Le journal Le Monde s’est procuré les déclarations de Lamine Diack, l’ancien président de la fédération internationale, mis en examen pour corruption, auprès des enquêteurs. Le dirigeant sénégalais y explique comment il a reçu de l’argent de la part de la fédération russe à des fins politiques.
Le journal Le Monde, daté de ce samedi, révèle les aveux passés par Lamine Diack, l’ancien président de la fédération internationale (IAAF), mis en examen pour ’’corruption passive’’ et ’’blanchiment aggravé’’, face aux enquêteurs de l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales. Le Sénégalais, 82 ans, explique dans le détail la procédure qui lui a permis de recevoir de fortes sommes d’argent de la part de la fédération russe.
Au départ, il s’agissait pour Diack de s’opposer à Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, lors des élections présidentielles et législatives de 2012. «Je vous ai dit qu’il fallait à cette période gagner la ’’bataille de Dakar’’, c’est-à-dire renverser le pouvoir en place, a-t-il raconté. Il fallait pour cela financer notamment le déplacement des jeunes afin de battre campagne, sensibiliser les gens à la citoyenneté. (…) J’avais donc besoin de financements pour louer les véhicules, des salles de meetings, pour fabriquer des tracts dans tous les villages et tous les quartiers de la ville.»
«C’est (Valentin) Balakhnichev (le président de la fédération russe) qui a organisé tout ça»
Au même moment se pose le problème d’athlètes russes aux passeports biologiques anormaux et donc sous la menace de suspension pour dopage. Avec Habib Cissé, son conseiller juridique, et Gabriel Dollé, le responsable du département médical et antidopage de l’IAAF, tous deux également mis en examen pour ’’corruption passive’’, Lamine Diack couvre les pratiques dopantes et retarde les suspensions, en échange d’argent.
«Nous nous sommes entendus, la Russie a financé, déclare-t-il au juge Van Ruymbeke, chargé de l’instruction. C’est (Valentin) Balakhnichev (le président de la fédération russe) qui a organisé tout ça. Papa Massata Diack (l’un des fils de Lamine Diack) s’est occupé du financement avec Balakhnichev. (...) Quand j’ai sollicité une aide de la part de Balakhnichev, je lui ai dit que pour gagner les élections, il me faudrait environ 1,5 million d’euros. (...) Il m’a dit : ’’On va essayer de les trouver, il n’y a pas de problème’’.» Ce que Valentin Balakhnichev a démenti, toujours dans Le Monde : «Ni moi ni ma fédération n’avons été impliqués dans une telle discussion ou affaire avec M. Diack. Ce type de business n’est pas de notre intérêt et pouvoir. Nous ne pouvons pas interférer dans les affaires intérieures du Sénégal.»
«Il fallait reporter la suspension (d’athlètes russes)»
En 2012, Abdoulaye Wade a perdu les élections présidentielles au Sénégal au profit de Macky Sall. El Hadj Kassé, le ministre chargé de la communication de la présidence, a déclaré n’avoir reçu «aucun financement de Lamine Diack et a fortiori de la Russie». Concernant la suspension des athlètes russes, Lamine Diack a reconnu que l’IAAF était au même moment en négociation pour ses droits de sponsoring, avec notamment deux entreprises russes, la chaîne de télévision RTR et la banque publique VTB.
Donc il «fallait reporter la suspension (…) après les championnats du monde de 2013 (organisés Moscou). (...) S’il n’y avait pas eu de droits de télévision, de droits marketing, et si des athlètes avaient été suspendus, c’était la catastrophe.» Diack a alors expliqué que Habib Cissé avait été «chargé de remettre personnellement les courriers de notification des passeports biologiques anormaux à Balakhnichev», opération qui ralentissait la procédure de suspension. Ce que Habib Cissé a nié.
«J’ai accepté de ralentir la procédure la concernant (Lilya Shobukhova, la marathonienne)»
Et, pour que les passeports douteux soient traités le plus tard possible, Lamine Diack a rencontré Gabriel Dollé en janvier 2012 à Monaco, de l’aveu même du médecin français. «Il m’a été suggéré pour le cas de dopage de (la marathonienne) Lilya Shobukhova d’être accommodant afin de ralentir la procédure, dit-il, lui aussi dans Le Monde. A cette époque-là, il y avait des discussions avec un sponsor et Papa Massata Diack, et il m’avait dit qu’une mauvaise publicité nuirait aux négociations avec ce sponsor, dans la perspective des Jeux de Londres. J’ai accepté de ralentir la procédure la concernant.» Selon Le Monde, Dollé a d’abord touché 50 000 euros puis 140 000 euros (dont 90 000 des mains de Lamine Diack).
Au sein de l’IAAF, on a toutefois commencé à s’interroger sur la participation de certains athlètes russes aux JO de Londres, sur le fait que Gabriel Dollé fermait régulièrement sa porte quand il recevait des appels téléphoniques ou qu’il demandait des infos supplémentaires sur Lilya Shobukhova. Lamine Diack a déclaré à ce sujet que «Papa Massata Diack a donné de l’argent (à certains membres de l’IAAF) pour les faire taire et qu’ils ne s’opposent pas». Notamment cités, Cheikh Thiaré, le directeur de cabinet de Diack, et Nick Davies, le chef de presse, ont démenti avoir reçu de l’argent. Gabriel Dollé, lui, a regretté «de s’être laissé entraîner». Papa Massata Diack, de son côté, est toujours recherché par les enquêteurs.