Les audiences solennelles de rentrée des Cours et Tribunaux marquent le début de l’année judiciaire, avec des thèmes précis traités par un magistrat à qui, il revient l’honneur de prononcer le discours d’usage. Seulement, ces audiences civiles semblent de plus en plus servir de tribune pour le barreau et la magistrature pour solder leurs comptes. Et, à chaque fois, la question de la corruption dans la justice revient et divise ces acteurs clés du service public de la justice que sont les avocats et les magistrats. La preuve par les audiences solennelles de 2006 et 2010 où l’évocation de la corruption dans la magistrature respectivement par les bâtonniers Me Moussa Félix Sow et Me Mame Adama Guèye avait soulevé l’ire de l’ancien président Me Abdoulaye Wade. Quid de l’audience d’avant-hier, mardi 12 janvier qui, elle aussi, a été quelque peu «polluée» par les histoires, entre autres, de corruption au sein de la magistrature et du plaider-presse qui est en train de prendre le dessus sur le porter-presse chez les avocats ? Sud Quotidien revient sur cette gangrène qui a toujours pollué ces deux mamelles de la justice.
L’audience solennelle de rentrée des Cours et Tribunaux pour l’année 2016 d’avant-hier, mardi 12 janvier, sous la présidence du chef de l’Etat, Macky Sall, qui avait comme thème «Collectivités locales et contrôle de légalité» a été une tribune de transposition des divergences au sein de la justice sénégalaise, notamment entre magistrats et avocats, accentuées depuis la sortie de Me Mame Adama Guèye sur la corruption dans la magistrature.
Toutefois, ce n’est pas la première fois que cette audience civile serve de «podium» pour règlement de compte ou dénonciation de tares qui gangrènent un corps de ces acteurs de la justice. Et ce n’est encore pas la première fois que les appréciations et allégations de corruption divisent magistrature et barreau, en cérémonie de rentrée solennelle des Cours et Tribunaux au Sénégal.
En atteste, déjà le vendredi 13 janvier 2006, lors de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux, l’ex-bâtonnier de l'Ordre des avocats, Me Moussa Félix Sow, s’était permis d'effleurer le sujet de la corruption dans la justice. Même s’il n’avait pas manqué de reconnaitre que des magistrats honorables et d’autres personnes intègres exercent dans l’appareil judiciaire de ce pays. Et de relever que ces maux ne dataient pas de l’ère Abdoulaye Wade, l’ancien président de la République, mais ont aussi existé du temps du régime socialiste.
A la place des magistrats, c’est Me Abdoulaye Wade qui s’est senti concerné par cette peinture d’une image sombre de la justice sénégalaise. C’est ainsi qu’à l'instar de son ancien ministre de la Justice, Serigne Diop, qui ne voulait pas en entendre parler, Me Wade, en colère, dans une position d’offensé, avait demandé que les preuves des propos de Me Moussa Félix Sow soient portées à son attention.
AFFAIRE DES 15 MILLIONS DESTINES A… «ACHETER» UN VERDICT
Quelques mois plus tard, l’histoire a semblé donner raison au bâtonnier d’alors, avec l’éclatement d’une affaire de corruption qui avait éclaboussé le Temple de Thémis. Il s’agissait de l’affaire des 15 millions de F Cfa destinés à «corrompre des magistrats», dont un juge et ses deux assesseurs, ainsi que le Premier substitut du procureur de la République d’alors, pour «acheter» le verdict du procès de Momar War Seck poursuivi pour abus de confiance portant sur 130 millions F Cfa.
Et, face à la presse, le mercredi 12 juillet 2006, le bâtonnier Moussa Félix Sow qui n’avait jamais cessé de dénoncer la corruption au sein de la «famille judiciaire», avait averti: «si nous continuons à faire du «massla» (compromis), c’est la profession qui sera tuée (…) Il y a des avocats porteurs de valises et des magistrats corrompus. Depuis 2004, je dénonce le fait que le service public de la justice subit la corruption (…) Le cas d’aujourd’hui n’est pas extraordinaire. Si nous le disons c’est parce que nous en avons ras-le-bol».
Quatre ans après, le mercredi 13 janvier 2010, son collègue Me Mame Adama Guèye, porté à la tête du Conseil de l’Ordre des avocats, avait remis ça, toujours devant Abdoulaye Wade. Dans une plaidoirie crue et verte, Me Guèye, qui dénonçait également la corruption, avait déploré le fait que «certains acteurs parasites ont fait le choix de se servir de la justice au lieu de la servir». Il s’y ajoute, «l’absence de vision qui mène à un éternel recommencement dans les réformes», les «pressions extérieures» des politiques et dignitaires religieux, avait-il regretté.
Et Me Mame Adama Guèye de corser l’addition avec son constat d’une justice sénégalaise «inéquitable, lente, chère, complexe et source d’inquiétude et de désarroi», en définitive «d’une justice qui ne joue pas son rôle», qui souffre d’un «déficit de fiabilité» avec un «niveau d’incertitude élevé» et «certaines carences».
Et c’en était assez pour l’ancien président Abdoulaye Wade qui était rouge de colère.
MACKY CALME LE JEU…
Seulement, le fait nouveau, c’est qu’avant-hier, l’évocation de la corruption dans la famille judiciaire par le bâtonnier Me Amath Ba n’a pas fait sortir le chef de l’Etat et son ministre de Justice, présents à l’audience civile, de leurs gonds. Au contraire, Macky Sall et Sidiki Kaba ont appelé les acteurs de la justice à plus de retenue et à la sérénité, même si le président de la République, se reconnaissait dans les propos du juge Mamadou Badio Camara.
«Je ne ferai pas de commentaire sur l’état de la justice. Les propos éminents du Premier président de la Cour suprême suffisent amplement et je fais mien, ces propos. Sur cette question, il faut une discussion dans la sérénité et dans le respect de la dignité des institutions. Notre justice doit toujours être au service du développement de notre pays», a dit Macky Sall.
En effet, le bâtonnier a fait, avant-hier, le «procès» de la justice, dénonçant, entre autres maux, des abus dans la délivrance des mandats de dépôts, l’absence de débats contradictoire, les lenteurs administratives, l’impunité, les défaillances et instructions laborieuses… et la corruption. En guise de réplique au barreau, Mamadou Badio Camara, Premier président de la Cour suprême qui a déploré le fait que «la justice fasse l’objet de critiques parfois outrageantes et injustes», a souligné, chez les robes noires, la tendance qui fait que «le porter-presse a été remplacé par le plaider-presse».