Les conditions de travail sont parfois difficiles à l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra). Et pour cause, les recherches se font dans des laboratoires hérités des colons. C’est Dr El Hadji Traoré, maître de recherches, par ailleurs directeur scientifique de l’Isra qui en fait la révélation dans cet entretien. Mais cela n’empêche pas cet institut, grâce au savoir-faire de ses chercheurs, de répondre au mieux aux requêtes du gouvernement et des agriculteurs. Il assure que dans bien des domaines, l’Isra a donné des résultats satisfaisants, mais méconnus des Sénégalais. Le chercheur a, en outre, laissé entendre que depuis un an la grille salariale des chercheurs d’Isra a été revue à la hausse pour garder et encourager les chercheurs qui se sont rués ces dernières années dans les nouvelles universités agricoles
Est-ce que l’Isra dispose des moyens pour remplir ses missions de développement agricole?
L’Isra est d’abord un établissement public à caractère scientifique et technologique crée depuis 1974. C’est à cette date que l’Etat a regroupé les structures héritées de la colonisation qui faisaient de la recherche pour en faire un institut de recherche agricole dénommé l’Isra. Nous intervenons principalement dans 5 domaines majeurs qui intéressent le monde rural. Il s’agit du domaine de recherche des productions végétales, c'est-à-dire de la production des céréales, des légumes, des productions horticoles. Dans ce domaine, nous faisons tout ce qui est recherche, création végétale, production de semence, politique agricole etc. Nous sommes également dans le domaine de la recherche concernant les productions de la santé animale. Là nous travaillons sur tout ce qui est de la santé animale. Nous avons aussi un autre domaine de recherche qui concerne la production halieutique (la pêche) et l’aquaculture. Cela veut dire que nous travaillons dans le domaine maritime, de la pêche océanographique. Le quatrième domaine de recherche concerne les productions forestières, c'est-à-dire, la gestion de l’environnement, la domestication des fruitiers en forestier, le raccourcissement des cycles. Enfin, un cinquième domaine de recherche qui est beaucoup plus transversal, c’est les politiques agricoles. La sociologie et l’écologie en milieu rural. Maintenant, l’Isra a-t-il les moyens? Il faut relativiser. L’Etat soutient l’Isra par les salaires que nous recevons. Et de temps en temps, certains programmes que l’Etat juge prioritaires et qu’il finance. Mais la recherche au Sénégal s’autofinance à travers les fonds à compétition pour la recherche agricole. C’est à travers des fonds de recherches que les bailleurs de fonds mettent en compétition que l’Isra arrive à répondre aux besoins du Sénégal. Nous allons compétir pour ces fonds lancés par les bailleurs dédiés aux activités de recherche et qui font appelle à compétition. Par exemple, le Fnra qui est un fonds national qui finance la recherche agricole, l’agrosylvopastoral et l’agroalimentaire. Souvent, nous avons eu à gagner beaucoup de projets au niveau de ce fonds. Nous avons beaucoup d’ambitions. On ne peut pas dire que nous avons assez d’outils pour faire la recherche. Mais nous travaillons à répondre à la requête venant des producteurs ou de l’Etat, avec les moyens dont nous disposons. Nous avons besoin de laboratoires performants. Nous faisons le tout pour que ces laboratoires soient à jour.
Aujourd’hui, de quoi Isra à réellement besoin pour relever les défis de la recherche ?
Je peux dire que nous avons besoin de laboratoires adéquats qui coûtent des millions pour être en phase avec l’avancée technologique dans le domaine de la recherche agricole pointue. Nous héritons des laboratoires des colons, pour la plupart du matériel en place. Ce qui rend le travaille assez difficile.
A combien est estimé l’apport de l’Etat dans ce domaine?
Ce serait difficile de donner un chiffre exact. Peut-être l’administration de l’Isra dispose des chiffres exacts. En tant que directeur scientifique, je ne peux que donner les chiffres que nous avons dans les projets de recherche. Là je peux dire que annuellement, c’est pas moins de 2 milliards à 3 milliards que nous drainons comme activités de recherches qui viennent principalement des bailleurs de fonds nationaux comme internationaux. Mais l’apport de l’Etat est multiforme. Il participe de manière conséquente pour que la recherche puisse se mener. Bien attendu nous avons besoins encore d’être soutenu. Par exemple dans le domaine du recrutement d’autres chercheurs.
A combien estimez-vous le nombre de chercheurs Sénégalais dans le domaine agricole ?
Nous ne sommes pas la seule structure qui fait de la recherche agricole. L’université en fait. Certaines institutions comme l’Ita en font etc. A l’Isra, si nous prenons les chercheurs séniors et ceux qui les accompagnent, nous avons environ 150 chercheurs. Si nous ajoutons les étudiants de thèse que nous encadrons, nous serons peut-être 200.
Les chercheurs sénégalais son-ils intéressés par la recherche agricole ?
La recherche est un métier contraignant. Parfois, vous n’avez pas trop de temps pour faire des missions. Donc, je peux dire quand on accepte de faire la recherche, c’est parce que l’on aime le métier. D’abord, pour la recherche, il faudrait étudier beaucoup. Pour moi, les chercheurs du Sénégal, en générale et ceux de l’Isra en particulier aiment le métier. Quand on travaille quelque part, il existe 3 facteurs essentiels qui vous motivent : l’intérêt du métier, l’environnement et le gain. Lorsque ces 3 facteurs sont réunis, je pense que la personne peut bien faire son métier. Pour l’Isra, l’année passée, le traitement salarial n’était pas conséquent et nous avons enregistré beaucoup de départs vers les nouvelles universités créées. C’est logique. Parce que les chercheurs ont le niveau de formation que les enseignants. Et le traitement salarial est meilleur dans les universités. Mais l’Etat a très bien compris et avec le directeur de l’Isra, le traitement a été revu à la hausse. Aujourd’hui, en tant que responsable de l’Isra, nous faisons de notre mieux pour que le l’environnement de travail soit agréable.
Aujourd’hui, peut-on dire que la relève est assurée?
Nous avons mis en place des allocations de recherches. C’est un fonds de la Banque mondiale qui nous permet de faire des appels à candidature chaque année pour des étudiants qui sont inscrits en Master ou en thèse et qui explorent des sujets qui intéressent l’Isra. Ces gens-là, que nous préparons restent 3 à 4 ans à l’Isra. Ce qui fait que même si on ne leur recrute pas immédiatement, nos choix portent sur eux pour des éventuels recrutements. Par conséquent, on peut considérer que c’est une relève qui est là et que nous sommes en train de préparer.
Comparé à la sous région, peut-on dire que le Sénégal dispose d’assez de ressources pour le développement agricole ?
C’est vrai, la recherche compte beaucoup pour le développement agricole. Mais elle n’est pas la seule. Comparé, à la sous région comme vous dites, nous ne devons pas trop nous plaindre. Sur le plan de traitement salariale et de gestion de carrière, nous faisons partie des institutions de recherche de la sous région les mieux loties. Il y a dans certains pays que je ne veux pas citer, les chercheurs ne sont pas alignés au même rang que les enseignants. Ils ne sont même pas admis au Cames. Par conséquent, la gestion de leur carrière n’est pas trop statique. Sur le plan matériel, l’Isra a la chance d’hériter des matériels de recherche de la colonisation. Elle nous à laissé un patrimoine de matériel de recherche qui n’est pas facile à trouver dans d’autres pays. Du matériel que l’Etat a amélioré avec des laboratoires performants et modernes.
Le Sénégal (Isra) et la Corée du Sud (Koïca) coopèrent dans bien des domaines, notamment dans le développement agricole. Quel est le niveau de l’apport des Coréens à l’Isra?
L’Isra a une coopération très suivie avec beaucoup de pays. Il a un portefeuille de coopération fourni avec de nombreuses universités occidentales. Pour le cas de la Corée, depuis quelques années, ce pays nous invite pour mettre un cadre de coopération très suivi. Cette coopération est matérialisée à travers trois dispositifs. Le premier c’est à travers l’Agence coréenne de coopération (Koïca). Récemment nous avons signé avec elle un mémorandum pour un point de recherche sur le riz d’une valeur de 600 000 000 F Cfa, pour 2 ans. Bien avant, nous avons travaillé avec Koïca sur la production horticole et rizicole notamment dans la zone de la vallée du fleuve Sénégal. A part Koïca, la Corée a un autre domaine de coopération avec nous. C’est l’aide qu’il apporte aux pays d’Afrique de l’Ouest pour lutter contre la sous alimentation à travers le développement de l’agriculture. Le troisième domaine de coopération avec la Corée, c’est avec le financement des activités de recherches. Avec la Corée du Sud nous avons une coopération très soutenue en matière de recherche. Les chercheurs des deux pays effectuent des visites de travail réciproques.
Dans quel domaine la Corée du sud s’investit mieux présentement?
La Corée intervient surtout dans le domaine de la riziculture. Elle nous aide beaucoup pour atteindre l’autosuffisance en riz d’ici à 2017 en apportant son expertise. Ce pays est autosuffisant. Elle est aussi productrice de riz de qualité. La Corée nous assiste aussi dans le domaine de la recherche d’arachide.
Le président de la République Macky Sall parle d’autosuffisance en riz d’ici 2017. Pensez-vous que cela est possible?
Oui, pour ce qui est de notre ressort en tant que Institut de recherche agricole. Nous avons le devoir de fournir ou de mettre à disposition des agriculteurs les bonnes qualités de semence, en fonction des régions, des zones et des périodes entre autres. Aujourd’hui, cela est possible. Mais, faut-il le rappeler, pour y arriver, il faut nécessairement la synergie d’actions de toutes les composantes y afférentes. Et ça, la tutelle s’y affère. D’ailleurs, les perspectives agricoles de 2015 confirment la dynamique. La Corée du Sud nous assiste également à trouver certaines variétés d’oignon, et d’arachide qu’on essaye de tester ici pour faire des croisements. Donc voilà trois priorités phares sur lesquelles la Corée du Sud nous aide, à savoir l’ognon, l’arachide et le riz. La Corée nous aide aussi dans le domaine de la pêche.
Isra est-il en phase, en matière de production de riz, avec les Sénégalais?
Les sénégalais aiment le riz parfumé, tout simplement parce qu’ils ont été amenés à aimer ce riz. Mais, le riz de la vallée est beaucoup plus riche que ce riz parfumé importé. L’Isra ne s’en tient pas là. Nous travaillons à améliorer la qualité du riz, ce qui est de notre ressort. Par contre, c’est au gouvernement de mener cette politique consistant à promouvoir le consommé local. Nous avons un riz local d’excellente qualité.
Mais les Sénégalais sont-ils au fait de vos recherches ?
Oui, c’est vrai! Mais nos recherches (Isra) nous valent beaucoup de satisfaction Dans bien des domaines, nous avons donné des résultats satisfaisants. Par exemple dans la production animale. On conserve les gènes de maladie qu’on a isolés pour pouvoir faire des vaccins animaux. Des choses très difficiles, mais les gens ne peuvent pas le savoir. Ils voient les effets mais ne savent que cela vient de l’Isra. Ainsi dans bien des domaines nous avons fait des résultats honorables.
Est-ce que l’Isra dispose de matériaux adéquats pour conserver les semences?
Aujourd’hui, il n’y a pas de crainte que l’on perde certaines semences. Nous avons des endroits de stockages et de conservation des semences qui doivent être renforcés. Nous faisons la conservation des produits. Nous avons des banques qui nous permettent de conserver toutes variétés animales ou végétales pour que demain qu’on puisse, en cas de besoin, les reprendre et les travailler. En revanche, nous travaillons à répondre aux politiques de l’Etat. Et je crois que leur défi majeur est consigné dans le Plan Sénégal Emergent (Pse), qui est traduit sur le plan pratique par le Programme de relance et d’accélération de la croissance agricole du Sénégal (Pracas). Et ça, nous y travaillons tous les jours pour apporter notre contribution à la réalisation de ses objectifs.
Aujourd’hui on a pu mettre à jour des variétés qui font 75jrs, 80jrs, 90jrs Et pour celles qui font 120 jrs, nous les avons déplacées vers le sud parce que le front arachide s’est déplacé vers le sud, maintenant à Médina Yoro Foula. Et en Casamance, on fait beaucoup d’arachide qu’on ne faisait pas il y a 20 ans, 30 ans. Maintenant ces zones font l’arachide parce qu’il pleut beaucoup là-bas.
Votre Institut coopère avec l’Agence coréenne de coopération internationale (Koïca), sur quoi se fonde cette coopération?
Il faut d’abord préciser que la (Koïca) est une agence de coopération internationale comme Usaid ou l’Agence française de coopération. Cette coopération qui se manifeste à travers trois institutions ou dispositifs, est une coopération très dynamique qu’il convient de souligner avec force.
Le premier dispositif, c’est que la Koïca vient de signer avec le Sénégal (Isra) un mémorandum pour un projet de recherche sur le riz d’une valeur d’environ 600.000.000F CFA pour une durée de deux ans. Mais bien avant cela, nous avons déjà travaillé avec Koïca dans beaucoup de domaines de recherches comme la recherche rizicole, et des positions horticoles notamment l’oignon dans la zone de la vallée du fleuve Sénégal.
Le second dispositif, la Corée essaye d’aider les pays de l’Afrique à lutter contre la pauvreté, la sous-alimentation à travers le développement de l’agriculture. Cet institut s’appelle CAFACI. Là également le Sénégal est membre de ce consortium d’Etats africains. Je signale au passage que je suis membre de ce comité scientifique (CAFACI) et le directeur actuel de l’Isra, est vice-président de ce comité entre la Corée et certains Etats africains.
Le troisième instrument, c’est ce qu’on appelle COPIA, qui est un centre de coopération bilatérale entre la Corée et un Etat africain. A travers le monde, il y a en seulement 20 dont 6 en Afrique. Et parmi les 6, l’unique centre COPIA pour l’Afrique de l’ouest se trouve au Sénégal. Ce centre est basé dans les locaux de l’Isra à Hann et participe (COPIA) au financement des activités de recherche entre la Corée et le Sénégal. Actuellement, ce centre intervient dans quatre activités de recherche (projets de recherche), dont 1 projet sur le riz, 2 projets sur l’arachide et un projet de démonstration. Et la semaine prochaine, nous allons nous réunir pour évaluer le travail qui a été fait après un an de mise en place de ce projet avec la Corée du sud.
Dans cette dynamique, les chercheurs Sénégalais de l’Isra visitent régulièrement la Corée et de façon réciproque nous recevons également nos collègues coréens pour discuter. Très souvent, sur proposition de la Corée, nous abritons beaucoup de manifestations internationales dans le domaine de la recherche entre la Corée et l’Afrique.
De manière spécifique dans quel domaine la Corée assiste Isra?
L’appui de la Corée est multidimensionnel. Elle nous appuie dans les domaines techniques, notamment dans la sélection de la variété, du transfert de compétences en matière de riz et dans la recherche de la bonne graine d’arachide. Mais plus spécifiquement dans la riziculture, une volonté du chef de l’Etat d’atteindre l’autosuffisance en riz en 2017.
Depuis 1998 l’Isra a édité son projet d’entreprise ou " la recherche agricole sénégalaise à l’horizon 2015". C’est quoi, ce projet ?
A partir de document majeur, nous avons régulièrement évalué notre parcours et panifier nos activités futures, c’est-à-dire mettre en œuvre un ensemble de stratégies comme disent le militaires, pour arriver aux objectifs que nous nous fixions. Pour paraphraser Peter Drucker, "la planification stratégique (strategic planning) est le processus continu de réalisation des décisions entrepreneuriales (comportant une prise de risque) et en fonction de la plus grande connaissance de leur évolution future, l'organisation systématique des efforts nécessaires pour mettre en place ces décisions et mesurer le résultat de ces décisions par rapport aux prévisions grâce à un feed-back organisé et systématique". Il faut donc planifier mais aussi évaluer.
Mais pourquoi un nouveau plan stratégique?
Au-delà de la fin de vie du "document de projet d’entreprise", une réflexion stratégique s’impose à l’Isra. D’abord, il nous faut des orientations stratégiques nouvelles à développer pour assurer des recherches de qualité, hautement appréciées et, répondant aux attentes du peuple et des autorités sénégalais, mais aussi susceptibles d’influencer le développement agricole au-delà des frontières nationales, symbole du rayonnement international de l’Institut.
De manière précis nous avons initier une démarche en six étapes, à savoir revisiter et analyser les derniers plans stratégiques, étudier les documents de politiques nationales comme le Plan Sénégal Emergent avec son volet agricole dénommé Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture (Pracas) et tous les documents de politiques de développement agricole, afin d’éditer des termes de référence; organiser des ateliers sectoriels au niveau de nos différents centres et, laboratoires et unités avec la participation de tous les acteurs au développement ; retrouver en atelier de synthèse après ces ateliers sectoriels pour en faire la synthèse; organiser un forum avec tous nos partenaires (politiques, financiers, techniques, organisations socioprofessionnelles…) pour échanger sur notre analyse; présenter un draft au Comité scientifique et technique (Cst) de l’Isra pour avis et conseil et enfin; présenter le premier draft au Conseil d’administration (Ca) de l’Isra pour validation. Nous sommes en train de préparer le draft qu’il faudra présenter en janvier 2016 inch’Allah au CA pour validation. Mais avant cela, ce draft sera encore lu pour le Cs de l’Isra.