La politique au Sénégal a connu de nombreux soubresauts en 2015. Une année marquée par plusieurs frondes dans les grandes formations politiques, une transhumance accrue et une absence de dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Le tout couronné par l’entrée en vigueur de l’Acte 3 de la décentralisation qui a fini par ouvrir les hostilités entre élus locaux et travailleurs des collectivités locales.
Les frondes. 2015, année de la prise de conscience ou de la révolte. Les grandes formations politiques sénégalaises ont dû faire face à beaucoup de départs. Des démissions dues aux ambitions de plus en plus affichées de la frange jeune, et à un besoin de prendre la relève pour mener à bon port un parti essoufflé. Mais c’était sans compter avec la détermination de la vieille garde de ces formations politiques…
Au Parti démocratique sénégalais, c’est l’enfant de Darou Mousty, Modou Diagne Fada qui a mené la fronde pour demander au maître, Abdoulaye Wade, la restructuration du parti , la tenue d'un congrès, et le renouvellement des instances de la base au sommet. Une requête qui n’enchantera pas certains libéraux. Mais, le président du Conseil départemental de Kébémer sera reçu par le ‘’pape du sopi‘’ le mardi 9 juin 2015. Et comme on pouvait si attendre, la rencontre tourne au vinaigre.
Le président du groupe parlementaire des Libéraux et démocrates est accusé de '‘traîtrise’’, de ‘’pro Macky’, de ‘’tricheur et de corrompu’’ par ses camarades de parti. La bataille entre l’ancien ministre de la Santé sous Wade et ses ‘’frères’’ se poursuivra jusqu’à l’Assemblée nationale. En effet Diagne Fada est sommé de céder le fauteuil de président de groupe parlementaire à l’ancienne mairesse de Bambey, Aida Mbodji. Il oppose un niet catégorique et sera finalement exclu du parti, le vendredi 16 octobre 2015 par la commission de discipline. La page Fada venait ainsi d’être tournée par le Pds. Une issue fâcheuse qui fait suite à celle de l’ancien baron et dernier Premier ministre sous Wade. Le maire de Guinguineo, Souleymane Ndéné Ndiaye, qui avait refusé de s’aligner derrière le candidat Karim Wade a préféré quitter la maison du père pour former son parti dénommé l’Union Nationale pour le Peuple (UNP).
La situation est presque similaire à l’Alliance des forces de progrès (Afp). La décision du secrétaire général, Moustapha Niasse, de soutenir la candidature de Macky Sall à la prochaine élection présidentielle va entraîner des départs. Et pas les moindres. L’ex-numéro 2 du parti et ancien ministre du Commerce, Malick Gakou, claque ainsi la porte pour créer son ‘’Grand Parti’’ (Gp). Une nouvelle formation politique qui vient s’ajouter à la longue liste des partis politiques au Sénégal. Avec cette formation, il a presque sillonné le pays pour sa massification.
Référendum
En 2012, lors de la campagne pour la présidentielle, le candidat Macky Sall avait promis de ramener son mandat de 7 à 5 ans une fois à la tête du pays. Une promesse que tient à lui faire respecter son opposition. La sortie du ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo avait remis le débat sur la table. L’incertitude sur la tenue d’un référendum en mai 2016 pour la réduction du mandat présidentiel avait fait couler beaucoup de salive. Lors de la célébration de l’université républicaine, le Président Macky Sall avait déclaré que personne ne pouvait le contraindre à organiser un référendum. ‘‘J’ai pris la décision de réformer la Constitution et de réduire mon mandat mais attendez de voir ce que je vais proposer. Chaque jour des voix s’élèvent dans les médias soi-disant des experts pour dire que le référendum n’est pas nécessaire. Attendez que l’on pose le débat, cette polémique ne fera pas varier ma position tant que les autorités compétentes n’ont pas pris de décisions’’, avait recadré le Chef de l’Etat. Mais cela n’a pas pour autant clôt le débat sur cette question.
Acte 3 de la décentralisation
Si au départ, l’objectif était d’organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable à l’horizon 2022, la réforme a connu beaucoup de revers. La reconversion des communautés rurales en communes fait que beaucoup d’entre elles n’arrivent pas à supporter les charges de fonctionnement en milieu rural. Au niveau des zones urbaines, c’est la communalisation intégrale, d’où la nécessité, selon les élus locaux, de clarifier les compétences qui restent à la ville et celles qui reviennent aux communes et à la répartition de taxes qui peuvent être collectées par ses deux ordres de collectivités locales. Dans son diagnostic, l’Amicale des administrateurs civils avait décelé des difficultés liées à l’insuffisance des ressources financières des élus locaux, aux ressources compétentes qui leur permettent d’avoir une meilleure prise en charge du développement local.
Au cours d’une assemblée générale, les 19 maires de la ville de Dakar avaient dénoncé les rigueurs de cette réforme ‘‘ scélérate aux insuffisances sociales terribles et qui occasionne la perte de certains acquis sociaux’’. On assiste à la réduction des capacités financières des municipalités tandis qu’au même moment la masse salariale gonfle. ‘‘ Avant l’entrée en vigueur du Code général des collectivités locale, la ville de Dakar allouait une dotation annuelle de 2,4 milliards de FCFA répartie entre les 19 communes suivant des critères démographiques. Mais pour l’année 2015, les dotations de l’Etat s’élèvent au cinquième de la dotation de la ville de Dakar quelle est censée remplacer’’, dénonçaient les élus locaux de Dakar. A l’arrivée, les travailleurs des collectivités locales sont constamment en mouvement d’humeur. Fraîchement nommé, le ministre de la Gouvernance locale, de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales, Abdoulaye Diouf Sarr avait installé un comité d’évaluation, afin de déceler les failles de l’acte 3 de la décentralisation et de les résoudre. Et mieux préparer le passage à la deuxième phase de la réforme.
Emprisonnement des cadres de l’opposition.
Les libéraux n’ont pas connu une année apaisée en 2015. En plus de l’interdiction de plusieurs de leurs manifestations, ils ont dû faire face à de nombreuses arrestations également. Le cas le plus frappant est celui de leur candidat Karim Wade condamné à six ans de prison pour enrichissement illicite le 23 mars, deux jours après avoir été investi candidat des libéraux à la prochaine présidentielle. Wade fils ne sera pas le seul à connaître les rigueurs carcérales. S’ensuivront l’avocat Me Amadou Sall, relaxé plus tard, Mamadou Lamine Masaly relaxé par la suite. Pendant ce temps, Victor Diouf du Mouvement des élèves et étudiants libéraux (Meel), Toussaint Manga de l’Union des jeunesses travaillistes et libérales (Ujtl) et récemment le coordonnateur du parti, Oumar Sarr, perdu par l’affaire Lamine Diack, croupissent tous en prison. Une situation qui rend de plus en plus utopique le dialogue entre Macky Sall et l’opposition. Celle-ci s’est regroupée dans une nouvelle structure, le cadre de concertation (C20) pour mieux défendre sa cause.
Transhumance
La coalition présidentielle Benno Bok Yakaar a enregistré de nombreux adhérents dont la plupart était de l’ancien régime. Pour certains, le jeu est clair : en contrepartie d’une adhésion et d’un soutien, le transhumant garde ses privilèges ou échappe à une condamnation pour faute de gestion des deniers publics. C’est ainsi que Awa Ndiaye et Innocence Ntab Ndiaye ont tourné le dos au navire libéral. Sitor Ndour qui avait juré sur tous les saints de ne jamais intégrer la maison marron-beige s’est rétracté. Après un compagnonnage avec les régimes précédents, l’Union pour le renouveau démocratique (Urd) effectue un énième revirement et dépose ses baluchons dans le camp de la mouvance présidentielle.
Son leader Djibo Ka a été nommé lundi passé président de la Commission nationale du dialogue et des territoires (Cndt). Son ralliement a été longuement décrié par quelques membres de Macky 2012 dont Jean Paul Dias. Ces ‘‘opportunistes’’ qui n’ont jamais gagné leurs bastions, au contraire ont toujours été battu à plates coutures semblent être encouragés par Macky Sall qui n’a qu’un objectif : massifier sa coalition. Taxé comme l’instigateur de la transhumance, le chef de l’Etat donnait son propre cas en exemple. ‘‘J’étais au Parti démocratique sénégalais. A un moment donné je me suis retiré pour créer mon propre parti. Quel est le problème si d’autres quittent leur parti pour rejoindre l’Alliance pour la république ? ’’.