Le contrôle de légalité est censé encadrer la liberté des collectivités locales de prendre leurs propres décisions. Mais ce principe reste ineffectif par la faute, à la fois, des exécutifs locaux et des représentants de l’Etat. Les premiers rechignent, les seconds ferment les yeux.
Le thème retenu pour la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux, cette année, est : ‘’collectivités locales et contrôle de légalité’’. Préposé au discours d’usage, le magistrat Biram Sène a fait le bilan de ce contrôle de légalité. Après l’examen du dossier, le substitut du procureur, près le Tribunal de grande instance hors classe de Dakar a procédé à une relecture des textes, avant de déceler des dysfonctionnements dans la pratique pour enfin proposer des solutions rectificatives.
Il ressort de son exposé que le Sénégal a entamé son processus de décentralisation en 1976. Au début, les collectivités locales ont été placées sous le contrôle de l’Etat. En 1996, il a été noté un semblant de libéralisation. C’est ainsi que le contrôle a priori a été levé pour un contrôle à postériori. Cependant, note M. Sène, cette volonté d’autonomisation est à relativiser. Car, il y a des actes qui n’entrent pas dans ce cadre. Il s’agit, entre autres, du budget, des conventions financières de coopération internationale et des affaires domaniales. Bref, les actes les plus importants de la vie des collectivités locales. Il est donc d’avis qu’il y a donc des efforts à faire pour autonomiser davantage les collectivités locales.
Par ailleurs, quand bien même les communes et conseils départementaux seraient autonomes, cela ne voudrait pas dire qu’ils sont indépendants. Il y a donc un contrôle de légalité auquel ils doivent se soumettre. Mais, ce principe est loin d’être effectif. A titre indicatif, seuls 7 actes, par an, ont été transmis, entre 1998 et 2001. Les raisons sont à chercher à la fois du côté des élus et des représentants de l’Etat.
S’agissant des collectivités locales, il a été relevé qu’elles rechignent à présenter les actes. ‘’Les rapports des représentants de l’Etat sur le contrôle de l’égalité sont unanimes pour considérer que le nombre d’actes transmis est faible’’, note M. Sène. En guise de preuves, en 2012, les 557 collectivités locales ont transmis 9 397 actes, soit une moyenne de 16,87% d’actes par collectivité locale et 1,40% par mois. En 2013, ce même nombre a été de 11 697, soit une moyenne de 1,75%. ‘’L’explication la plus partagée, croit savoir le juge, est que certaines collectivités locales prennent des actes et, pour des raisons diverses, s’abstiennent de les transmettre. Autrement dit, certains exécutifs locaux s’arrogent le droit de juger de l’opportunité de transmettre ou non certains actes’’. Ceci fait que généralement, les gouverneurs, préfets et autres sous-préfets ne sont informés de certains actes que lorsqu’il y a litige au cours de l’exécution.
Toutefois, il serait grave, si l’on en croit M. Sène, de prendre les équipes municipales pour les seuls fautifs. Les représentants de l’Etat ont aussi leur part de responsabilité. En effet, il a été relevé que ces derniers n’exercent pas toujours leur rôle, quand ils sont sollicités. ‘’Ce moyen (le contrôle) pour si efficace, mis à la disposition des représentants de l’Etat pour faire corriger à une autorité locale les erreurs qui se seraient glissées sur ses décisions, est très rarement utilisé’’, souligne le rédacteur du discours d’usage. Par exemple, sur 1 025 actes soumis en 2004, seuls les 17 ont fait l’objet d’une demande de seconde relecture. Ce ratio s’est amoindri en 2005 avec 5 sur 1 936. Et là encore, les 5 actes émanent d’une même collectivité locale, la communauté rurale de GAE.
Parmi les explications possibles, note le juge, il y a la volonté pour les administrateurs civils de faire primer le dialogue dans leurs relations avec les exécutifs locaux. Mais il faut relever que ce choix n’est pas gratuit. Il tient à l’envergure politique et étatique du partenaire en face. ‘’La situation de cumul où l’élu local peut, concomitamment à ses fonctions au niveau local, se retrouver dans les plus hautes sphères décisionnelles à l’échelon national (ministre, directeur général, etc.) n’est pas de nature à faciliter aux représentants de l’Etat l’exercice de leur mission de contrôle’’.
Entre autres recommandations, M. Sène suggère la systématisation de la délivrance d’accusés de réception et d’arrêts d’approbation, établir un rapport annuel pour l’Assemblée nationale et surtout décentraliser les activités de la Cour suprême, étant donné que les recours ne sont pas toujours faitss du fait de la distance entre Dakar et les régions du pays de la durée de réaction de la Cour.
Le Chef de l’Etat prône le dialogue
Pour le Président de la République, ‘’si le contentieux exprime, certes, la vitalité de l’Etat de droit, la concertation permanente entre représentant de l’Etat et élu local est vivement recommandée’’. A son avis, la concertation ‘’préserve la sérénité nécessaire à l’harmonieuse conjugaison de la déconcentration et de la décentralisation’’. ‘’Il convient, donc, de privilégier le dialogue entre le représentant de l’Etat et l’élu local sur la propension à aller devant le juge’’, a insisté le Président Sall. Toutefois, il estime que le recours au juge est nécessaire, à défaut d’un dialogue. ‘’Il faut le faire car dans un Etat de droit le dernier mot revient au juge’’, a-t-il souligné.
De la même manière, le Président Sall considère que ‘’le faible taux de saisine des juridictions et la faiblesse du contentieux, souvent déplorés par les juristes, sont parfois un signe de bonne santé des relations sociales en général, des relations entre l’Etat et les citoyens en particulier’’. Mais toujours est-il que, ‘’le représentant de l’Etat dispose d’une marge de manœuvre qui lui permet d’éviter, autant que possible, le procès et de trouver un compromis avec l’autorité locale’’. Il s’y ajoute, selon les explications du Chef de l’Etat, il peut procéder ainsi en exerçant sa prérogative de suspendre, à titre provisoire, le caractère exécutoire des actes par la formulation d’une demande de seconde lecture adressée à l’autorité locale. ‘’Ce qui permet à celle-ci de pouvoir revenir sur les éventuelles illégalités décelées par le représentant de l’Etat’’, a-t-il souligné.