Plus d’un an après son ouverture, la gare des Baux Maraîchers n’arrive toujours pas à faire l’unanimité. Elle doit faire face à la concurrence des gares clandestines qui pullulent dans Dakar, mais aussi des véhicules particuliers qui exercent ‘’illégalement’’. Les transporteurs sur place attendent désespérément les clients. Cette situation entraîne des pertes énormes pour le gestionnaire qui informe que les Baux Maraîchers ne peuvent pas générer plus de 60 millions de recettes mensuelles, alors que les charges : salaires, électricité, eau, sécurité… avoisinent les 80 millions de F Cfa.
Baux Maraîchers ! Cette gare tant chantée par les autorités peine à prendre ses marques, depuis son ouverture. La gare était attendue pour apporter une rupture par rapport à l’ancienne gare de Pompiers. Mais, plus d’un an après son démarrage, la gare, qui s’étend sur une vaste étendue de terre à Pikine, peine à faire le plein. Elle n’accueille même pas le ¼ des véhicules qui assurent le transport interurbain, selon les estimations de Mbaye Sarr, président de Sen Transco, la société qui assure la gestion de la gare routière. Pourtant, il était bien indiqué que Baux Maraîchers serait le seul point d’embarquement et de débarquement de clients en provenance ou en partance des autres régions du pays. Cette mesure annoncée avant l’ouverture de la gare, l’Etat peine à la faire respecter. Dans tous les quartiers de Dakar, des gares clandestines sont érigées. De ce fait, la gare des Baux maraîchers peine à voir des clients.
En septembre 2014, des chauffeurs membres du syndicat national des transporteurs du Sénégal (SNTS) de Alassane Ndoye avaient observé un mouvement d’humeur pour déplorer le fait que les bus de transport communément appelés ‘’horaires’’ continuent d’opérer en dehors de la Gare routière des Baux Maraîchers. Cette grève de quelques jours avait poussé le Directeur général du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (CETUD) à tenir, dans les plus brefs délais, un point de presse pour appeler tous les transporteurs à regagner très vite la nouvelle gare. Alioune Thiam avait, par la même occasion, annoncé que le ministère de l’Intérieur et celui des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement avaient pris toutes les dispositions pour que tous les véhicules assurant le transport interurbain entre Dakar et les autres villes du pays réintègrent la gare routière, dans les plus brefs délais. Un an après, Mbaye Sarr remarque que ‘’cela n’a pas encore été fait’’.
Moins du ¼ des véhicules sont dans la gare
Aujourd’hui, les véhicules qui exercent indûment hors de la gare des Baux Maraîchers s’en sortent mieux que ceux qui se trouvent dans la gare. En cette matinée de vendredi, la gare est très animée. C’est à hauteur du pont qui se trouve à quelques mètres de la porte principale de la gare routière que les apprentis interpellent les clients. Dans l’approche, on se croirait à l’ancienne gare de Pompiers. La rupture tant annoncée peine à se concrétiser sur le terrain. A l’intérieur, les chauffeurs, les apprentis se forment par petits groupes. On discute, on chahute. Pourtant, ces quelques moments de bonheur cachent d’énormes difficultés que ces chauffeurs rencontrent, depuis l’ouverture de la gare. Selon Ousmane Mbaye dit Yakham, aux Baux maraîchers, les clients se font rares. C’est pourquoi, poursuit-il, les véhicules peinent à faire le plein. Parfois, il peut quitter la gare sans même avoir plus de 20 clients. Ce qui n’était pas le cas, il y a de cela plus d’un an, quand il était à Pompiers.
Le chauffeur de bus ‘’horaire’’ assure la liaison Dakar-Joal. Il informe que son travail n’est plus rentable, à cause de ces collègues qui ont refusé de rejoindre les Baux Maraîchers. ‘’Pour sortir de la gare, nous payons une redevance entre 7000, 10 000 ou 12 000 F, selon le type de véhicule. Parfois, on ne fait pas le plein et en cours de route, on n’a plus le droit de prendre des clients. Si on le fait, on risque d’avoir des problèmes avec les forces de sécurité. Pourtant, pour d’autres qui ne viennent jamais à la gare, il leur suffit de laisser quelque chose aux forces de sécurité pour passer sans difficulté’’, déplore-t-il.
Ibrahima Mbaye est aussi transporteur. Il assure la liaison Dakar-Lompoul. Tout ce qu’il demande aux autorités, c’est de faire en sorte que tous les véhicules de transport interurbain regagnent la gare. A défaut, que tout le monde sorte. Ce qu’il n’arrive toujours pas à comprendre est qu’en sortant de la gare, chaque véhicule a son bon de sortie, mais n’empêche, en cours de route, ils sont arrêtés par des forces de sécurité. ‘’C’est difficile, ici. Ceux qui ne sont pas dans la gare sont plus à l’aise que nous’’, fulmine M. Mbaye. Ce cri de détresse d’Ibrahima Mbaye est partagé par la majeure partie des chauffeurs de la gare. Selon Ndiambeu Fall, il y a aux Baux Maraîchers des bus qui font plus d’une semaine sans sortir. La faute à l’absence de clients. Ces derniers préfèrent prendre les véhicules qui exercent illégalement dans les quartiers que de venir jusqu’à Pikine.
Des pertes énormes pour Sen Transco
Ainsi, le gestionnaire des Baux Maraîchers confirme qu’il y a d’énormes pertes pour son entreprise, mais aussi pour l’Etat du Sénégal qui a le devoir de réguler le secteur. ‘’Dans tous les pays du monde, il y a une gare routière, sauf au Sénégal. Je ne veux pas citer de noms, mais ceux qui doivent assurer le contrôle ne le font pas’’, condamne Mbaye Sarr. C’est à cause de cette situation que la gare n’est pas rentable. Mbaye Sarr, par ailleurs Président Directeur général de Senecartours, ajoute que les charges de la gare sont largement supérieures aux rentrées financières. Pas moins de 300 personnes y travaillent, dit-il. Ainsi, la société Sen Transco paie plus de 30 millions de F Cfa, rien que pour les salaires et les taxes. Sans compter, ajoute-t-il, le nettoyage de la gare routière pour 8,5 millions de F Cfa par mois ; l’électricité pour 4 voire 5 millions mensuellement ; le transport des bagages, 10 millions pour les 2 GIE qui s’en chargent, plus l’eau et la sécurité.
‘’Si c’était à refaire…’’
Malgré tout, l’Etat n’a pas respecté son cahier de charges, regrette Mbaye Sarr qui estime que Baux Maraîchers ne peut pas, à l’état actuel, générer 60 millions de F Cfa par mois alors que les charges pour une durée de 30 jours avoisinent les 80 millions. Aujourd’hui, les Baux maraîchers font l’affaire des autres gares, notamment Rufisque et ceux qui donnent des bons en cours de route, renseigne Mbaye Sarr. Beaucoup de véhicules de transport interurbain vont jusqu’à Rufisque pour avoir des bons de sortie ou font des arrangements en cours de route. C’est pourquoi le PDG de Senecartours appelle l’Etat à ‘’réorganiser le secteur’’. ‘’Il faut que ceux qui doivent prendre départ à partir de la gare le fassent. Les autres qui ont des gares privées qui respectent les normes, qu’on les laisse. Mais tant que les gares clandestines seront là, rien ne va marcher’’, déclare M. Sarr.
Sen Transco ne perd pas seulement de l’argent dans cette affaire. L’entreprise perd aussi en image, selon son Directeur général. ‘’Si j’ai des regrets dans ma vie, c’est surtout cette expérience. Je n’ai pas eu un retour sur investissement et je perds l’image de mon entreprise’’, regrette Mbaye Sarr. Qui poursuit : ‘’Si c’était à refaire, je ne prendrais jamais cet engagement.’’
Le diktat des véhicules dits ‘’particuliers’’
Un autre problème plombe le bon fonctionnement de la gare des Baux Maraîchers. Il s’agit des véhicules ‘’particuliers’’ qui font la pluie et le beau temps, entre le croisement Cambérène et Pikine. Ces véhicules qui, pour la plupart, exercent illégalement, captent l’essentiel des clients qui devaient revenir à la gare. Il y a quelques années, ces véhicules ‘’particuliers’’ ne faisaient que le trajet Dakar-Mbour. Aujourd’hui, souligne Racine Niang, chauffeur trouvé aux Baux Maraîchers, ces voitures font la liaison Dakar-Saint-Louis ou Dakar-Kaolack. Pire, renseigne-t-il, certains font le tour des quartiers à 5 heures du matin pour prendre les clients. ‘’On ne reconnaît plus les clandos, les taxis, les transports en commun, les particuliers. Tout le monde fait du transport interurbain, parce qu’il profite de la désorganisation notée dans le secteur’’, renchérit son autre collègue et homonyme Racine Diop. Pourtant, ce dernier indique que ces véhicules, pour l’essentiel, n’ont pas le droit de faire du transport interurbain. Mais, ‘’face au silence des autorités et des forces de sécurité qui assurent le contrôle routier, ils continuent à exercer indûment leur travail’’.
Revoilà les ‘’coxeurs !’’
Avant l’ouverture de la gare, il était bien indiqué que les rabatteurs communément appelés ‘’coxeurs’’, de même que les marchands ambulants n’y auraient pas accès. Ce que les ‘’coxeurs’’, grâce au soutien du syndicat national des transporteurs terrestres du Sénégal (SNTS) de Alassane Ndoye, ont farouchement combattu. Il n’était pas question pour ces derniers de perdre aussi facilement les avantages qu’ils avaient à la gare routière Pompiers. Pendant des mois, l’ouverture de la gare a été repoussée, à cause du refus du syndicat dirigé par le député Alassane Ndoye qui était contre les conditions posées par le repreneur privé Mbaye Sarr.
Après quelques jours de grève, les syndicalistes ont été reçus par les autorités. Un protocole d’accord a été signé entre les deux parties. Le SNTS pouvait désormais avoir son siège dans cette nouvelle gare, malgré le refus de Mbaye Sarr. Ce dernier rappelle toutefois que le protocole signé entre le syndicat de Alassane Ndoye et les autorités en charge du transport n’est pas dans le cahier de charges. Une situation qu’il continue toujours à dénoncer car, à son avis, on ne peut pas mélanger le formel et l’informel. ‘’Sen Transco gère la gare, mais il y a des coxeurs qui sont là. Je ne comprends plus. Je ne l’ai jamais accepté. J’avais dit à Pape Cheikh qui est là-bas que si vous devez cohabiter dans la gare avec des coxeurs, il faut la rendre à l’Etat. Qu’il la donne à d’autres ou aux syndicats !’’
Mbaye Sarr menace de jeter l’éponge
Ce qui figurait dans le cahier de charges ne correspond pas à la situation actuelle de la gare, continue à rouspéter Mbaye Sarr qui avise que l’Etat n’a pas respecté ses engagements concernant la gestion de la gare. Ce dernier souligne que s’il n’a pas encore retourné cette gare aux autorités, c’est parce que près de 300 personnes y gagnent leur vie. Mais si la situation persiste, il sera dans l’obligation d’abandonner, ‘’parce qu’on ne peut pas faire travailler des gens et à la fin du mois, on n’arrive pas à payer leurs salaires’’, menace-t-il.