La rencontre de ce mercredi 11 novembre, entre la romancière Fatou Diome, et des élèves de Seconde du lycée Seydou Nourou Tall, était au programme de la Foire du Livre et du Matériel didactique de Dakar (Fildak) qui se poursuit jusqu’à ce lundi 16 novembre. A la place d’une leçon formelle, une conversation sans garde-fous sur l’immigration, sur l’Europe et sur le racisme, sur l’écriture ou sur la vie. Aujourd’hui, Fatou Diome a le projet d’installer des bibliothèques un peu partout en Afrique et ailleurs, en commençant par son village de Niodior.
Avec cette façon qu’elle a d’être à la fois drôle, espiègle, pas maniérée pour un sou et incapable de tenir dans une boîte, Fatou Diome refusera, mais en toute politesse, la petite chaise qu’on lui tendra gentiment. Pas question de brider le moindre de ses élans. Nous sommes dans une salle de classe tout ce qu’il y a de plus normal du lycée Seydou Nourou Tall, plusieurs dizaines d’élèves assis à deux ou à trois sur des tables-bancs noircis comme des pages de roman, et avec sans doute mille et une questions destinées à l’auteur du Ventre de l’Atlantique. Debout sur l’estrade où elle va et vient, juste à la place du maître, Fatou Diome s’amuse à jouer les profs, mais pas de façon très formelle ni même très classique : tour à tour chanteuse, avec quelque chose de Yandé Codou Sène dans la voix, conteuse, danseuse, un peu-beaucoup comédienne…
Fatou Diome sourit, rit souvent aux éclats, séduit son public comme on ferre son poisson, on s’imagine parfois sur la scène d’un grand théâtre, mais n’allez surtout pas croire que ce n’est pas sérieux. Et si l’Europe peut passer pour un fantasme, Fatou Diome fait surtout valoir la vingtaine d’années qu’elle y a passées, là-bas dans cette ville française de Strasbourg qu’elle doit connaître sur le bout des doigts. Le ton a tout de la mise en garde, mais sans paranoïa : «En Europe, on ne vous respectera que si vous vous respectez vous-mêmes (…), mais si vous avez honte de ce que vous êtes, on vous méprisera». Mais «être fier de sa culture, ce n’est (certainement) pas être raciste », sinon pour les gens qui n’ont rien compris dira aussi l’auteur de La préférence nationale, mais en des termes plus crus. Ou alors «être un intellectuel moderne ce n’est pas perdre ses racines».
Fatou Diome raconte d’ailleurs cette fameuse soirée artistique qu’elle passe à Bordeaux, et où, au lieu de jouer du piano-elle avoue qu’elle ne sait pas s’en servir-la romancière ira plutôt se chercher un pagne, pour «faire du mbalax», en souvenir des «bals poussière» de son lycée Demba Diop de Mbour. Pour les «Noirs complexés, comme elle dit, ce serait tout simplement du folklore, mais Mozart c’est aussi le folklore de quelqu’un, et on a (pourtant) su en faire quelque chose de respectable».
1968, une «excellente année»
Née en 1968, une «excellente année» comme on dirait d’un grand cru, une année où l’on s’est battu pour les droits des femmes, Fatou Diome, ce sont ses mots à elle, ne pouvait certainement «pas être sage» et docile, et Une si longue lettre de Mariama Ba viendra la convaincre qu’elle n’avait surtout pas «le droit de (se) taire», et encore moins d’étouffer ses rêves. Et parce qu’il n’y avait pas de lycée dans son village de Niodior, la jeune fille de l’époque n’hésitera pas à aller voir du côté de Foundiougne. Lorsqu’elle racontera qu’elle a été domestique à 12 ans, et que c’est avec cet argent-là qu’elle aura de quoi se payer une chambre, histoire d’échapper à ces familles d’accueil qu’elle ne supportait plus, les lycéens seront tout simplement impressionnés.
Mais comme elle dit, il suffit seulement d’y croire. Car lorsqu’elle a eu l’outrecuidance de dire à ses anciens patrons qu’elle voulait devenir institutrice, ils se sont contentés de lui rire au nez.
Aujourd’hui, la voilà devenue cette romancière célèbre pour ses images à la fois crues et subtiles, ses coups de gueule et ses prises de position pour un monde plus juste. Fatou Diome explique d’ailleurs que c’est ce «désir de justice» qui l’inspire, elle qui se promène toujours avec un petit carnet (elle en sort un de son sac à main), au cas où quelques idées viendraient la «surprendre».
Et à tous les gamins qui cacheraient quelque manuscrit plus ou moins inassumé au fond d’un tiroir, l’expérimentée romancière dira de ne pas avoir peur de jouer avec les mots, et de ne surtout pas se laisser impressionner par tous ces grands mots de la littérature, que ce soit «réminiscence ou anamnèse», et que des termes comme ceux-là, on les apprivoise ou les domestique. Ou alors les «décortique-t-on comme des cacahuètes».