Le Sénégal a atteint un taux de croissance de 6,4%, en 2015, selon les autorités étatiques. Mais, certains économistes ne croient pas à un tel cadeau de nouvel an du gouvernement. Ils estiment que le Sénégal ne dispose pas d’une économie forte qui permette de passer d’un taux de croissance de 4,7 à 6,4%, d’une année à l’autre.
À quel taux de croissance se fier ? Après le discours de nouvel an du président de la République Macky Sall qui vient de confirmer un taux de croissance de 6,4%, le débat reste toujours d’actualité. Comment le Sénégal, qui était à un taux de 4,7% en 2014, peut, en une année, atteindre un taux de croissance de 6,4% ? Le Directeur exécutif du Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (Cacid) n’est pas convaincu par ce taux annoncé par les autorités. Dans une contribution rendue publique, Cheikh Tidiane Dièye est même formelle : ‘’c’est techniquement impossible, quelle que soit la qualité de l’hivernage’’. ‘’Le ministre de l’Economie ne semble pas savoir que l’économie sénégalaise Sénégal est strictement incapable de passer de 4,7% en 2014 à 6,4% en 2015, soit près de 2 points de croissance d’une année à l’autre’’, souligne M. Dièye, par ailleurs membres de l’initiative citoyenne Ci la Bokk.
Pr Kassé : ‘’Un débat facile à trancher…’’
Un taux de croissance de 6,4% en 2015 paraît ‘’irréaliste’’, pour Malick Sané, professeur à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’université Cheikh Anta Diop. Cependant, pour Moustapha Kassé, doyen honoraire de la Faseg, le débat est facile à trancher. Ceux qui donnent les chiffres (gouvernement) doivent justifier leurs données. ‘’C’est facile de venir et dire qu’on a un taux de croissance de 6%, 7%. On doit spécifier la croissance, c’est-à-dire donner la part du secteur agricole, de l’industrie, des services…La somme de tout cela donne le PIB, et la moyenne, le taux de croissance’’, explique l’auteur de l’ouvrage ‘’L’économie du Sénégal, les 5 défis d’un demi-siècle de croissance économique’’.
Pourtant, le gouvernement fonde son argument sur la bonne tenue de la campagne agricole de 2015 et la mise en œuvre des projets structurants du Plan Sénégal émergent (Pse). Un argumentaire qui ne convainc pas pour autant le professeur Malick Sané. A son avis, 2 points de croissance, du fait seulement de la pluviométrie, ‘’paraît trop léger’’. Car ajoute-t-il, l’économie sénégalaise ‘’se porte très mal’’ avec beaucoup d’entreprises en difficulté, un ‘’secteur touristique dans une situation délicate. Il note la même chose dans le secteur de la pêche. Tout cela lui fait dire : ‘’ à l’état actuel de l’économie sénégalaise, annoncer une croissance de 6,4% me paraît excessif’’. Il ‘’ne voit pas les bases d’une croissance si forte’’.
D’ailleurs, Cheikh Tidiane Dièye, dans sa contribution, estime que ‘’la fausseté de ce chiffre est tellement flagrante’’. Il ajoute que c’est ‘’l’obsession du bilan qui a pris le dessus sur le raisonnable’’. M. Dièye rappelle que, récemment, en octobre 2015, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) a fixé le taux de croissance à 5,4%. Pourtant dans ses calculs, dit-il, l’Ansd avait ‘’pris en compte l’amélioration de la production dans le sous-secteur agricole, entre autres. La Banque mondiale, le 16 novembre 2015, a fixé un taux de 5%. Il en est de même pour le Fonds monétaire international qui a avancé le même taux’’.
Le syndrome de 2013
Toutefois, ce n’est pas la première fois qu’on assiste à une polémique sur le taux de croissance. En 2013, le débat avait opposé le ministère de l’Economie et des Finances avec le même Amadou Ba et l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. Cette dernière avait avancé un taux de croissance de 2,6% sur cette période. Le ministre Amadou Ba avait lui annoncé une croissance de 3,5%. Ce débat avait duré, avant d’être vidé. Selon le professeur Moustapha Kassé, si les statistiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (l’Insee), en France, sont crédibles, c’est parce que ce dernier est indépendant du pouvoir politique. Or, dit-il, pour le cas du Sénégal, l’Ansd et de la Dpee sont dépendantes du ministère des Finances.
En outre, si on regarde l’évolution du Produit intérieur brut du Sénégal, entre 2001 et maintenant, c’est seulement en 2003 que le Sénégal a affiché un taux de croissance de plus de 6%. 6,7% plus exactement. L’année suivante, le taux était à 5,9%. Ensuite, la courbe a été descendante jusqu’à atteindre 1,8%, en 2011. Elle est ensuite repartie à la hausse pour atteindre 4,7% en 2014. Toutefois, le Professeur Sané muance pour dire que le Sénégal peut atteindre un taux de croissance de 6,4%. Mais, cela ‘’ne peut pas se faire sur un laps de temps’’. Pour atteindre cet objectif, il invite autorités à ‘’améliorer les réformes, remettre sur pied l’industrie sénégalaise et le tourisme’’. Il s’y ajoute la ‘’réduction du coût de l’électricité’’ et le ‘’remboursement de la dette intérieure’’. ‘’Tout cela constitue des éléments d’appréciation qui devront permettre, par la suite, à l’économie sénégalaise de pouvoir bénéficier d’un environnement favorable sur lequel les entreprises pourront s’appuyer’’, renseigne le professeur à la Faseg.