Ouvert le 20 juillet 2015, avant d’être suspendu jusqu’au 7 septembre dernier, la première partie du procès d’Hissein Habré a été clôturé, avec l’audition du dernier des témoins, le mardi 15 décembre 2015. Il ne reste plus maintenant que le réquisitoire du Procureur général et les plaidoiries des deux parties (civile et défense) opposées à partir du 8 février 2016, avant le verdict final. Cependant, démarré avec pompe et même surmédiatisé, avec une couverture médiatique presque mondiale, à ses premières heures, le procès Habré a perdu de son… ampleur au fil des 4 mois qu’a duré la première phase. «L’Afrique qui juge l’Afrique», ou l’Afrique qui juge un de ses anciens chefs d’Etat, n’était plus l’attraction et ne faisait plus les choux gras des radios, télés, journaux et sites d’information ou presque. L’Intérêt était ailleurs. Qu’est-ce qui explique cet effritement de l’engouement suscité par l’affaire Habré ? Eléments de réponses avec des acteurs clés au procès de l’ancien président tchadien.
MARCEL MENDY, COODONNATEUR DE LA CELLULE DE COMMUNICATION DES CAE : «On ne peut pas reprocher aux Sénégalais de ne pas s’intéresser à ce procès»
Les Sénégalais n’ont rien à avoir avec le procès d’Hissein Habré. Ce qui justifie ce «désintéressement». C’est ce qu’a relevé, le Coordonnateur de la Cellule de communication des Chambres Africaines Extraordinaires (Cae). Selon Marcel Mendy, cette affaire est «tchado-tchadienne». Elle ne concerne le Sénégal que par accident de l’histoire. «Ce sont les tchadiens qui ont porté plainte. La plupart des victimes sont du Tchad», a-t-il rappelé. Pour lui, si le Sénégal est impliqué dans cette affaire, c’est parce que tout simplement, le procès est organisé sur ses terres et qu’il y a des victimes sénégalaises notamment Abdourahmane Gaye et la dame Demba Gueye.
Pour Marcel Mendy, l’engouement noté juste au début peut s’expliquer par les faits nouveaux constatés dans le procès. «C’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat soit jugé en Afrique. Ensuite, au Sénégal, on n’a jamais vu des vidéos conférences dans un procès. Les gens ont voulu savoir comment est-ce possible. Cette curiosité a fait que nous avons pu enregistrer une certaine affluence dans la salle 4 du Palais de Justice au début du procès», a dit Marcel Mendy.
MBAYE SENE, AVOCAT D’HISSEIN HABRE : «Les gens se sont rendus compte, très vite, que c’était une farce»
Selon l’avocat d’Hissein Habré, Me Mbaye Sène, le désintérêt manifesté au fur et mesure que le procès Habré perdurait se justifie par son manque d’importance. «Les gens se sont rendus compte, très vite, que c’étais une farce. Il n’y a que des gens qui viennent raconter des histoires du matin au soir. Et les gens ont été dégoutés. Le public a déserté la salle. Les journalistes ne trouvaient plus d’intérêt à venir. C’était un seul son de cloche: des gens qui venaient raconter des histoires qu’ils n’ont jamais vécues».
Mieux, estime Me Mbaye Sène, l’acte d’accusation n’a été fait que pour charger l’ancien président tchadien. «L’enquête n’a pas été faite à décharge. Tous ceux qui ont été entendus, l’ont été pour charger Hissein Habré. L’accusation n’a pas cherché du tout à entendre des témoins à décharge. On l’a toujours décrié. Même le dernier témoin qui a été entendu et que les gens ont voulu présenter comme étant un témoin de la défense, n’est pas un témoin de la défense. C’est un témoin de l’accusation. Seulement, nous avons constaté que chaque fois qu’il a été programmé pour comparaitre, le parquet nous a servi une version que nous ne comprenions pas du tout, pour expliquer son absence. Nous avons insisté auprès de la Chambre africaine extraordinaire d’assises pour que le parquet fasse tout pour le faire comparaitre, c’est tout. Mais il n’est pas notre témoin. Il n’y pas eu de témoins de la défense. Tous ont été entendus à charge», a-t-il-déploré.
Me ASSANE DIOMA NDIAYE, AVOCAT DES VICTIMES D’HISSEIN HABRE : «C’est normal..., on aurait souhaité une plus grande assiduité des étudiants en droit, universitaires et politiques»
On ne peut pas reprocher aux Sénégalais de ne pas s’intéresser au procès d’Hissein Habré qui a clos cette semaine sa première partie. L’avis est d’un des avocats des victimes Me Assane Dioma Ndiaye. «C’est normal. C’est un procès qui intervient dans un contexte de rupture de la territorialité. Les Sénégalais n’étaient pas intéressés par rapport aux faits pour lesquels Hissein Habré comparait», a-t-il-dit. Cependant, il déplore le fait que le procès ne soit pas assez suivi par les universitaires, les hommes politiques ainsi que les étudiants en droit. «L’intérêt que le procès pouvait avoir est l’historicité. C’est-à-dire le fait que les Sénégalais puissent y assister par souci de mémoire ou par une adhésion à un procès qui est fait dans le sens de la préservation (de la dignité) de l’homme. Parce qu’il s’agit d’un procès qui intervient dans un contexte de combat contre l’impunité. De ce point de vue, nous sommes déçus. Personnellement, je suis très déçu de constater que cela n’a pas suscité un intérêt de la part des universitaires et des hommes politiques sénégalais. On aurait souhaité une plus grande assiduité des étudiants en droit pour assister au procès. Peut-être, il y’aura pas de procès de ce genre dans l’histoire du Sénégal et africaine».
S’agissant des témoignages que les avocats de la défense estiment qu’ils ont été plus à charge, Me Assane Dioma Ndiaye soutient: «le témoin, c’est celui qui a vu ou a entendu. Donc, on ne peut pas faire un reproche à l’accusation d’avoir fait venir simplement des témoins à charge. On a fait venir des personnes qui travaillaient avec Hissein Habré. Ces personnes n’étaient pas, à priori, des témoins à charge. Ce sont des personnes qui devaient témoigner si ce qui s’est passé était de la réalité ou non. Quand on dit qu’il n’y a pas eu de témoins à décharge, cela voudrait dire qu’on aurait aimé avoir des personnes qui disent que tel fait n’est pas avéré. Or, toutes ces personnes ont dit que tout ce qui a été dit est vrai parce que personne, au Tchad et à travers le monde, ne peut dire qu’il n’y a pas eu la Dds (Direction de la documentation et de la sécurité). Tout le monde savait que la Dds était chargée de traquer des supposés opposants du régime d’Hissein Habré afin de les torturer et de tirer des renseignements».
Selon Me Assane Dioma Ndiaye, même les avocats de la défense n’ont pas contredit l’existence des faits reprochés à leur client. Ils se sont contentés, estime-t-il, de dire qu’il n’était pas au courant des faits qui lui sont reprochés. «Ce que les avocats ont essayé d’établir est: même s’il y a eu toutes ces violations et répressions ethniques, Hissein Habré n’était pas au courant. Les avocats d’Hissein Habré n’ont jamais cherché à nier comme un témoin à décharge l’aurait fait. Même le dernier témoin appelé à la barre a dit: c’est vrai qu’Hissein était méticuleux et travaillait bien, mais pour tout ce qui touche à son pouvoir, il était prêt à tout».