Après les collectivités locales elles-mêmes, c’est au tour des patrons sénégalais de dénoncer les conséquences de l’Acte 3 de la décentralisation. Hier, les Assises de l’entreprise ont servi de tribune au président du Conseil national du patronat (Cnp) pour demander la fin des taxations abusives.
L’Acte 3 de la décentralisation ne fait décidemment pas que des heureux. Après les communes qui crient famine, c’est au tour du secteur privé sénégalais de donner de la voix. L’édition 2015 des assises de l’entreprise, qui s’est ouverte hier à Dakar, a servi de tribune au président du Conseil national du patronat (Cnp) pour faire un réquisitoire contre cet approfondissement de la décentralisation qui donne de nouveaux pouvoirs aux collectivités locales. «Nos collectivités locales manquent de ressources financières et l’entreprise suscite bien des appétits», indique le président du Cnp, Baïdy Agne, avant d’énumérer une multitude de dérives découlant de cette situation. «Nos élus locaux augmentent les taxes, et certaines à plus de 500%, sans respecter la loi fixant les minima et maxima autorisés. Ils créent de nouvelles taxes : taxe sur les téléviseurs installés dans les chambres d’hôtels au motif d’occupation du domaine public, taxe sur les distributeurs automatiques de billets et sur les dépliants des banques destinés à leur clientèle… Ils instaurent des droits de passage et des droits de stationnement sur les véhicules de livraison d’une commune à une autre…Ils fixent des redevances d’occupation du domaine public aux concessionnaires de services publics… L’Entreprise est livrée à 557 délibérations municipales… et on nous demande de fermer les yeux sur les décrets et textes réglementaires. Non ! Nous ne pouvons garder le silence…», martèle M. Agne. Ces situations qu’il décrit, d’autres patrons les ont aussi dénoncées au cœur d’un panel autour du thème : «Le contentieux fiscal et l’arbitrage fiscal.»
Devant cette levée de boucliers, aussi bien le Premier ministre, Mahammad Boun Abdallah Dionne, que le ministre de l’Economie, des finances et du plan, ainsi que le Directeur général des impôts et domaine (Dgid) ont tenté d’apporter des réponses. «Le secteur privé a un problème par rapport a ce qu’on peut appeler la parafiscalité. Le processus de décentralisation donne aux collectivités locales la possibilité de créer des taxes», explique Amadou Ba. Il ajoute que son ministère va travailler avec celui en charge de la Décentralisation pour «qu’il y ait plus de rationalisation quand à la création de ces taxes qui ne sont pas régies par les dispositions du Code général des impôts et qui n’entrent pas dans les caisses de l’Etat central». Du côté de la Dgid, on dégage en touche. Selon Amadou Abdoulaye Badiane, directeur de la Législation, des études et du contentieux de la Dgid, le problème se situe au niveau de la répartition, puisque la Dgid ne s’occupe que de l’assiette. «L’Entreprise ne refuse pas de s’acquitter de ses impôts et taxes. Les difficultés budgétaires de nos collectivités locales, nous les comprenons. S’il faut mettre à niveau nos décrets et textes, faisons-le ensemble... S’il faut fixer de nouveaux barèmes, pourquoi pas, mais en harmonisant autant que possible la fiscalité locale, soit au niveau départemental, soit au niveau national… Nous sommes ouverts à la concertation», assure M. Agne. Dans son discours, le Premier ministre n’a pas ainsi manqué d’apaiser les craintes des entrepreneurs. «Suite à mes instructions, le ministre de la Gouvernance locale, du développement et de l’aménagement du territoire a mis en place un cadre de concertation tripartite (Etat-collectivités locales-secteur privé) qui a déjà démarré ses travaux», apaise le Premier ministre.
Pression fiscale
Il faut dire que l’impôt local n’est pas la seule préoccupation des patrons sénégalais. En effet, avec un budget de plus de 3 000 milliards, le Sénégal table sur ses recettes fiscales et douanières qui doivent représenter quelque 1721 milliards de francs Cfa, soit 57% du budget. «Notre Etat augmente le budget de 5,96%, ensuite il fixe des objectifs de hausse des recettes et de recouvrement d’impôts directs de 9,41% ainsi que d’impôts indirects de 6,59% (...). Mais si (cette) croissance n’est pas au rendez- vous dans une entreprise, que notre inspecteur des impôts de proximité et aussi celui des douanes épargnent au moins cette entreprise-là d’une pression fiscale punitive et confiscatoire», plaide Baïdy Agne.
Pas de panique, répond le ministre de l’Economie. «Le budget 2016 ne prévoit pas une hausse de la fiscalité. Nous comptons sur la modernisation de nos services et sur l’élargissement de l’assiette. C’est-à-dire que la fiscalité actuellement applicable soit respectée par tout le monde», indique Amadou Ba.