Le président de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté vient de dire que les cas de torture sont en train de diminuer au Sénégal. Est-ce que vous êtes de cet avis ?
Ce que nous constatons c’est qu’il n y a pas de diminution. Certes, il y a quelques cas qui sont jugés depuis quelques années mais la torture existe toujours. Elle est pratiquée et continue de faire des ravages. C’est pourquoi il est important de former les médecins qui sont ceux qui peuvent établir les preuves. Car pour faire condamner les auteurs de ces actes, il faut apporter la preuve. Et ces preuves, c’est le médecin qui peut les donner par un certificat médical, de genre de mort ou d’autopsie. Et c’est pourquoi nous avons pensé qu’il faut former les médecins.
Est-ce que vous avez une idée des chiffres récents des cas de torture au Sénégal ?
Nous notons au jour le jour tous les cas de tortures rapportés par la presse ou qui sont signalés par les familles des victimes, les victimes elles-mêmes ou par des membres d’Amnesty-Sénégal qui sont dans les régions. Le tableau que nous avons, c’est qu’il y a une vingtaine de cas de torture aujourd’hui non élucidés depuis 2007. Ces 20 cas de torture sont essentiellement des cas de décès en détention. Pour les cas de torture évidemment, ils sont beaucoup plus nombreux et la plupart font l’objet de plaintes. A ce jour, aucune de ces personnes qui a déposé une plainte contre la torture n’a été convoqué par un juge pour être entendue.
Finalement, est-ce que l’Observatoire des lieux de privation de liberté a sa raison d’être ?
Il a sa raison d’être, parce que la loi lui permet au moins d’accéder aux prisons sans qu’on puisse lui opposer un refus quelconque. Pour nous, c’est important parce que tout ce que nous ne pouvons pas faire, nous le signalons. Nous lui demandons de pouvoir prendre des actions immédiates. Généralement, on ferme la prison aux Ong, mais nous l’interpelons. Et à chaque fois, il envoie des missions sur place pour essayer de s’enquérir de l’état réel et de faire des recommandations au gouvernement. Maintenant, est-ce que ces recommandations sont prises en compte par le gouvernement ? Là, c’est un autre débat.
Des policiers impliqués dans le meurtre de Mamadou Diop sont condamnés par la justice. Etes-vous satisfait ?
On est très loin d’être satisfaits. Nous estimons que le meurtre de Mamadou Diop a été un meurtre particulièrement criminel. Qu’un camion de la police puisse foncer sur la foule et écraser quelqu’un et que les auteurs de ces actes passent devant un Tribunal correctionnel, c’est tout simplement inacceptable. Ils devaient aller en Assises comme les jeunes de Colobane et devaient être condamnés à de lourdes peines de prison. Malheureusement cela n’a pas été le cas. C’est du deux poids, deux mesures. Ce n’est pas acceptable en matière de justice.
Nous estimons aussi que ceux qui exerçaient le commandement doivent être jugés, parce que ce n’est pas que Mamadou Diop qui est décédé. Nous Amnesty, on a recensé de façon sûre et certaine au moins 7 cas de personnes décédées en 2012 dus aux violences électorales. Le M23 parle de plus de 20 cas. Le ministère de l’Intérieur de l’époque ne peut pas dire qu’il n’a aucune responsabilité. Ceux qui exerçaient le commandement non plus ne peuvent pas dire la même chose. Dans un système judiciaire où les gros bonnets passent à travers les mailles de la justice et que c’est seulement les petits gendarmes et policiers qui sont condamnés, ce système n’est pas juste.