C’est l’une des figures du combat pour la tenue du procès Habré. Hier, Souleymane Guengueng, président fondateur de l’Association des victimes de crime du régime de Hissein Habré, a fait sa déposition devant la Chambre d’assises des Chambres africaines. L’ancien agent comptable de la Commission du bassin du Lac Tchad (CNLT) est revenu sur les deux années et demie passées dans les différents centres de détention de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS).
En apprenant qu’il était fiché par la Présidence tchadienne qui le soupçonnait de soutenir le GUNT (Gouvernement national de transition), Salomon Guengueng devenu Souleymane, à cause d’une déformation de son prénom, avait décidé de s’exiler au Cameroun. Il avait pris la menace très au sérieux, puisqu’en 1984 et 1985, il avait été arrêté et accusé ‘’injustement’’ de trafic d’armes. Mais le Tchadien a dû rentrer au Tchad en 1989, car le Président Hissein Habré avait annoncé la fin des poursuites. Souleymane Guengueng a très vite déchanté. Il a été arrêté le 3 août 1989, en dépit de l’immunité que lui conférait son statut d’agent comptable de la Commission du bassin du Lac Tchad (CNLT), une organisation sous-régionale, pour recel.
On reprochait à l’agent comptable d’avoir recelé l’argent volé par un cousin au niveau de la société Coton-Tchad, pour recruter des rebelles Codos. Mais une fois en prison, on lui a notifié qu’il était un détenu politique. Ce fut le début de son calvaire. Souleymane Guengueng reçut un coup de crosse à la tête, dès le premier jour de sa détention, or son état de santé était fragile à l’époque. Le jour de mon arrestation, je revenais de l'hôpital. J'avais été opéré au ventre, suite à un vol avec violence commis chez moi. J’avais donné à Yaldé Samuel les 4 bulletins d'analyses que le médecin m'avait remis, mais il m'a tout de même mis en prison’’, a narré hier l’ancien prisonnier, devant la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Le pire, ce n’est qu’au troisième jour de sa détention qu’il a mangé son premier repas. ‘’Le riz, je n’osais même pas le mâcher à cause du sable. Même les animaux ne le mangeraient pas, car cette nourriture causait des œdèmes aux détenus’’, a-t-il renseigné. D’après son témoignage, les détenus étaient tellement privés de nourriture qu’ils étaient obligés de manger des rats.
‘’J’ai choisi la lutte’’
Revenant sur les conditions de sa détention, Souleymane Guengueng qui a eu à séjourner au camp Marty, aux Locaux et à la Gendarmerie ainsi qu’au siège de la DDS, a expliqué que la torture était le lot quotidien des prisonniers, surtout politiques. Ils étaient entassés dans de petites cellules. ‘’Dès mon arrestation, on m’a amené dans une cellule de 2 mètres de long et 1,20 mètre de large. J’y ai trouvé 7 personnes et j’étais la huitième. Il n’y avait pas de possibilité d’étaler nos jambes. Au bout de 2 à 3 semaines, les prisonniers étaient paralysés’’, a-t-il témoigné.
Il a également fait savoir que les exécutions étaient monnaie courante et à chaque fois, les gardes faisaient croire aux victimes qu’elles devaient être libérées. Quant aux prisonniers qui étaient libérés réellement, ils devaient au préalable jurer. ‘’Les musulmans juraient sur le Coran. Les chrétiens sur la Bible. Pour les non-croyants, on leur donnait un peu de mil et de l'eau et on leur disait : "Vous avez mangé le mil et bu l'eau de la DDS. Si vous trahissez la DDS, ce mil et cette eau vous tueront’’, a révélé Souleymane Guengueng qui n’a pas eu besoin de jurer au moment de sa libération. Puisqu’il a recouvré la liberté à l’arrivée de Idriss Déby au pouvoir, mais le cauchemar était loin d’être fini pour l’auteur du livre ‘’Prisonnier de Hissein Habré’’.
Il s’explique : ‘’A cause des menaces des sbires de Habré, je me suis exilé aux USA où j’ai le statut de refugié politique.’’ Contraint de quitter son pays en 2002, il était également contraint de quitter la CNLT. ‘’Le secrétaire exécutif m’a demandé de choisir entre mon poste et la lutte pour la justice, en me reprochant d’être trop politique. Alors, j’ai choisi la lutte’’, dit fièrement le fondateur de la toute première association de victimes du régime de Hissein Habré. Une manière d’honorer une résolution qu’il a prise durant sa détention.
‘’J’ai vu mes codétenus mourir de faim, de torture et maladie, de soucis. Compte tenu de cette folie, j’ai juré de lutter contre cette injustice’’, a justifié Souleymane Guengueng qui dit avoir même été traité de fou, lorsqu’il a créé la première association de victimes. ‘’Il nous a fallu 9 ans pour être écoutés de l'extérieur et obtenir de l'aide pour déposer la première plainte en 2000 à Dakar’’, rappelle-t-il pour se réjouir une fois de plus de la tenue du procès de Hissein Habré jugé pour crimes internationaux par les CAE.