Dakar, 3 nov 2015 (AFP) - L’Afrique, continent riche de nombreux "savoirs traditionnels", est à la traîne dans le domaine de la propriété intellectuelle alors qu’elle pourrait en tirer d’importants profits, ont estimé divers intervenants à l’ouverture mardi d’une conférence de trois jours sur le sujet à Dakar.
"De la civilisation pharaonique égyptienne à nos jours, il s’est constitué en Afrique un large éventail de traditions qui ont généré un patrimoine manufacturier, littéraire et artistique", a affirmé le Premier ministre sénégalais Mahammed Boun Abdallah Dionne.
Si ce patrimoine "était convenablement protégé et mis en valeur par les droits de propriété intellectuelle, (il) aurait constitué pour les pays africains un avantage comparatif certain dans le commerce international", a ajouté M. Dionne, estimant que l’Afrique devait saisir "les opportunités pour exploiter la propriété intellectuelle et promouvoir l’innovation" en vue de se
développer.
Il s’exprimait en présence de la présidente mauricienne Ameenah Gurib-Fakim, invitée d’honneur de cette conférence "sur la propriété intellectuelle pour une Afrique émergente" co-organisée par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi, agence de l’ONU), l’Union
africaine (UA), le Sénégal et le Japon, et rassemblant plusieurs dizaines de panélistes, dont des ministres et de hauts fonctionnaires.
La rencontre doit examiner les moyens pour l’Afrique de "bénéficier au mieux d’une architecture internationale efficace de lois et de normes permettant aux particuliers, universités, entreprises", entre autres, "de protéger et promouvoir leurs créations dans le monde", selon le dossier de
presse.
Mme Gurib-Fakim, biologiste réputée et ex-directrice d’un centre de recherche, a déploré la faiblesse des efforts en Afrique pour documenter les traditions orales, en comparaison avec l’Asie qui a traité ces questions avec "sérieux", notamment pour les traditions thérapeutiques.
En Asie, "on a eu le recensement, la documentation, la codification des données traditionnelles indiennes", "la documentation des médecines chinoises" tandis qu’en Afrique, "il n’y a pas vraiment eu ce sérieux de vouloir documenter des traditions orales", a dit Mme Gurib-Fakim lors d’une conférence de presse en marge de la rencontre.
Pour le directeur général de l’Ompi, Francis Gurry, "il est très important d’établir des archives" afin de pouvoir garantir la protection des traditions orales, "parce qu’elles contiennent un réservoir de savoirs extrêmement riches".
"Il y a un processus au sein de l’Ompi parmi les Etats membres pour essayer d’établir un cadre juridique, notamment pour la protection du savoir traditionnel", a-t-il expliqué, "on espère bien qu’il y aura un résultat positif" en 2017, à l’échéance du mandat du comité dédié.
"La propriété intellectuelle devient une base de compétition", avec des initiatives recourant à la science, la technologie et l’innovation qui ont motivé de nombreuses demandes de brevets, dont le taux dépasse celui de la croissance de l’économie mondiale", a-t-il dit.
Selon le dernier rapport de l’Ompi publié en mars, en 2014 les demandes internationales de brevet, qui constituent un bon indicateur de l’activité économique, ont été au nombre de 215.000 (4,5% de plus par rapport à 2013) avec Chine, Royaume-Uni et Etats-Unis en tête des principaux pays déposants.
"Au Sénégal, la propriété intellectuelle se porte comme partout en Afrique, c’est faible. Ca veut dire que les revenus des artistes, interprètes et producteurs au plan de la propriété intellectuelle sont quasiment inexistants", a affirmé à l’AFP Abdoul Aziz Dieng, musicien et conseiller du
ministre sénégalais de la Culture.
D’après l’Ompi, "seulement 0,5% du montant total des recettes perçues par les organismes de gestion collective dans le monde provient d’Afrique" où, par ailleurs, "les circuits de distribution, peu fiables et souvent illégaux, ne permettent pas de suivre le rythme de la création".
En la matière, "le paradoxe de l’Afrique, c’est que les mesures législatives, les réformes nécessaires sont trop lentes par rapport à la vitesse du numérique", du savoir et de la créativité, qui sont aujourd’hui "des matières premières stratégiques", a estimé M. Dieng.