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Art et Culture

Entretien avec... Fatou Diome, écrivaine : «J’espère que l’Afrique saura combattre le terrorisme»
Publié le mardi 17 novembre 2015  |  Le Quotidien
Fatou
© Autre presse par DR
Fatou Diome, écrivaine sénégalaise




Accrochée hier en marge de la table ronde littéraire organisée dans le cadre de la 15ème Foire internationale du livre et du matériel didactique de Dakar (Fildak), l’écrivaine franco-sénégalaise, Fatou Diome, condamne «énergiquement» les «attentats» de Paris qui, selon les médias occidentaux, ont fait 129 morts et des centaines de blessés. «C’est de la bêtise humaine, de la méchanceté, de la lâcheté...», a dit l’auteure de l’œuvre «Le Ventre de l’Atlantique». Dans cet entretien, Fatou Diome apporte aussi des réponses tranchées sur le voile intégral, le débat sur terrorisme au Sénégal, la production littéraire en Afrique…

En que tant qu’écrivaine, quel regard portez-vous sur la qualité de la production littéraire au Sénégal ?
Moi, je pense que, quand on a des aînés comme Cheikh Hamidou Kane, Sembène Ousmane, Mariama Bâ, etc., on ne peut que bien apprendre. Maintenant, c’est toujours une question d’opportunité, de ressources aussi. Parce qu’il n’est pas facile de publier. Pouvoir publier, c’est pouvoir donner différents exemples, de modèles de littérature. Un auteur est d’abord un lecteur. Je dois pouvoir lire beaucoup pour ouvrir ma manière de voir la littérature, pour pouvoir créer davantage. Donc, améliorer notre qualité d’écriture, c’est aussi améliorer notre possibilité de lecture. Et, on peut dire qu’il y a de la qualité au Sénégal. Il y a le désire de lire, d’écrire, de partager, etc. Maintenant, il faut qu’on nous donne les possibilités d’aider la population à accéder aux livres.

Par rapport aux pays occidentaux, l’Afrique est-elle sur la bonne voie concernant la production littéraire ?
L’Afrique n’a pas à se comparer aux autres. Elle a à être elle-même et fière d’elle-même. Elle doit être debout et utiliser ses propres possibilités. Vous savez, les Parisiens ne pensent pas à vous quand ils se lèvent le matin ou quand ils prennent leur café. Et ils décident de leur vie. La culture du monde vous appartient. Donc, si l’Afrique se laisse isoler et s’enferme dans ses traditions, elle sera solitaire et pauvre. Si nous ne prenons pas chez les autres, ils vont venir prendre chez nous, s’enrichir et revenir chez nous pour nous vendre notre propre culture. Sous ce rapport, il faut que les Africains sortent du complexe colonial. Et il faut être citoyen du monde avec sa dignité entière et ses droits en tant qu’être humain.

Justement, que faut-il faire pour dépasser ce complexe ?
Par exemple, la Fildak de Dakar nous a donné l’occasion de rencontrer beaucoup de jeunes. Nous avons été dans plusieurs lycées pour rencontrer des jeunes qui sont en classe de seconde, première, terminale. Donc, c’est toute une génération qui discute avec nous. Ce que nous croyons et pouvons faire en tant qu’aînés, c’est le partage intellectuel. C’est ce que nous essayons de faire avec les jeunes. Tout ça m’aide à grandir dans le monde. Et, je pense qu’il ne faut pas céder au populisme. Quand vous êtes artiste, c’est très facile d’aller dans votre pays et de caresser les gens dans le sens du poil. Pour moi, un bon artiste doit pouvoir dire ce qui ne va pas. Aujourd’hui, ce qui ne va pas en Afrique, c’est que les gens laissent l’obscurantisme, l’intégrisme, etc. Les religieux n’ont pas à diriger le pays. Un pays souverain et laïc. Et, c’est la dignité du Peuple citoyen qui vote la culture, la liberté d’esprit, de penser. L’Afrique se développera par le cerveau, et non pas seulement par l’argent.

Que pensez-vous du débat sur le terrorisme au Sénégal ?
Ce débat me pousse à me souvenir de ma société sénégalaise d’enfance. Quand il y avait les fêtes de pâques, les chrétiens nous offraient du Ngalakh. Et nous étions très contents d’être avec eux. Quand il y avait la Tabaski, nous invitions les amis, la partie de notre famille chrétienne. Et je pense que, au Sénégal, nous sommes des noirs bantous, avant d’être musulmans ou chrétiens. Aussi, il faut se souvenir que ces religions sont importées. Moi, je n’ai rien contre le fait que quelqu’un croit en quelque chose. Mais, cette croyance ne doit pas devenir une violence. La religion, c’est relier, rapprocher. Et, l’islam, c’est la paix. Donc, vous ne pouvez pas utiliser une religion qui commence par la paix, qui parle de compassion, et en faire de la violence. Ça, ce n’est plus de la religion. C’est de l’hypocrisie politique. Et il faut qu’on ait le courage de le dire.

Etes-vous pour ou contre le port du voile intégral au Sénégal ?
Ma manière de me vêtir répond pour moi. Et, je ne suis pas une Arabe. Il faut que les gens comprennent que la religion, la tradition culturelle, ce n’est pas la même chose en Afrique. Même à l’intérieur du Sénégal, chaque ethnie a ses traditions culturelles. Les Arabes sont mes frères africains. Mais, leur tradition dans leur village n’est pas celle de ma grand-mère. Je pense que souvent, il faut éclairer la population. Nous pouvons partager la même religion, sans nous vêtir de la même manière. Les valeurs que nous partageons sont dans notre cœur, dans notre tête. Et c’est une question spirituelle. Masquer le corps des femmes, je pense que si le seigneur pensait que le mien est indécent, il l’aurait caché lui-même.

Vous, en tant que «militante des droits de l’Homme», comment avez-vous vécu les «attentats» de Paris ?
J’étais malheureuse. J’ai regardé les informations jusqu’à 3 heures 30 du matin. Et il ne faut pas oublier que je suis Française depuis très longtemps maintenant. Donc, je suis de nationalité franco-sénégalaise. Et, ce n’est pas seulement une histoire de papiers. C’est aussi une question affective parce que j’ai des amis, des relations en France. Donc, je partage énormément avec ce Peuple. Et, quand il y a une douleur qui arrive là-bas, ça me touche automatiquement. Quand je suis malade en France, avant d’être aidée par des Sénégalais, c’est d’abord mes voisins français qui viennent avant mes proches parents.

Comment qualifiez-vous ces «attentats»?
C’est de la bêtise humaine, de la méchanceté, de la lâcheté. Et c’est aussi une horreur. J’espère que, en Afrique, on sera assez intelligent pour combattre ce fléau.

Vous avez été interpellée par un jeune écrivain sénégalais qui relève que «malgré les efforts que vous faites pour conscientiser les populations à travers vos écrits, les problèmes de société restent entiers». Pourquoi sentez-vous le besoin de continuer à écrire ?
…J’ai déjà été invitée dans des Sénats, des ministères, pour parler des lois sur les droits de l’Homme, la condition des immigrés. Et, peut-être que ma contribution est modeste, mais elle existe. Chacun doit apporter sa contribution. Moi, j’essaye de faire modestement ce que je peux faire. Donc, il appartient à chacun de participer à la lutte. Parce que c’est une construction, un édifice. Quand on se bat pour les droits humains, le combat n’est jamais terminé, de même que les résultats ne peuvent pas être une quête d’immédiateté. Ils se font sur le long terme. Et, ils se font pour des générations.

Vous avez appelé ce matin dans une communication, les Africains à articuler quand ils parlent français.
Mais oui ! Et je suis désolée. Il faut qu’ils articulent. Moi, je ne suis pas née en parlant français. J’ai appris la langue. Et on me demande comment faire pour écrire. J’ai dit : «J’apprends et je m’exerce encore.» Quand vous dites à quelqu’un apprenez mieux, ce n’est pas le vexer, le dénigrer. Il s’agit de lui donner les outils que moi-même j’ai utilisés. Moi, je n’ai fait qu’apprendre. Le français n’est pas ma langue maternelle. Donc, si je veux l’utiliser, je dois respecter les règles de base. Et ça fait partie de la première démarche pour devenir aussi écrivain.
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