Jusque-là, l’Armp n’avait présenté que des rapports portant sur des marchés passés à l’époque où le Président Wade décidait du sort de tous les ministres et Dg de ce pays. Pour cette fois-ci, la période de temps concernée par les marchés à l’étude ne porte dans son intégralité que sur la gestion du régime en place, donc sans excuse. Il en ressort, malgré les formules de circonstance, que les choses ne bougent vraiment pas vite dans le sens d’un respect notable des règles de passation des marchés publics. Comme quoi, même sur ce point, l’exemple de Wade poursuit toujours Macky. Quelques exemples pour illustrer.
Ministère de l’Enseignement supérieur : La sincérité des Drp mise en doute
Le cabinet qui a réalisé l’audit d’un échantillon de marchés passés par le ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas été convaincu par la procédure mise en œuvre. «Dans le cadre de nos travaux, notre échantillon a porté sur quatre marchés et les principaux constats généraux peuvent être résumés comme suit : la sincérité de la procédure de passation des marchés de Drp (Demande de renseignements et de prix) ne peut pas être attestée.» Par rapport à la réalisation concrète, le cabinet Grant Thornthon révèle que «les marchés examinés ne sont pas conformes au regard des insuffisances notées dans la gestion administrative et technique, mais aussi sur le plan de la qualité et de la traçabilité des marchés». En effet, les auditeurs ont constaté que les convocations aux séances d’ouverture des offres et d’attribution des marchés ne leur ont pas été communiquées, «en violation de l’article 39 du décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011» portant Code des marchés publics. Et il en est de même des pièces justificatives de paiement. En outre, le procès-verbal d’ouverture des plis n’est pas transmis aux soumissionnaires. Précisément pour les Drp, «l’heure limite de dépôt des offres, les conditions et critères de choix des candidats et des offres ne sont pas indiqués dans les lettres d’invitation», «la réception des lettres d’invitation par les candidats n’est pas simultanée». Aussi, les pièces administratives destinées à statuer sur les aptitudes des candidats n’ont pas été exigées par l’autorité contractante. Il s’y ajoute que «les candidats ne sont pas invités à la séance d’ouverture des offres, en violation du principe de transparence» et les délais de recours ne sont pas observés. L’Autorité contractante n’a pas non plus communiqué à la Direction centrale des marchés publics (Dcmp). Sur les trois marchés passés par appel d’offres, les auditeurs n’ont pas relevé d’anomalies particulières.
Ministère de la Femme et de la Famille Des «pratiques collusives» chez Mariama Sarr
Le ministère de la Famille, de la Femme et de l’enfance a commandé du matériel informatique. L’attributaire du marché a été l’entreprise Picomega pour un montant de 21 millions 122 mille francs Cfa. Le cabinet Bcs a découvert que le matériel informatique a été livré le 8 septembre 2014 alors que le contrat a été signé deux jours après. Cette «exécution anticipée» est interdite par la loi. Les auditeurs ont constaté des «pratiques collusives» à travers des Drp. Sur un échantillon de 17 marchés dont la valeur dépasse 154 millions de francs Cfa, six d’entre eux, soit 36%, sont «entachées d’indice de collusion». D’après les auditeurs, «ces manquements constituent une entorse à l’exigence de transparence».
Ministère de la Culture et de la communication : Mbagnick Ndiaye joue avec les délais de livraison
Au ministère de la Culture et de la communication, 308 marchés sur les 314 passés en 2014 l’ont été par Drp. Toutefois, les auditeurs ont constaté que le modèle type de dossier pour Drp recommandé par la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) n’a pas été utilisé. «En effet, les lettres d’invitation ne sont accompagnées ni de formulaire de soumission ni de projet de contrat ni de modèle simplifié d’instruction aux soumissionnaires mentionnant s’il y a lieu des qualifications minimales requises ni de bordereau de prix», ont-ils vu. Et puis, l’avis d’attribution définitive du marché relatif à l’«acquisition de mobiliers de bureau» attribué à Gandiol pour un montant de 51 millions 950 mille francs Cfa n’a été pas communiqué aux auditeurs. Il s’y ajoute que «la livraison devrait intervenir dans un délai de 60 jours à compter de la notification» qui a été faite le 13 mars 2015, donc le 13 mai 2015 au plus tard». Les auditeurs du cabinet Kpmg Sénégal ont été surpris de constater que ce «marché n’est pas encore livré». Celui portant sur du matériel informatique attribué à Oumou Informatique contre un chèque de 16 millions 712 mille 340 francs Cfa a connu des manquements. En plus de l’absence d’avis d’attribution définitive, sa livraison a également connu un retard de plus de deux mois. Un marché de «transport de matériel» attribué à l’Etablissement 4 saisons pour un montant de 14 millions 749 mille 882 francs Cfa voit ses offres datées «bien après la date limite de leur invitation».
Ministère de l’Education nationale : Serigne Mbaye Thiam, maître de l’opacité
Le cabinet Kpmg Sénégal a voulu en savoir sur les documents concernant des marchés passés par le ministère de l’Education nationale. Dans son rapport, il a conclu qu’il n’a obtenu «aucun document» sur des biens de commande. Il s’agit d’abord du marché de travaux de réhabilitation d’infrastructures scolaires et murs de clôture dans les établissements scolaires du Sénégal attribué en quinze lots. Ensuite, aucune preuve écrite ne lui a été livrée par rapport à la «construction de 670 salles de classe de l’élémentaire dans les régions de Dakar, Kédougou, Kolda, Matam, Saint-Louis, Tamba et Thiès». En plus, les auditeurs n’ont pas pu obtenir des preuves relatives à la réalisation de 250 salles de classe de Cem (Collège d’enseignement moyen) dans les régions du Sénégal. Enfin, le cabinet n’a pu mettre la main sur les documents qui peuvent attester de la construction de neuf collèges de proximité en 2014. Tout ce qu’il sait est que ce dernier marché a coûté à l’Etat près de 700 millions de francs Cfa.
Malgré la primeur consacrée aux autorités contractantes : Ministres, Dg... brillent par leur absence
La journée de partage des résultats d’audit que l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) a organisée hier au profit des autorités contractantes n’a pas vu la présence des autorités morales de ces structures. Il n’y avait ni ministre ni directeur général ni maire... A la place, les autorités de l’Armp ont échangé avec des Dage (Directeur de l’administration générale de l’équipement), des responsables de marchés dans des agences et directions, des membres de Commissions ou de cellules de passation de marchés publics. Cela se justifie néanmoins par le fait que dans plusieurs institutions de l’Etat, ces personnes sont habilitées à signer des marchés en lieu et place de la personne morale, à savoir le ministre, le directeur général d’une société, le maire ou le président du Conseil départemental, comme les énumère l’article 28 du Code des marchés publics. De plus, il peut arriver que certaines de ces personnalités puissent être sanctionnées pénalement pour leurs fautes de gestion.