Ces derniers temps, le terrorisme est très pris au sérieux au Sénégal. Du chef de l’Etat Macky Sall au ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Abdoulaye Daouda Diallo, en passant par le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne et le directeur de l’Artp Abdou Karim Sall, etc. les autorités au sommet de l’Etat ne ratent pas d’occasion pour réitérer les positions du Sénégal, comment prévenir, se protéger ou simplement faire face au danger, ce à travers différentes sorties relayées par les médias. Or la forte communication sur cette affaire est une manière pour notre pays de s’inscrire lui-même sur le registre de commande des terroristes, de l’avis du journaliste formateur, Ibrahima Bakhoum.
Depuis la sortie du président de la République, Macky Sall concernant le port du voile intégral (la Burqa), le discours sur le terrorisme occupe l’espace public. Une médiatisation renforcée par les attentats survenus à Paris (France), le vendredi 13 novembre dernier. Ce qui amène Ibrahima Bakhoum, journaliste formateur à l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (Issic) au constat que « autorités et médias de chez nous sont branchés sur Paris au point de parfois donner l’impression qu’il ne peut rien arriver à la France, qui ne devienne notre affaire propre ».
Ainsi, selon Bakhoum, le choix des autorités d’emboucher la trompette du «radicalisme anti jihadiste» nous expose plus que nous ne devrions être. Le journaliste ajoute ; «c’est comme si voulions nous rappeler au souvenir des candidats au suicide ravageur. Et semblant en cela adopter la vieille stratégie qui voudrait faire de l’attaque la meilleure défense, le Sénégal s’inscrit en même temps sur la liste de pays de la ligne de front contre le terrorisme». Ce que Bakhoum en tire comme constat c’est que par «maladresse dans la communication» et surtout à «trop vouloir nous aligner» sur des capitales poursuivant d’autres objectifs de grandes puissances, «nous nous inscrivons nous même sur le registre de commande des poseurs de bombes. C’est cela qui pose problème».
Toutefois, se demande Ibrahima Bakhoum, «le Sénégal pouvait-il continuer à faire profil bas et ignorer le terrorisme alors que le monde traverse une passe dangereuse ?». Le juste milieu n’est pas facile dans un tel contexte, admet-il mais fait observer qu’à «trop en faire ou dire», on risque de créer une psychose. Ce qui serait une autre source d’insécurité. «Pour un rien, des foules déchainées pourraient s’en prendre à des personnes, à la faveur d’une panique injustifiée», prévient Bakhoum
S’exprimant sur la question de la politisation, le journaliste formateur est d’avis que la menace terroriste est une affaire trop sérieuse pour qu’on puisse s’en servir comme fonds-de-commerce ; ni pour ni contre le Pouvoir qui a la responsabilité de la sécurité nationale. Selon Ibrahima Bakhoum, seuls les services compétents (Défense et Sécurité) sont à même de dire s’il y a déjà menace ou pas sur notre pays. Mais a-t-il ajouté, une attitude responsable s’impose à tous.
Se prononçant sur les évènements de Paris, Bakhoum veut aller au-delà, pour condamner «toute atteinte à la vie humaine». Pour cela, il dit être «indigné tout autant par les massacres de populations civiles en Libye, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Israël, à Gaza, au Nigéria, au Tchad, au Mali, au Cameroun… Ceux qui soumettent ces populations à des pluies de bombes, au nom d’intérêts géostratégiques ou de quelque religion que ce soit, ne doivent pas se sentir moins coupables que ceux qui attendant que des gens soient en fête pour venir décider que d’autres mourront avec eux en Europe, en Amérique ou ailleurs ». Le journaliste formateur se veut clair : «les porteurs de ceintures explosives ne sont porte-étendard d’aucune religion».
ABDOU AZIZ KEBE, ISLAMOLOGUE SUR LA MEDIATISATION DU TERRORISME : «Ce n’est pas en se cachant derrière un rideau qu’on échappe au terrorisme»
L’islamologue et professeur au département d’arabe de l’Université cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) se demande si la forte communication sur la menace terroriste constituerait une menace pour notre pays? Toutefois, Abdou Aziz Kébé reste convaincu d’une chose: le terrorisme est une réalité et, ce n’est pas le silence qui protègerait un Etat contre l’assaut des djihadistes.
Interpellé sur les risques qu’encoure le Sénégal du fait de la forte communication sur le terrorisme ces derniers jours, l’islamologue et professeur au département d’arabe de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Abdou Aziz Kébé répond que ce qui est constant c’est que le terrorisme est une réalité. «Je ne sais pas si la parole est un facteur d’exposer notre pays ? Est-ce que ne pas parler de terrorisme est un talisman contre le terrorisme ? Je n’en sais pas ? Mais, une réalité est une réalité. Le terrorisme est une réalité et ce n’est pas en se cachant derrière un rideau que la réalité va partir», soutient-il.
Ignorer le terrorisme ne signifie pas aussi pour que le Sénégal en soi épargné. «Aujourd’hui, notre pays n’est pas à un niveau séparé du reste du monde et du reste de l’Afrique. Le Sénégal est un pays où la religion est très sensible. C’est un pays où les autorités de l’Etat ne joueraient pas avec la religion. Est-ce qu’il faut parler du terrorisme ou non ? Le terrorisme est un phénomène mondial qui est sur notre territoire parce que l’Afrique est notre territoire. L’exemple du Mali est là», soutient l’islamologue.
Par ailleurs, Abdou Aziz Kébé a aussi estimé que les différentes sorties sur la question n’ont pas pour objectif de semer une panique. «Est-ce qu’il n’est pas de la responsabilité d’une autorité d’éveiller les gens qui sont sous son autorité, de les mettre en garde contre les risques auxquels ils pourraient s’exposer ? Est-ce que c’est de créer une psychose ou donner les raisons à ceux qui sont sur sa responsabilité de veiller à leur propre sécurité ? Je dirais ne pas s’exposer parce que le fait de dire on va créer la psychose c’est une interprétation», trouve-t-il.
En ce qui le concerne, Abdou Aziz Kébé trouve que l’objectif visé à travers cette communication des autorités est de créer une conscience absolue autour de la sécurité nationale. «C’est plutôt ce que l’on recherche. On cherche à créer une conscience patriotique nationale sur la sécurité de notre pays, j’ai cette lecture de la forte communication» des autorités au sommet de l’Etat, dit-il.