Le Porte-parole du Parti démocratique sénégalais (Pds) estime qu'il appartient au chef de l'Etat de se donner les moyens politiques et de s’entourer de toutes les garanties pour respecter ses engagements électoraux notamment la réduction du mandat. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Babacar Gaye souligne que ce sont les acteurs politiques et la société civile qui veulent le retour du quinquennat.
Monsieur le Porte-parole, le président de la République a annoncé, lors de son discours à la nation, un projet de réformes institutionnelles qu’il entend proposer aux Sénégalais. Quel commentaire en faites-vous ?
Les réformes à apporter aux institutions de la République constituent une forte demande du peuple des « Assises » dites nationales dont il a signé les conclusions en tant que candidat en 2012. Annoncer son intention de proposer des réformes plus d’une année après le dépôt du rapport de la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) est un pied de nez à Monsieur Amadou Mactar Mbow et aux membres de sa commission. Il a montré le peu de respect qu’il a pour ceux qui l’ont porté au pouvoir contre le président Wade à la suite d’un vaste complot financé avec l’argent de la corruption. Le Pds, tout en comptant les coups, sera aux premières loges pour le contraindre à engager une profonde réflexion sur ces questions d’intérêt national afin de réaliser un large consensus sur le type de système politique qui sied le mieux à notre société. En la matière, il n’a pas toutes les cartes en main pour jouer à sa guise.
La réduction du mandat figure parmi les points de la réforme. Peut-on parler de respect de la parole donnée ?
Pour l’instant, le président est dans les effets d’annonce et cherche à gagner du temps. En dépit de ses déclarations, Macky Sall souhaite poursuivre un mandat de 7 ans. Et tout son entourage ne travaille que sur ce scénario. Mais s’il pense que l’avis du Conseil constitutionnel pourrait le tirer d’affaire, il se trompe sur la détermination du peuple, au-delà du Pds, à s’opposer, par tous les moyens, à cette forfaiture à laquelle on nous prépare.
Les acteurs politiques et la société civile souhaitent, d’une part, la réforme des institutions et d’autre part, le retour au quinquennat. Il appartient au président de la République de se donner les moyens politiques et de s’entourer de toutes les garanties pour respecter ses engagements électoraux afin d’éviter au pays des troubles dont les conséquences seraient imprévisibles.
Quelle lecture faites-vous de la décision de soumettre le projet au Conseil constitutionnel et à l’Assemblée nationale ?
Le président Macky Sall ne peut pas faire autrement à moins de tordre le cou à la loi fondamentale. Car en vertu des dispositions de l’article 51 de la Constitution, la saisine pour un avis non conforme du Conseil constitutionnel est une obligation. Mais si l’on tient compte des commentaires de ses collaborateurs, nous avons l'impression que le pouvoir est en train de susciter un avis défavorable des 5 juges pour s’en prévaloir et revenir sur la réduction du mandat en cours de 7 à 5 ans.
Qu’attendez-vous du Conseil constitutionnel ?
Franchement, rien ne me surprendrait de ce Conseil constitutionnel dont tous les membres sont nommés par le président de la République. L’indépendance de la magistrature est loin d’être une réalité au Sénégal. Cependant, la souveraineté populaire est au-dessus de tous les pouvoirs publics. C’est une force irrésistible qui risque de balayer tout sur son passage en cas de besoin. Le « 23 juin » devrait servir à quelque chose.
Le conseiller juridique du président estime que le chef de l’Etat sera obligé de se conformer à l’avis des 5 sages. Partagez-vous cet argument ?
Pas du tout. Aucun juriste sérieux ne partage une telle interprétation. Le président Wade avait l’habitude de dire que l’on peut trouver partout des juristes-tailleurs. Pour le président, Ismaïla Madior Fall est un juriste-maître-tailleur. Il n’a rien à envier à Smalto ou à Cifonelli quand il doit défendre son fromage. Tous les professeurs confirmés de droit public des universités sont unanimes pour s’accorder sur le rôle du Conseil constitutionnel dont la saisine n’est qu’une formalité préalable avant l’organisation d’un référendum. Que cette formalité n’induit pas une décision contraignante qui lie le président de la République ; mais plutôt un avis afin de lever toute ambiguïté à propos du contenu de la question référendaire. C’est pourquoi on soupçonne le très spécial Conseiller du président de la République de préparer l'opinion à accepter un reniement sur la réduction du mandat en cours de 7 à 5 ans. Et pour cette cause, il oriente la réflexion sur la voie de la théorie de la Révision constitutionnelle par la voie parlementaire. La preuve, nulle part dans son discours, le président ne fait allusion au référendum qui est incontournable en la matière.
Si les élections se passent en 2017, le Pds sera-t-il prêt ?
D’abord permettez-moi de préciser que les élections se tiendront en 2017 ou ne se tiendront pas. Le Pds, en rapport avec ses alliés de la Coordination des partis de l’opposition, réfléchit sur les modalités de participer à ces consultations électorales. Depuis sa création en 1974, le Pds a toujours participé à la collecte du suffrage universel. Et pour 2017, nous nous organisons en conséquence.
Votre candidat purge une peine de 6 ans…
Ce n’est pas insurmontable comme handicap. Nous espérons que le régime tiendra compte des avis contraignants du Groupe de Travail des Nations unies sur la détention arbitraire pour libérer Karim Wade le plus rapidement possible. Au cas contraire, le Parti et ses alliés doivent intensifier la lutte encore timorée pour faire libérer tous les détenus politiques. Il ne doit pas y avoir de liberté pour les ennemies de la liberté.
Est-ce que le candidat sortant ne sera pas en avance sur vous ?
« Rien ne sert de courir, il faut partir à point », dit la fable. Le candidat sortant a contre lui l’incompétence, la déception des masses, l’usure du pouvoir, l’imputé, la « dynastisation » du régime, le chômage endémique des jeunes, la pauvreté, les scandales financiers et la corruption des élites politiques. Pour la première fois, un candidat sortant risque de ne pas se retrouver au deuxième tour.
Avez-vous un plan B ?
Pour l’instant non. Mais il ne faut surtout pas insulter l’avenir. Le moment venu, nous trouverons une solution si jamais le président Macky Sall s’entête à garder encore son principal challenger en prison.
Quid du coordonnateur, Oumar Sarr qui est aussi en prison ?
Oumar Sarr, secrétaire général national adjoint et coordonnateur du Pds a été arrêté pour un délit d’opinion qu’il aurait commis en flagrant délit dit le procureur. Le Pds estime que ce kidnapping procède de la volonté de Macky Sall de neutraliser le parti et réduire son opposition à la plus simple expression comme il l’a promis à Kaffrine. A cet effet, il instrumentalise la justice pour contourner toutes les règles de droit qui protègent le député Oumar Sarr. Comme il l’a fait avec Karim Wade, Toussaint Manga, Victor Sadio Diouf et tant d’autres responsables nationaux du Pds, Macky Sall pense que l’emprisonnement des leaders de l’opposition pourrait lui baliser la voie d’une réélection en 2017. Qu’il se détrompe, le Pds est une hydre à plusieurs têtes bien faites. Dans les jours qui suivent, un plan de résistance populaire sera mis en branle contre cette dictature rampante. Qu’il assume toutes les conséquences que pourrait engendrer la forme de lutte que l’opposition inaugurera.
Certains appellent Wade à rentrer au Sénégal. Vu son âge assez avancé, le président Wade peut-il encore vous apportez quelque chose ?
Ceux qui appellent au retour de Me Abdoulaye Wade manque d’ambitions et de perspectives pour le pays et pour le parti. Certes Me Wade est d’un apport incommensurable au bon fonctionnement du Pds, mais j’estime que nous avons les moyens intellectuels et politiques pour faire face au régime de Macky Sall sans que sa présence soit indispensable. Ses orientations et son appui à distance suffisent largement pour servir de viatique.
Pour vos adversaires le Pds ne peut pas exister sans Wade. Que répondez-vous ?
Ils ont tort ; car Me Wade n’est pas éternel et le Pds est une âme qui fait partie du patrimoine politique du pays. Après lui, il y a une vie pour le Sénégal.
Comment envisagez-vous le Pds sans Wade ?
Avec ou sans Me Wade, le Pds est obligé de se réformer et de mieux s’organiser autrement que par le passé pour au moins deux raisons. N’est pas Me Wade qui veut, l’échiquier politique s’est beaucoup métamorphosé. Il faut tenir compte de ces deux paradigmes pour encourager un leadership partagé et une direction plus démocratiquement constituée.
Le Pds n’a pas encore vidé la question des réformateurs. Malgré son expulsion, Modou Diagne Fada dit à qui veut l’entendre qu’il est du Pds ?
Certes la problématique de la réforme du parti n’est pas encore traitée avec la sérénité et le sérieux qu’il faut, mais les frondeurs ont entre temps beaucoup relativisé leurs positions. Si Modou Diagne Fada veut revenir au Pds, il sait par quelle procédure passer. En attendant, il ne fait plus partie du Pds.
Est-il possible d’unir la famille libérale et sur quelle base?
Oui, et c’est mon souhait le plus ardent pour la simple et bonne raison que ceux qui croient au libéralisme social implémenté en Afrique par Me Abdoulaye Wade représentent la majorité de la classe politique. Unis, nous reviendrons au pouvoir dès 2017. Mais il faut beaucoup d’abnégation, de sacrifices et de générosité entre les principaux leaders de cette famille politique. Je préfère un rassemblement à une unité organique.