Les Sénégalais ont été très choqués par les attentats survenus ces dernières semaines en France et au Mali notamment. Ce week-end, comme si les habitués des nuits chaudes dakaroises se sont passé le mot, la capitale sénégalaise ressemblait plus à une ville morte. C’était une sorte de couvre-feu que la plupart des gens ont eu à s’imposer, désertant du coup les bars-restaurants, boîtes de nuit ou tous les établissements ayant l’habitude de recevoir du monde. Vendredi, au rythme du Dakar by night.
Vendredi dernier, le monde entier a suivi avec beaucoup d’indignation, les attentats qui ont frappé le Mali après ceux de la France. A Dakar, cette situation n’a pas manqué de sonner l’heure d’une prise de conscience et surtout de la mise en alerte. En effet, la capitale sénégalaise a connu un week-end assez calme où, sans se donner forcément le mot d’ordre, les habitués des nuits chaudes de Dakar ont préféré se terrer chez eux. Il sonnait 21 heures 15 vendredi sur la terrasse du restaurant Le Rond point sis à la Place de l’indépendance (plein cœur de Dakar). Habituellement, à cette heure déjà les clients de ce restaurant, la plupart du temps des européens en vacance ou en mission au Sénégal, envahissent à cette heure de la nuit, la terrasse. Normal, le cadre est agréable et se trouve à quelques mètres des grands hôtels situés en Centre-ville. Pourtant ce soir-là, les chaises sont toutes vides. Personne n’est assis au dehors. Même les belles de nuit qui adorent traîner dans les parages pour aguicher les étrangers, semblent abonner aux absents. C’est à croire qu’un mot d’ordre a été donné pour boycotter la soirée.
En réalité, c’est sans nul doute les évènements survenus quelques heures avant à l’hôtel Radisson Blu du Mali, qui ont sapé le moral des habitants de Dakar. Même la voiture de patrouille policière, souvent positionnée entre le ministère des Affaires étrangères et le restaurant, n’a pas suffi pour donner du courage aux habitués des lieux de venir profiter de leur terrasse favorite. Jusqu’à 22 heures, c’est le calme plat. Et, à l’intérieur du restaurant du Rond-point, les écrans diffusent en boucle les derniers éléments de l’attentat survenu au Radisson Blu. Tout le monde, même le personnel : serveurs et barman ont les yeux rivés sur la télévision. Les clients ont l’air inquiet et semblent intérieurement se poser des tas de questions. Dans un coin du bar, un homme de race blanche est assis, un coli à côté. Un client, assis avec quelques amis, plaisante pour détendre l’atmosphère : «Ce client assis dans le coin du restaurant ressemble bien aux islamistes. C’est quoi ce gros coli qu’il garde jalousement. Faux pas qu’il nous le fasse exploser ici.» Cela rigole de la petite blague, ça commente aussi. Puis l’on se replonge dans une conversation interminable sur les causes et les conséquences des récents évènements à Bamako. Quelques heures plus tard, alors que l’un des clients évoquait l’absence des européens des lieux publics et les ambassades qui auraient donné l’alerte pour leur dire de «faire très attention», un groupe de touristes débarquent. Ils sont une dizaine et prennent place. «Ceux-ci sont courageux !», mentionne Guy-Réné, qui fait remarquer que ce sont des Anglais et non des Français. «Quelle est la différence ? Djihadiste ne connaît pas Anglais ou Français, sa cible est européenne», plaisante encore son copain de table. L’addition était déjà réglée. Il était temps de partir voir d’autres coins habituellement chauds les débuts de week-end…
Les boîtes de nuit en mode couvre-feu
Cap sur le restaurant l’Impérial. Situé non loin de la chambre de commerce de Dakar et à quelques encablures du ministère de l’Intérieur, le coin accueille souvent les after-work de certains habitués, qui, au sortir du boulot, y traînent pour prendre quelques verres avant de rentrer. Là aussi, l’ambiance est morose. Pas d’affluence. Seulement quatre clients sont présents sur les lieux. Le constat est donc le même. Les Dakarois ont choisi de se priver de plaisirs mondains. L’heure étant grave. Il faut dire qu’outre le vide noté dans les bars du centre-ville, peu de voitures circulent au Plateau alors qu’il ne fait même pas encore minuit. Les routes sont elles aussi quasi vides. Devant certains établissements nocturnes, on surveille ses arrières. Des videurs et gros bras sont positionnés. C’est le cas par exemple du night-club Silencio (juste derrière le Café de Rome). En centre-ville comme dans les bars de quartier, des dispositions sont prises par les restaurateurs. A Liberté 6, le Toby’s Club est un nouveau coin qui fait plein du vendredi soir au dimanche nuit. Ici également, un gros bras surveille les entrées. Il était minuit passé de 25 minutes. A l’intérieur, une musique salsa accueille. Mais très vite, l’on est une fois encore choqué par l’absence de clients.
Au Toby’s Club, «il y a une semaine à la même heure, on n’a pas eu de place pour nous asseoir et boire. Mais aujourd’hui, nous voici tout seuls avec à notre disposition 5 autres salons vides», réagit un habitué des lieux qui faisait partie de cette virée nocturne. Un autre se dit trop surpris par ce calme, allant même jusqu’à se demander s’il n’était pas mieux de rentrer chez soi. «Peut-être que les autorités ont demandé aux gens de ne pas sortir et nous ne sommes pas informés. N’est-ce pas mieux qu’on rentre à la maison ? C’est dangereux le risque que nous prenons là !», sert Ludovic A., d’un air peu rassuré. Pourtant, le groupe d’amis s’installe. «Juste le temps de faire un tour de table», a tenté de convaincre celui qui semble être «le parrain de la soirée». Après un peu plus d’une heure de causette autour de la bière fraîche, il a été unanimement décidé de voir si le réputé quartier «show» des Almadies est aussi plongé dans cette peur des attentats.
«Quel que soit ce qui arrive, je crois que Almadies ne peut pas dormir. Il y aura de l’ambiance là-bas comme les autres week-ends», prédit d’emblée Jean Pierre D. Tout le groupe a tout d’un coup envie d’aller y faire un tour. Le cortège de quatre voitures s’ébranle pour le Bara Mundi. L’ambiance y est toujours assurée. On y croise souvent le gratin du show-biz. Le Bara Mundi est aussi le coin privilégié des stars sénégalaises. C’est donc devant cet établissement que l’on descend en premier. Il a ouvert ses portes comme les autres coins à proximité du siège de l’agence de téléphonie Tigo. Mais ce n’est pas le grand rush. Personne ne danse, ni ne joue au malin encore. Pourtant, il se fait tard. Les noctambules présents sur les lieux, sont assis l’air presque sérieux dans des fauteuils. On semble juste profiter de la bonne musique sans faire dans du sensationnel. L’heure n’est pas à la fête comme d’habitude. Au Cotton’s club, l’établissement presque en face, c’est pareil. Très peu de monde et tous les clients sont assis et rangés à leur table. Ça discute dans les salons. Mais à chaque entrée, des coups d’œil furtifs sont jetés vers la porte principale pour s’assurer qu’il n’y a rien de grave. Et ce qui reste très frappant, c’est que les touristes européens qui raffolent de l’ambiance des nuits dakaroises sont quasi absents aux abonnés .
En effet, à part, les quelques Libanais, Marocains et autres nationalités qui sûrement sont devenus de vrais dakarois, pas d’étrangers qui traînent dans la nuit. Tout est désormais clair. Suite aux attentats de Bamako, Dakar a pris peur. Mais qu’en est-il des sites touristiques très prisés par les occidentaux ?
Le Lac Rose tout pâle
Il a fallu attendre le lendemain matin pour s’offrir une virée et mesurer l’impact des attentats de Bamako sur les sites touristiques. Samedi dernier, il sonnait 11h 20 minutes au Lac Rose. A part les commerçants qui ont installé leurs étals d’art sur le site et ceux qui travaillent le sel recueilli du lac, aucun visiteur n’est présent. Interrogé, Papis Diallo, guide touristique informe que «la saison est quasi nul. Tout est désert par ici depuis quelques temps. Ce n’est pas forcement les attentats qui ont fait qu’il n’y a pas de touristes. Mais c’est un constat, depuis plusieurs mois, ce n’est pas le grand rush…» Le Sénégal subira-t-il, sur le plan touristique, les conséquences des attentas en France et au Mali, des pays qui tout de même lui sont proches à vol d’oiseau ? En tout cas, des mesures sont en train d’être prises pour rassurer la communauté européenne et les nombreux visiteurs. Au Lac rose par exemple, l’hôtel Salim a pignon sur la rue. Il est très fréquenté par la communauté européenne. Et ce samedi, au détour d’une visite sur les lieux, force est de constater que des mesures sécuritaires y sont prises. D’abord, l’entrée de l’hôtel, autrefois perméable, est désormais très inspectée. Des gardiens positionnés, fouillent systématiquement le coffre de toutes les voitures, même celles avec plaque diplomatique avant de les laisser entrer. «Nous avons effectivement reçu des consignes» renseigne le préposé à la porte.
A l’intérieur, quelques agents, pistolet en bandoulière, laissent bien visibles leur arme. Ils font la ronde. Sûrement pour parer à toute éventualité. Sur les lieux, quelques agents de diverses structures sont en réunion. Ils ont quitté Dakar pour travailler dans le calme. Il y avait aussi quelques touristes européens qui étaient attablés au restaurant ou profitaient du soleil, loin des tumultes et des soucis jihadistes. Accrochés pour les faire réagir sur la situation. Aucun n’a voulu s’exprimer. Sauf un serveur qui, pour sûrement rassurer sa clientèle, réagit à nos interpellations sans y être invité : «le Sénégal, ce n’est pas le Mali. Ici, il n’y a pas ces choses là. Il ne faut pas chercher d’histoire…» Soit ! Il faut tout de même continuer de faire très attention. Puisque comme le dit l’adage : «Cela n’arrive pas qu’aux autres.»