Dans un rapport publié hier, le Fmi fait une projection de 5,1 % de croissance, en 2015 pour le Sénégal. Une semaine auparavant, le président Macky Sall avait annoncé, lors de son discours de nouvel An, un taux de 6,4 %. Afin d’apporter des éclairages, le Soleil a réalisé un entretien avec Boileau Loko représentant résident du Fmi, à Dakar. Ce dernier explique qu’il n’y a pas de contradiction entre les deux chiffres. La différence résulte simplement du fait que le taux projeté par le FMI provient d’un calcul arrêté en septembre 2015, alors que le taux de croissance de 6,4% prend en compte les 12 mois de l’année et ont intégré les performances de l’agriculture sénégalaise et de divers autres secteurs d'activités. Monsieur Loko précise que la prochaine mission du FMI attendue à Dakar à la fin du mois de février prochain, réévaluera à la hausse ses projections initiales sur le taux de croissance de 2015, après la prise en compte des éléments du dernier trimestre.
Dans un rapport publié hier, le Fmi table sur une croissance de 5,1% en 2015, alors que le président Macky Sall avait annoncé, lors de son discours de nouvel An, un taux de 6,4%. Comment expliquez-vous le décalage entre ces deux chiffres ?
J’ai suivi la déclaration du président de la République et du ministre de l’Economie et des Finances qui, tous deux, ont annoncé une croissance de 6,4 % en 2015. D’abord, je voudrais faire une clarification pour montrer qu’il n’y a pas d’inconsistance entre les deux chiffres. La dernière mission du Fmi au Sénégal remonte au mois de septembre. Et pendant cette mission qui a duré deux semaines [elle a pris fin exactement le 16 septembre 2015], le Fmi et les autorités sénégalaises ont fait une projection de croissance de l’ordre de 5,1 % en fonction des données qui étaient disponibles à l’époque. Evidemment, on fait des projections sur la base des données préliminaires qu’on a sur l’année, mais aussi sur l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs. Et les indicateurs que nous avions à notre disposition, en ce moment, nous permettaient de penser que le Sénégal aurait une croissance autour de 5 %, en 2015. Après cette mission, l’équipe du Fmi est repartie à Washington Dc et a écrit un rapport qui a été discuté au Conseil d’administration, au mois de décembre. Et, c’est ce rapport qui vient d’être publié, aujourd’hui [jeudi 7 janvier, Ndr]. Ce rapport basé donc sur des informations qui étaient disponibles au mois de septembre, dit que le taux de croissance est de 5,1 %. Maintenant, depuis le départ de l’équipe, en septembre, il y a eu de nouvelles informations dans les secteurs industriel, agricole et les services. Une équipe reviendra pour la deuxième revue, prévue entre fin février et début mars 2016. Elle fera de nouvelles estimations sur la base des informations qui seront disponibles. Nous, nous étions basés sur un certain nombre d’estimations, y comprise une croissance agricole de l’ordre de 5 % à 6 %. Il s’avère, aujourd’hui, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture que la croissance de ce secteur pourrait être plus élevée. La prochaine mission travaillera sur les nouveaux chiffres et réévaluera la situation pour faire une nouvelle estimation de la croissance.
Ce n’est pas la première fois qu’il y a un décalage entre les prévisions du Fmi et celles d’un gouvernement africain. L’année dernière, il y a eu un débat similaire en Côte d’Ivoire. Le Fmi utilise-t-il les mêmes indicateurs que ces gouvernements ?
Il y a une question conjoncturelle et une question structurelle. De façon conjoncturelle, dans les pays développés, il y a régulièrement des indicateurs disponibles qui permettent de mesurer la tendance de l’évolution de l’économie. Dans nos pays, ces indicateurs font souvent défaut. Vous convenez que des estimations faites au mois de septembre, sur la base de données qui remontent à fin juin, peuvent différer de celles basées sur les données de fin décembre. Le problème, ce n’est pas le décalage entre les données, mais quelle est la période couverte ? Bref, une projection dépend de l’information disponible. Plus vous avez d’informations sur l’année, plus les estimations sont bonnes. Au 31 décembre, on a plus de chance de faire une bonne estimation sur ce qui s’est passé durant l’année, qu’au 30 juin, parce qu’il y a plus d’informations. Quand on parle d’estimations et de projections, la chose la plus importante, ce sont les hypothèses de base. Et si vous vous rappeliez déjà, en septembre, on disait que la pluviométrie est bonne et que, peut-être, la croissance agricole sera plus forte. D’autres personnes estimaient, au contraire, qu’il pleuvait trop et que cela risquait de détruire ou d’empêcher la récolte de certaines cultures. Mon message consiste donc à dire que quand l’équipe arrivera en février-mars, elle travaillera avec les autorités sur la base des informations disponibles pour réévaluer le taux de croissance en 2015. Et, il se peut qu’à partir de ce moment, on révisera la croissance à la hausse.
Le rapport du Fmi avance aussi le taux de 5,9 % en 2016. Vous croyez toujours que les prévisions du gouvernement, qui table sur une croissance de 7% en 2016, sont atteignables ?
J’ai toujours été clair en disant que la réussite du Plan Sénégal émergent (Pse) n’est pas forcément liée aux investissements. Il y a aussi les réformes. Si les autorités font des efforts dans ce sens, notamment dans le domaine de l’énergie, du foncier, dans l’amélioration de l’administration publique, il n’y pas de raisons que le Sénégal ne puisse atteindre des taux de croissance de 6 % à 7 % dans le futur. Mais, une fois de plus, il y a des conditions à respecter. Il faut que les réformes qui sous-tendent ces projections de croissance soient mises en place. Elles ne doivent pas dépendre seulement de la pluviométrie. Ce n’est pas parce qu’il a beaucoup plu cette année, qu’il y a de la croissance. Il faut, dans l’agriculture, voir quels sont les investissements qu’on peut faire dans ce secteur. Est-ce qu’il y a des semences qui peuvent résister à la sécheresse ? Le pays doit être plus résistant face aux chocs exogènes comme la pluviométrie. Effectivement, nous avons prévu, pour le moment, 5,9 % de croissance pour 2016. Mais quand les membres de l’équipe du Fmi reviendront en février 2016, ils rediscuteront avec les autorités sénégalaises pour réévaluer le taux de croissance en fonction des dernières informations disponibles. Cela permettra de voir si les taux (5,1 % en 2015 et 5,9 % en 2016) que nous avons publiés dans notre rapport sont toujours d’actualité.
Outre le taux de croissance, il y a d’autres agrégats économiques tels que le déficit budgétaire, l’inflation dont le Fmi tient beaucoup à la réduction. Les ambitions affichées par le Sénégal pour ces indicateurs sont-ils réalisables ?
Pour le déficit, nous sommes toujours sur la même ligne (à savoir 4,6 % en 2016). Je me permets de clarifier encore un point. Le but n’est pas de réduire le déficit. Le plus important dans ce que nous faisons avec les autorités, c’est comment on peut améliorer la qualité des dépenses. On voudrait, aujourd’hui, qu’il y ait plus de dépenses qui aillent vers des domaines productifs, les investissements physiques, mais aussi vers les investissements en capital humain. Est-ce que la qualité de l’éducation au Sénégal est celle qu’on veut ? Idem pour la santé, la bourse de sécurité familiale, les infrastructures. Il ne s’agit pas seulement de réduire le déficit, il est aussi nécessaire de travailler pour une meilleure utilisation des ressources du pays. Nous travaillons également avec l’Etat pour voir comment est-ce qu’on peut collecter plus de recettes sans augmenter le taux d’imposition. Nous travaillons à augmenter la base taxable. Il faut tout faire pour ouvrir l’espace économique aux entreprises notamment les Pme et le secteur informel. Les gens ne voudront payer leurs impôts que si on leur propose des services en contrepartie.
L’inflation, c’est l’ennemi des pauvres. Ce sont eux qui souffrent d’abord de cette situation. Non les riches. Nous restons dans des projections d’inflation qui devraient être en dessous des 3 % fixés par la norme communautaire de l’Uemoa. L’inflation devrait rester entre 1 et 2 % à moyen terme, d’après nos prévisions.
Quelle est la contribution du Pse dans le taux de croissance actuel ?
Quand nous avons fait nos projections au mois de septembre 2015, nous avions tablé sur certaines réformes ou certains investissements du Pse. On avait anticipé en disant que si un certain nombre de projets et de réformes est mis en œuvre, on pourrait atteindre une croissance de 5,1 % en 2015. Maintenant, la révision faite par les autorités est basée, pour le moment, sur le fait que la production du secteur agricole serait plus forte par rapport à ce qui avait été prévu. Oui, nous pouvons dire qu’une partie de la croissance est expliquée par le Pse notamment les grands projets qui sont en cours de réalisation et qui vont augmenter dans les services.
S’il y a une amélioration que j’ai constatée au Sénégal, depuis que je suis là, c’est dans les statistiques du ministère de l’Economie. Qu’il s’agit de la Direction de la prévision et des études économiques (Dpee) ou de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), il y a beaucoup d’efforts qui ont été consentis par ces structures pour avoir des données statistiques. Les autorités ont pris la décision d’être transparentes et de mettre à la disposition du public, les informations disponibles. C’est aux techniciens de faire un travail sur la base de ces informations pour voir quel est l’impact sur la croissance. Je me réjouis du fait que la production agricole ait augmenté ; que ce pays puisse produire plus de riz et d’arachide.
Est-ce que les services du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan vous ont informés de leurs prévisions sur une croissance de 6,4 % ?
Il y a des informations que le ministère de l’Agriculture nous avait données. Nous attendons d’avoir des informations sur tous les secteurs et d’avoir tous les détails pour travailler ensemble et voir quel sera l’impact sur la croissance. Nous pouvons donner notre avis sur les chiffres avancés par les autorités, notamment l’Ansd. L’Etat a jugé nécessaire d’informer le public sur l’évolution plus positive que prévue du secteur de l’agriculture. Nous allons prendre en compte les chiffres et voir quel est leur impact sur le taux de croissance global. Si le secteur agricole croit à plus de 6 %, toute chose égale par ailleurs, dans les autres secteurs, on devrait avoir une croissance plus forte que 5,1 % en 2015.
Dernièrement, il y a eu une controverse sur le supposé classement du Sénégal comme 25ème pays le plus pauvre du monde par le Fmi. Pouvez-vous éclairer la lanterne des Sénégalais sur cette question ?
Il n’a pas de rapport qui dit que le Sénégal est classé 25ème pays le plus pauvre dans le monde. Il y a, en revanche, un rapport qui donne tous les chiffres des pays du monde. A partir de ces chiffres, si l’on fait le classement en fonction de l’indicateur utilisé, on peut classer le Sénégal de façon différente. Si l’on utilise, par exemple, le Pib par tête, en tenant en compte de la Parité de pouvoir d’achat (Ppa), le Sénégal ne sera pas parmi les 25 pays les plus pauvres. Si l’on utilise le Pib en FCfa, le Sénégal, non plus, ne fait pas partie des plus pauvres. Pour des moyens de comparaison, généralement, on utilise le Pib en dollar et en tenant en compte du Ppa. Lorsqu’on utilise cet indicateur, le Sénégal n’est pas parmi les plus pauvres. Il est au-dessus d’un certain nombre de pays.
Quel est son classement exact ?
Le plus important n’est pas que le Sénégal soit classé comme l’un des plus pauvres. Le plus important, c’est que les autorités se sont rendu compte que le taux de croissance du Sénégal, au cours des trente dernières années, n’était pas suffisamment élevé pour permettre de sortir les gens de la pauvreté. Il y a encore un Sénégalais sur deux qui vit au dessous du seuil de pauvreté. Le plus important, c’est comment nous allons travailler avec les autorités pour une mise en place effective du Pse pour atteindre des taux de croissance plus élevés.
Nous assistons actuellement à une forte baisse du prix du baril de pétrole. Pourquoi il n’y a pas encore de répercussion sur le prix à la pompe ?
Au Sénégal, les besoins sont immenses en termes d’éducation, de santé. Il y a encore 42 000 contractuels de l’éducation qui doivent être intégrés dans la fonction publique. La baisse du prix du pétrole va générer des ressources. La question qu’on doit se poser, c’est de savoir : est-ce que c’est la population qui a directement senti la baisse des prix ou l’Etat qui, pendant cette période de repli des coûts, récupère ces recettes qui découlent de la baisse pour les utiliser dans le financement de ses projets. Il s’agit d’un choix que chaque pays est libre de faire. Les autorités du Sénégal ont fait le choix de garder une partie de cet argent sous forme de recettes pour financer l’économie. D’autres pays ont décidé de répercuter la totalité de la baisse aux consommateurs.
Propos recueillis par Seydou KA et Abdou DIAW