombre des agents municipaux trouvés sur les lieux dans la matinée de la journée d’hier. Tous les services de l’Administration communale sont touchés par la grève.«Il n’y a personne ici, à par moi. Tout le monde est en grève, raison pour laquelle, les portes sont fermées. Ce matin, plusieurs administrés se sont présentés ici pour diverses raisons. Ils ne savaient pas qu’il y a grève mais je leur ai expliqué que le travail reprenne seulement le jeudi. Certains ont compris mais d’autres par contre n’ont pas pu cacher leur frustration», nous explique le gardien des lieux.
UN VIGILE POUR JUGER LES CAS…URGENTS
Au centre de santé de Serigne Abdou Aziz Sy, c’est le même constat. Pas besoin de pénétrer à l’intérieur du bâtiment pour savoir si le mot d’ordre de l’intersyndicale a été suivi ou non. Les lieux sont quasi désertiques. Les taxis s’arrêtent et repartent avec leurs occupants aussitôt après un bref échange avec le vigile. Pour cause, il n’y a qu’un médecin de garde donc. Seuls les cas urgents sont admis et, c’est à lui (ndlr-le vigile), en cette absence des infirmiers, que revient la charge de juger urgent ou non l’état de santé d’un patient avant de le laisser franchir la porte du centre de santé pour voir le médecin de garde. «Tout le personnel est en grève. Il n’y a qu’un médecin pour recevoir les cas urgents et quelques deux à trois infirmiers qui assurent la permanence des hospitalisations. Le mot d’ordre de la grève a été largement suivi. Je suis obligé de renvoyer tous les malades dont les pathologies ne nécessitent pas une intervention urgence jusqu’à jeudi. C’est dommage mais on ne peut rien faire», explique notre vigile.
Confirmant les propos du vigile, le médecin de garde sous le couvert de l’anonymat nous a informés que tous les services du centre de santé sont paralysés par la grève. «Je suis le seul médecin à assurer la garde. Il y a aussi trois infirmiers au service des hospitalisations. Depuis ce matin, je n’ai pas encore reçu de malade parce que tout simplement, seules les urgences sont admises. Je suis à l’intérieur et c’est au vigile de voir qui est dans l’urgence ou pas. Cela fait mal au cœur que les patients viennent jusqu’à l’hôpital et retournent sans avoir reçu les soins. Au Sénégal, les gens viennent à l’hôpital seulement quand ils ont très mal». Du côté des patients, la plupart des accompagnants que nous avons interpellés sur la porte de ce centre de santé qui polarise plus de vingt unités des Parcelles assainies fustigent cette grève. Pour eux, l’État doit réagir vite afin que le mot d’ordre soit suspendu. Car, disent-ils, les hôpitaux ne devaient pas faire la grève.
ACTE III : UNE REFORME QUI …PRECARISE !
L'Intersyndicale des travailleurs des collectivités locales a mis à exécution hier, lundi, sa menace de paralyser pour 72 heures les services des collectivités locales. En effet, la première journée de la grève générale qu’elle a décrétée suite à la tournée d’information, effectuée au niveau des collectivités locales en début de ce mois de janvier, a été largement suivie par les agents municipaux au niveau des administrations communales. À l'exception du service en charge de la délivrance des permis d’inhumation, tous les autres services sont aux arrêts. Pour rappel, cette grève fait partie d’une série des manifestations initiées par l’Intersyndicale des travailleurs des collectivités locales, depuis l’entrée en vigueur de l’Acte III de la décentralisation. Ceci, dans le but de dénoncer les répercussions néfastes de cette réforme sur leurs conditions sociales de travail.
Initiée par le régime en place en 2014, l’Acte III de la décentralisation était présenté lors de son lancement comme une réforme qui vise à faire de toutes les collectivités locales au Sénégal, des «territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable à l’horizon 2022». Plus d’une année après son entrée vigueur, le constat est tout autre. Contrairement à la promesse d’un développement des territoires, les collectivités locales traversent, dans leur grande majorité, une situation tragique à cause de certaines dispositions de cette réforme, notamment le déséquilibre constaté dans le transfert des charges et celui des moyens financiers. En effet, les problèmes nés de la mise en œuvre de cette réforme n’ont toujours pas trouvé de solutions. En dépit des assurances du ministre de l’Economie, des Finances et du Plan lors du vote de la loi de finance rectificative de 2014 en décembre dernier, les travailleurs des collectivités locales ont repris encore leur mouvement d’humeur pour réclamer leurs salaires de décembre. Cette situation est une première pour ces travailleurs municipaux. Car, avant l’entrée en vigueur de cette réforme des collectivités locales et cela, depuis 2009, les agents municipaux n’ont jamais eu à vivre une telle situation qui risque de perdurer encore, le temps de l’entrée en vigueur de la deuxième phase de cette réforme des territoires.
RECHAUFFEMENT DES SECTEURS DE L’EDUCATION, DE LA SANTE… : Le diagnostic des acteurs
Le secteur de l’éducation avec le Grand cadre des syndicats d’enseignants, le Cusems et le Saes, a annoncé également les couleurs d’une année scolaire en grève, dès le mois de février par le dépôt de préavis. Au même moment, le Syndicat unitaire des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas) déplore le retard des engagements du gouvernement. A l’image des principaux leaders de ces syndicats qui commentent ici, le réchauffement progressif du front social au Sénégal. Ou même de Mamadou Diop Castro, ancien syndicaliste, aujourd’hui membre du Comité national du dialogue social (Cnds).
MAMADOU LAMINE DIANTE DU GRAND CADRE DES SYNDICATS D’ENSEIGNANTS : « La frustration est générale au niveau des travailleurs »
Le front social en ébullition n’est pas une surprise. C’est le contraire qui aurait surpris. Il faut dire que depuis 3 ans, le régime en place a pris des engagements face aux travailleurs, aux populations, alors qu’aucune de ses promesses n’a été respectée. La frustration est générale au niveau des travailleurs. Le président de la République et son gouvernement se sont déplacés dans les localités à travers les Conseils des ministres décentralisés pour prendre des engagements sans pouvoir les respecter à ce jour. Les travailleurs ont eu des engagements avec le gouvernement à travers des protocoles d’accord qui ne sont pas respectés. C’est le cas des travailleurs des collectivités locales dont l’avis n’a pas été pris en compte dans le cadre de la réforme de l’acte III de la décentralisation. Au niveau du secteur éducatif, c’est le comble puisque c’est la plus haute autorité de l’Etat qui est monté au créneau avec des engagements que le gouvernement n’a pas respectés.
MOUSTAPHA SALL, CHARGE DES REVENDICATIONS DU BUREAU NATIONAL DU SAES : « Tous les fronts sociaux sont en agitation »
Le constat est que tous les fronts sociaux sont en agitation. Les deux secteurs vitaux, notamment l’éducation et la santé, sont les plus touchés. Il s’y ajoute le secteur des collectivités locales. Ce qui affaiblit notre Etat à cause des réformes qui ne sont pas concertées. C’est l’Acte 3 de la décentralisation, la loi Cadre sur les universités, la réforme des Daaras. Ce sont des réformes dont on n’a pas pris en compte les aspirations et le vécu quotidien des syndicats. Pour le secteur de l’éducation, toutes les revendications posées sont légitimes. Le gouvernement sait qu’il viole la loi sur certains points. Ce sont les enseignants qui subissent les problèmes de la crise économique pendant que d’autres continuent à bénéficier des avantages comme si rien n’était. Le gouvernement a signé des accords réalisables et réalistes. Si le gouvernement refuse d’honorer ses engagements, cela va de soi que nous sommes en face d’un Etat poussif.
La pacification de l’espace éducatif ne se fait pas par des paroles ou des vœux. Elle se fait par des actes. Il y a des revendications légitimes qui sont appelées à être satisfaites au lieu des dépenses qui n’ont rien à voir avec la demande sociale. Au Saes, nous avons posé des questions de droit. Notre préavis est basé sur des lois et des textes. Si rien n’est fait dans deux semaines, le Saes va statuer pour aller à la grève. On peut dire adieu à une année scolaire apaisée.
MBALLO DIA THIAM, PATRON DU SUTSAS : « L’Etat traine sur les accords »
Nous avons rappelé récemment, lors de notre rentrée syndicale, au gouvernement l’impérieuse nécessité de régler les questions de l’heure. Il s’agit de la question des indemnités liées aux travaux d’heures supplémentaires, le complément de plus d’un milliard FCfa, la motivation nationale. Les autres questions tournent autour du système de rémunération des agents de la Fonction publique. L’Etat est en train de trainer quelques accords. Le Sutsas est sous le couvert de quelques accords. Mais, ce qu’il faut constater de manière générale, c’est que l’Etat traine sur les accords.
MAMADOU DIOP CASTRO, HAUT CONSEIL DU DIALOGUE SOCIAL : « Le gouvernement doit donner des signaux forts pour rassurer les syndicats…»
Les mécanismes instaurés pour le dialogue social ne sont pas suffisamment encore maitrisés pour que les structures chargées de faire de la régulation sociale soient au centre des relations professionnelles. Le gouvernement et les organisations syndicales font comme si les structures n’existaient pas. Le gouvernement prend des engagements sans se référer au comité du dialogue social dans le secteur de l’Enseignement quand il a des difficultés pour trouver des solutions avec les syndicats avant les échéances. Nous avons commencé à faire de la prévention en rencontrant les organisations syndicales pour recenser leurs préoccupations. Nous avons commencé à aller vers les autorités pendant que des syndicats déposent des préavis sans attendre le feed back. Cela signifie que l’appropriation des mécanismes de dialogue pose problème. Au niveau des collectivités, le Haut Conseil a pris des initiatives, là où l’Acte III de la Décentralisation est dénoncé par les travailleurs. Il faut prendre des mesures. Tant que des mesures ne sont pas réglées, nous sommes dans un cercle pernicieux d’action et de réaction. Il appartient au gouvernement de prendre des initiatives, de parler aux organisations et de respecter les échéances retenues. Sinon, c’est la culture de la confrontation qui prend encore le pas sur les compromis et les consensus nécessaires pour la stabilité sociale. Le gouvernement doit donner des signaux forts pour rassurer les syndicats et calmer les esprits.
MBOUR - GREVE DES TRAVIALLEURS DES COLLECTIVITES LOCALES : La municipalité paralysée
La grève des travailleurs des collectivités locales a été suivie hier, à Mbour. Les effets se sont fait vite sentir. Aucun service communal n’a fonctionné. Les désagréments sont multiples. Les locaux de l’Etat-civil qui reçoit quotidiennement des dizaines de personnes venues demander l’établissement ou le retrait d’une pièce, sont vides. On dirait un jour férié. En plus, le personnel s’est engagé à respecter le mot d’ordre en s’éloignant de la municipalité. Des demandeurs de documents non informés du mouvement d’humeur se désolent de faire un déplacement inutile. Les travailleurs municipaux semblent déterminés à aller jusqu’au bout, à l’image de la réunion d’information tenue dans les locaux de la mairie pour partager les consignes relatives au mot d’ordre de grève. Une femme désemparée de ne pouvoir disposer de l’extrait de naissance de son enfant prie pour la fin de la grève dans les meilleurs délais. Fallou Sylla, le maire de Mbour et son secrétaire municipal Samseddine Seydi se résument à faire le constat d’une administration locale vide et affectée par la grève.