Dans son adresse à la Nation, le président de la République a annoncé 15 mesures censées ‘’moderniser, stabiliser et consolider notre démocratie, renforcer l’Etat de droit et améliorer la gouvernance des affaires publiques’’. Sur ces réformes déclinées, le ministre-conseiller, chargé de la communication de la Présidence El Hadji Kassé affirme que certaines sont issues des Assises nationales, d’autres de Yonu yokkuté et les dernières d’inspirations présidentielles. Le chef de l’Etat avait pourtant mis en place une commission nationale de réforme des institutions (Cnri) dirigée par Amadou Makhtar Mbow.
Ce dernier et son équipe avaient déposé leurs conclusions. Lesquelles avaient d’ailleurs valu à Mbow une volée de bois vert de la part des responsables du parti présidentiel, l’APR. Macky Sall lui-même pas forcément enthousiaste de ce qu’on lui avait présenté avait promis de ne prendre en compte que ce qui lui semble utile. Avec les nouvelles mesures annoncées, l’opinion se focalise sur la réduction du mandat du Président. Mais il y a lieu de revisiter les recommandations de la Cnri pour voir ce que le chef de l’Etat a bien voulu prendre et ce qu’il a préféré ignorer.
En ce qui concerne la constitution, la Cnri prévoyait à ce qu’il y ait ‘’dans la constitution des domaines non révisables (...). Il s’agit des principes de la République et de l’Etat de droit, des principes de souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale, de la séparation des Pouvoirs, de la laïcité, de la durée et du nombre de mandats du Président, (…)’’. Cette proposition a été bien intégrée puisqu’elle correspond à la mesure 15 du chef de l’Etat. ‘’L’intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine, la laïcité, le caractère indivisible, démocratique et décentralisé de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République’’, énumère le chef de l’Etat.
La Cnri avait préconisé également à ce que ‘’des règles de succession du Président de la République en cas de vacance du pouvoir, du calendrier électoral et des mandats électifs’’ soient parmi les principes immuables. Une indication pas retrouvée dans le discours du Président. Sur le plan politique, Macky Sall prévoit ‘’la modernisation du rôle des partis politiques dans le système démocratique et le renforcement des droits de l’opposition et de son Chef’’. Il oublie la normalisation. Les personnes consultées avaient en effet estimé ‘’qu’un parti politique ne peut pas rester cinq ans sans participer à une élection. Obligation doit leur être faite de participer aux élections et d’avoir au moins 5% de l’électorat, sous peine de dissolution’’. Face à cet oubli, on peut logiquement se demander combien de partis de la coalition macky2012 sont capables d’avoir 5% de l’électorat.
Par ailleurs, les plus grandes réformes préconisées par la commission et oubliées par Macky Sall concernent le secteur de la justice. Dans ce domaine, Macky Sall indique 4 propositions à faire : ‘’La soumission au Conseil constitutionnel des lois organiques pour contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation ; l’augmentation du nombre des membres du Conseil constitutionnel de 5 à 7 ; la désignation par le Président de l’Assemblée nationale de 2 des 7 membres du Conseil constitutionnel ; l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel pour donner des avis et connaître des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel’’.
Désignation des magistrats par leurs pairs
Ainsi, il oublie plusieurs recommandations de la Cnri allant dans le sens du renforcement de l’indépendance de la justice. Dans la synthèse des conclusions, au chapitre ‘’séparation et équilibre des pouvoirs’’, il est écrit ce qui suit : ‘’S’agissant du Judiciaire, les citoyens ont beaucoup insisté sur la nécessité de confier la désignation des magistrats à certains postes à leurs pairs, mais aussi et surtout, sur celle de mettre fin à la présidence par le Président de la République du Conseil supérieur de la magistrature. C’est avec une insistance particulière que les citoyens sont revenus sur cette dernière proposition’’.
Ce n’est pas tout, puisque un autre point a particulièrement intéressé les Sénégalais, si l’on en croit la commission. ‘’Mais, à n’en pas douter, la proposition la plus récurrente ici est celle qui demande la révision de la formule ‘’Ministère de la justice’’ et la mise en place d’une structure indépendante dirigée par un magistrat choisi par ses pairs et dont le nombre de mandats est inférieur ou égal à deux (2). A défaut, les citoyens préconisent la formule d’un Ministre de la justice ne militant dans aucun parti politique’’. Si toutes ces propositions ne sont pas à inscrire nécessairement dans la Constitution, certaines doivent l’être tout de même, alors qu’elles ne sont pas prévues par le Président Sall dans son projet de réforme qui sera soumis au peuple.
Ce qui est valable dans le pouvoir judiciaire l’est aussi pour le législatif. Là également, les citoyens ‘’préconisent dans une large mesure la suppression de la liste nationale (scrutin proportionnel), l’établissement d’un profil standardisé du député par l’exigence d’un niveau minimum d’instruction. Ils préconisent également l’élection du Président de l’Assemblée nationale pour une durée égale à celle de la législature’’. Quant au chef de l’Etat, il parle ‘’d’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques’’. Mais en aucun moment, il ne mentionne le mandat du président de l’Assemblée nationale ou la suppression des listes proportionnelles.
Appel à candidature pour les postes de direction
Bien que le Président dispose d’un pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi, ses compatriotes veut que ces prérogatives soient mieux encadrées. De ce fait, ils réclament, à travers la Cnri, ‘’l’instauration de l’appel à candidature pour la nomination aux postes de direction dans l’Exécutif ainsi que le respect des critères de compétence et de hiérarchie dans la nomination des personnels des différentes administrations’’. ‘’Ils préconisent que le droit de dissoudre le Parlement soit strictement encadré’’, ajoute le rapport. De même, les Sénégalais veulent qu’un contenu soit donné à la notion de ‘’haute trahison’’, une notion qu’ils jugent vague.
Autant de recommandations qui n’ont pas trouvé apparemment une oreille présidentielle attentive. Est-ce dû au fait que beaucoup de ces dispositions touchent aux prérogatives du Président ? Ce qui est sûr, c’est que si ces propositions étaient validées, cela réduirait fortement les possibilités du chef de l’Etat de servir une clientèle politique. Evidement la loi organique peut être un recours efficace pour prendre en compte un grand nombre de ces innovations, mais le Président est formel. ‘’ Je prendrai dans son contenu ce que je jugerai bon’’, déclare Macky Sall. Or, il est évident que ce qu’il jugera bon risque d’être très subjectif, et peut-être aussi très partisan. Mieux encore, renchérit-il lors d’un voyage en Chine en février 2014, ‘’il n’y a aucune contrainte, aucun délai. Je prendrai le temps nécessaire’’. Celui des intérêts politiciens ?