Entre le 16ème et le 17ème siècle de notre ère, sur les terres sablonneuses du Kajoor, un homme devenu légendaire, nommé Kocc Barma, se distingua par ses aphorismes «anarchistes» et philosophiques qui finirent par traverser le temps. Au-delà des déformations, embellissements et grossissements propres à l’histoire mémorielle, que Kocc Barma ait été moins philosophe que Ndaamal Gossaas ou pas, le fait inédit est que «l’homme aux quatre touffes de cheveux» était le prototype de l’intellectuel antisystème. Il s’opposa alors par les mots, les concepts et les idées au Dammeel Daaw Demba Xureja Kuli, le plus grand tyran wolof.
La geste de Maajoor Joor Yaasin fils de la fameuse Yaasin Buubu, n’aurait jamais eue lieu si la posture intellectuelle anarchisante de Kocc n’avait pas envahi la société. Membre de la famille des Fall, il a été sans nul doute le premier «anarchiste aristocrate» bien avant Henrik Ibsen, le dramaturge norvégien, qui affirma la chose la plus terrible sur l’Etat : «L’Etat est la malédiction de l’individu. Il faut que l’Etat disparaisse. Voilà la révolution que je veux faire. Que l’on ruine le concept d’Etat, que l’on fasse du libre vouloir et des affinités le lien unique de toute association, et ce sera là le germe d’une liberté qui aura quelque portée. Modifier la forme du gouvernement n’est pas autre chose que de farfouiller parmi les rossignols d’une arrière-boutique.» Il ne s’agit pas de tomber comme d’habitude dans un comparatisme éculé dans le but de fonder une quelconque philosophie africaine, là n’est pas notre propos. Voilà tout simplement deux intellectuels parmi d’autres, comme l’américain Noami Chomsky, le palestinien feu Edward Saïd, l’Italien Toni Negri, le sémillant philosophe Slovène Slavoj Zizek, le vieux soixante-huitard français Alain Badiou, intemporels pourfendeurs de l’ordre. Mais il y en a qu’Antonio Gramsci, le philosophe italien, auteur des fameux «carnets de prison» appelle les intellectuels organiques qui participent de l’hégémonie culturelle. Aujourd’hui, tous ceux qui ont fait quelques études et qui tentent d’aider un pouvoir politique à créer une légitimité fondée sur les idées, sont appelés abusivement «intellectuels organiques». Un pouvoir a besoin d’avoir l’air intelligent. C’est la raison pour laquelle, des hommes qui ont fait des études, n’importe lesquels, même du «développement personnel», s’agglutinent comme des mouches autour du plat festif du pouvoir, poussés en cela par cette fascination quasi obsessionnelle des intellectuels pour le pouvoir politique. Mais il est plus juste de dire qu’un pouvoir doit être intelligent. C’est la quintessence de la conception platonicienne de l’exercice du pouvoir politique qui veut que le philosophe doit être roi ou que le roi devienne philosophe. C’est de l’esprit qu’il s’agit ici et non d’un savoir approximatif, fragmenté ou bien des idées mal comprises puisées par-ci et par là. Les anciens avaient la chance et le mérite d’avoir une grande culture générale, qui est l’école du pouvoir selon le Général Charles De Gaulle. Abraham Lincoln, qui a lu les monumentales «vies parallèles» de Plutarque et récitait Shakespeare de mémoire, Winston Churchill prix Nobel de littérature, De Gaulle écrivain talentueux, le Président Woodrow Wilson qui a élaboré la ligne doctrinale de la diplomatie américaine, Léopold Sédar Senghor poète émérite, furent des chefs d’Etat à profil, si l’on peut, dire intellectuel. Plus tard arrivèrent la cohorte des idéologues qui accompagnèrent les pouvoirs politiques. Ils sont savants, doués et un peu dangereux. Leur principale fonction est l’endoctrinement, ils sont souvent discrets mais par moments ils sortent de l’ombre. A ne pas confondre avec les penseurs de parti qui sont plus nobles. Ils ne conçoivent leur projet philosophique qu’à travers une organisation ou un courant politique. Ce sont des intellectuels brillants qui ont un projet individuel, quoique noble, d’influencer la société par leurs idées en influençant les organes politiques. L’intellectuel américain Milton Friedman, prix Nobel d’économie, s’est rapproché de Ronald Reagan pour réaliser et surtout expérimenter sa pensée économique. Le philosophe Régis Debray, compagnon de Che Guevara, a conseillé François Mitterrand qui disait : «Je suis le dernier grand Président français, du moins de la lignée de Charles De Gaulle. Après moi des avocats, des comptables et des ingénieurs vont diriger.» C’est le type aérien de l’intellectuel organique. Le Président Abdou Diouf a essayé avec le philosophe Souleymane Bachir Diagne. Il me semble que cela n’a pas marché. Je crois qu’il l’avait choisi par coquetterie politique. Le type inférieur est diplômé et même brillant mais il n’a pas d’idées politiques. C’est un simple expert, pauvre cafouilleux, qui n’a aucune conscience politique. Les experts qui gravitent autour du pouvoir politique ne sont pas forcément des intellectuels. Un intellectuel a une conscience de classe ou il ne l’est pas. Je ne connais aucun intellectuel du pouvoir actuel qui a la trempe de Babacar Sine, un ancien marxiste qui a dirigé, le cercle de réflexion du Ps d’alors. On ne sait pas si ses brillantes thèses sur la Nation ont été entendues. Quant au régime actuel, il souffre objectivement de ce déficit d’esprit que des fidèles tentent douloureusement de résoudre. N’est pas intellectuel qui veut !