L’arrestation de l’Imam Alioune Badara Ndao est sur toutes les lèvres à Kaolack. Les réactions des habitants sont partagées entre étonnement, consternation, tristesse et interrogations. A Ngane, quartier où le ‘’terroriste présumé’’ habite, ses disciples disent s’être résignés à une volonté divine. Ils promettent de ne pas arrêter de prier pour le bien-être de leur guide.
Trois jours après l’arrestation de l’Imam Alioune Badara Ndao, c’est le calme plat et la consternation qui sévissent à Ngane, quartier où il s’est établi depuis une dizaine d’années avec sa famille et ses disciples. Une école jouxtant une mosquée avec quelques maisons très modestement construites, plantent le décor de cette localité devenue célèbre, où règne une précarité bien visible.
Un groupe de personnes assises sous un arbre, non loin de la maison perquisitionnée, discute timidement, dans une ambiance de tristesse et de recueillement. Une atmosphère de deuil. L’arrestation de leur guide est ressentie comme un choc.
‘’Celui qui est contre Imam Alioune Badara Ndao est contre l’Islam’’
Le premier à s’exprimer, Ibrahima Faye, lâche difficilement ses mots. ‘’Cela me fait mal au cœur. Oustaz est un homme de foi, un homme généreux qui n’a rien à voir avec ce dont on l’accuse’’. Il baisse le regard et poursuit : ‘’La manière avec laquelle il a été arrêté par les gendarmes me sidère.’’ Ses mains tremblent. Il rouspète, puis il déclare encore : ‘’Ils étaient tous là, une vingtaine de gendarmes. Ils ont encerclé le coin. Et puis ils l’ont menotté. Ils l’ont emmené.’’
Un jeune homme dans un caftan bleu éclate en sanglots, inconsolable. Ibrahima Faye se lève : ‘’C’est un homme qui ne fait que répéter ce que dit le Coran. On aurait pu lui envoyer une convocation quelque part, il s’y serait rendu sans problème. Mais on l’a humilié devant sa famille.’’
Penda Mbaye enseigne l’arabe dans la localité. Elle se présente comme une femme blessée par les évènements. Elle témoigne : ‘’C’est un homme tellement généreux et sociable. Il partage tout ce qu’il a avec nous. Il nous prend tous pour ses enfants. C’est un homme qui m’a beaucoup aidée. Il a instruit mon enfant et m’a offert un endroit où habiter.’’
Elle est soudainement gagnée par l’émotion. Elle pleure : ‘’Imam Ndao est tout sauf un terroriste. Tout ce qui le préoccupe, c’est l’islam et les enseignements du Prophète PSL.’’
Mieux, l’imam a la réputation d’être d’une très grande générosité : "On mange bien. (Il y a quelques sacs de riz devant la porte de sa chambre). Il s’occupe bien de tout le monde. Il a construit des maisons qu’il a données gratuitement à des gens qui habitent maintenant ici (Ngane). L’école coranique et la mosquée sont utiles pour l’éducation de nos enfants. En plus, il aide les gens dès qu’il le peut."
‘’Prenez cette femme qui fait la forte tête avec son bébé’’
Entre-temps, une autre femme s’est jointe au groupe. Gagnée par la colère, elle arrache la parole : ‘’Je m’appelle Khadijatou Thiam, je suis professeur de mathématiques au lycée Valdiodio Ndiaye de Kaolack.‘’ Sans attendre de question, elle témoigne : ‘’Je veux que tout le monde sache que celui qui est contre Imam Alioune Badara Ndao est contre l’Islam.’’ Les autres hochent de la tête. Elle continue : ‘’J’ai été réveillée par d’étranges bruits. Je me suis levée, j’ai pris mon bébé, je l’ai blotti contre moi et suis sortie. Des gens se positionnaient partout, armés jusqu’aux dents. Il y avait une voiture près de la maison d’Imam.’’ Le visage renfrogné, elle poursuit : ‘’Un gendarme qui m’a vue dehors m’a intimée de rentrer. Je suis restée sur place. Il a insisté, je lui ai répondu que j’assiste à une chose qui m’inquiète, que je ne n’ai jamais vue, c’est pourquoi je ne bougerai pas.’’ Réponse du gendarme : ‘’Prenez cette femme qui fait la forte tête avec son bébé.’’ Elle termine : ‘’Deux hommes m’ont escortée jusqu’au véhicule garé près de la maison de Imam. C’est là que je l’ai vu. Ils l’avaient menotté. Il m’a regardée et a dit : ‘’Khadija, tu vois, je pars … ‘’. Et je lui ai répondu : Alhamdoulillah ! »
Chez l’Imam, Penda Mbaye retrace le film, de la porte d’entrée à la chambre du présumé djihadiste. Les traces d’une intervention musclée sont encore visibles. Portes défoncées, choses éparpillées par terre dans une ambiance de grande tristesse. Le visage ondoyé par des larmes, Penda désigne la chambre où dort Alioune Badara Ndao. Un décor de zizanie. Un seul matelas au sol, du papier, des exemplaires du Coran, des documents, un habit accroché à un clou du mur en briques visibles et autres objets anodins, sens dessus dessous, font le tableau de l’après vacarme. ‘’Ils ont pris tout leur temps. Ils ont défoncé les portes, ils ont pris l’argent et même des vivres, ils ont emmené Oustaz et ils sont partis’’, déclare la femme, inconsolable.
Ailleurs à Kaolack, nombreux sont les habitants qui commentent encore l’arrestation d’Alioune Badara Ndao. Mais tout le monde reste unanime sur les qualités vantées par ses disciples à Ngane. Le présumé est identifié comme un homme généreux, disponible et sociable comme le témoigne ce chauffeur de taxi qui habite pas loin de Ngane : ‘’Bien qu’il soit un Ibadou, il avait une grande considération pour toutes les familles religieuses et une bonne relation avec toutes les confréries.’’
Un habitant du quartier HLM déclare devant sa femme et ses enfants : ‘’Alioune Badara Ndao, je le connais bien. Il n’a franchement rien d’un terroriste. Il accepte tout le monde, toutes les confréries.’’ Mais il émet un doute : ‘’Je ne connais pas toute la vérité. Peut-être qu’il a été en contact avec un terroriste sans le savoir. En tout cas c’est un homme bien.’’
COMMENTAIRE
Tout ce qui brille n’est pas de l’or
L’imam Alioune Badara Ndao n’est pas un homme riche, parce qu’il sait partager. Visiblement, il s’occupe bien de ses proches, comme bien sûr le recommande le Coran. Mais derrière cette générosité, que faudrait-il voir ? La question n’est pas banale parce qu’il s’agit de voir, de savoir qui précisément alimente cette générosité. Le Sénégal est une société assez spéciale, aux cœurs généreux qui savent souvent distribuer autre chose que l’argent honnêtement gagné.
Nous n’affirmons absolument rien, mais cherchons juste à savoir d’où un homme, qui a ces qualités de cœur (lire reportage), peut bien tirer ses moyens qui lui permettent d’être si généreux ? Des maisons, quelque rudimentaires qu’elles puissent être, ne peuvent pas ne rien valoir. Il faut les acheter, en millions de francs Cfa. Or, il en a acheté, d’après ces témoignages, à des fidèles musulmans.
L’imam Alioune Badara Ndao a beau être généreux, pauvre, ascétique et l’on passe, il sait donner. Nous viennent donc en images les grands maîtres d’Al Qaida, dont Oussama Ben Laden, se promenant dans les montages, avec un bâton comme une canne, la tenue de paysan et le regard innocent. Sur une photo, Oussama Ben Laden serait bien incapable de tuer même la plus petite mouche. Pourtant, c’est cette personne qui a inspiré les attentats du 11 septembre 2011 qui a coûté la vie à des milliers d’innocents.
Les apparences dans le milieu du terrorisme sont trompeuses, comme elles le sont encore plus dans la société sénégalaise. Combien de fois ne nous sommes pas exclamés : ‘’Lui, pédophile !’’ Tous les jours, nous nous émerveillons des performances ‘’immorales’’ de nos concitoyens que nous ne pouvions soupçonner d’actes répréhensibles.
Nous ne voulons rien affirmer sauf que, pour le moment, il faut savoir raison garder jusqu’à être plus amplement édifiés….