Dans le procès de l’ex-président tchadien Hissein Habré, les témoignages se suivent et ne se ressemblent pas. Hier, à la suite de Madina Fadoul Kitir, deux autres témoignages poignants ont été faits. Brahim Tassi et surtout Fatimé ont mis à nu l’horreur des geôles du régime Habré.
Ses longues journées de détention ont été aussi noires que la robe qu’elle portait hier à la barre. Aujourd’hui, Fatimé Hachim porte encore les stigmates de son séjour carcéral. ‘’J’ai entendu des bruits tellement assourdissants que j’éprouve maintenant d’énormes difficultés à entendre normalement. Avant, je n’avais jamais élevé la voix de ma vie. C’est en prison que j’ai commencé à parler d’une voix haute’’, a-t-elle répondu d’un ton désespéré au procureur qui désirait connaître les séquelles de son emprisonnement. Et c’est vrai, puisque la voix de Fatimé Hachim, emprisonnée à l’âge de 24 ans, se faisait entendre dans tous les recoins de la salle d’audience.
Evoluant dans un établissement qui fournissait du matériel agricole au gouvernement et des voitures à la coopérative française, en même temps que son mari, le couple a été arrêté d’une manière assez brusque. ‘’On m’a demandé mon mari qui à ce moment n’était pas sur les lieux. Ils l’ont cherché, l’ont arrêté, en le spoliant de 5 millions et m’ont ensuite dit que je pouvais les suivre, si je voulais savoir où est-ce qu’ils l’amenaient.’’ Raison de leur arrestation : Idriss Déby était Zahawa comme eux. ‘’Ils ont dit à mon mari qu’il a aidé Idriss Déby à fuir. Il a répondu : ‘’Non je ne le connais pas, je suis commerçant.’’ Aboubakar s’est retourné vers moi et m’a lancé : ‘’Vous êtes pareils. Dites-nous ce que vous avez fait !’’ Je lui ai dit qu’on n’avait rien fait, en vain. Il a ajouté qu’on est parents avec Idriss Déby et nous a embarqués.’’
En outre, elle a appris à la Chambre que tout ceux qui passaient dans la rue et qui étaient censés être des Zahawas étaient tout de suite arrêtés. Après leur arrestation, ils sont restés 36 jours dans une résidence et ont été conduits le 37e jour au commissariat. ‘’Depuis ce jour, je n’ai pas revu mon époux’’, a-t-elle déclaré en pleurs.
‘’J’ai accouché sans aide. Le cordon ombilical a été coupé avec un objet tranchant ramassé dans ma cellule’’
Au cours des interrogatoires, puisqu’elle ne répondait pas favorablement aux questions, les hommes de Habré l’amenaient au fleuve et la torturaient. ‘’Ils m’ont mise dans l’eau et un autre disait à Mohamed : ‘’Tire ! Tire !’’ Mais ce dernier tirait en l’air. Ils m’ont demandé d’avouer, je leur ai répondu que je ne savais rien. Ils m’ont remise dans l’eau. Ensuite, ils m’ont ramenée dans leurs locaux. La troisième fois, c’est là que j’ai donné naissance à un garçon prématuré de 7 mois. Dans ma cellule, je ne pouvais avoir aucune aide, puisque je la partageais avec une fille de 2 ans. C’est d’ailleurs elle qui a amené un objet tranchant ramassé dans ma cellule pour couper le cordon ombilical. Malheureusement, quelque temps après, mon enfant a perdu la vie.’’ Quelque temps après, elle a trouvé Madina, l’autre témoin du jour, qui saignait de partout, gisant par terre devant une cellule après avoir été torturée. Elle était considérée comme morte, parce que souvent, ‘’on amenait des corps sans vie dans les cellules’’. Quand elle a commencé à réagir, a-t-elle poursuivi, ‘’Zahrab et moi avons fait des efforts pour l’amener à une bonne place, et avec de l’eau, je l’ai nettoyée. Je lui ai donné mon sous-vêtement. Après on a demandé à ce qu’on la soigne, mais elle a refusé de prendre les médicaments’’.
La dame a aussi informé qu’on leur servait du riz blanc. Elles le donnaient au gardien qui le vendait pour leur obtenir des arachides, du pain et autres denrées.
‘’Nous étions souffrantes et puantes, personne ne pouvait nous approcher’’
Toujours dans les sombres cellules, a-t-elle appris, il y avait des tas d’immondices, des chiens morts, des chats morts, ainsi que des lézards. Quand le procureur l’a interpellée pour savoir si elle a été victime d’abus sexuels, elle a répondu : ‘’Nous étions souffrantes et puantes, personne ne pouvait nous approcher.’’
Le témoin a ensuite été interpellé sur une requête de l’ex-président Habré qui lui avait demandé de jouer le rôle d’interprète avec 16 Soudanais. ‘’Hissein Habré était venu tard dans la nuit à la gendarmerie et a demandé à ce que je traduise ce qu’il avait à dire aux Soudanais nouvellement venus comme détenus. Il savait que j’étais licenciée dans cette langue, puisqu’il m’a une fois reçue.’’ La dame a raconté qu’un jour, en sortant de sa cellule qu’on ouvrait de 7h du matin à 17h, elle a vu un des Soudanais par terre. Il lui a expliqué qu’on avait mis un pot d’échappement dans sa bouche. Le témoin a ajouté que cette information est vérifiable, puisque Ismael, le malheureux, est toujours en vie.
Arriva la délivrance. « Tout ce mal s’est estompé le jour où enfin, Hissein Habré est tombé tout bas. Le jour de ma libération, une personne est venue me dire qu’Abubakar Torbo lui a donné l’ordre de tuer tous les Zahawas, mais n’étant pas dans les dispositions d’exécuter cet ordre, il m’a laissé des couteaux et quelques armes pour me défendre. Il m’a promis de ne pas fermer la cellule, puisque Habré avait fui et que Déby avait pris le pouvoir. Il m’avait dit : ‘’Si on ne reçoit pas un autre ordre, je vais tirer trois coups de feu en guise de signal, pour que tu prennes les clés. Tout s’est passé tel qu’il me l’a dit. Je suis alors sortie avec d’autres et nous avons ouvert les autres cellules. Ensuite, nous nous sommes éparpillés. Chacun a pris sa direction. On poussait des cris de joie. La ville était en effervescence. Les gens couraient partout pour chercher les membres de leurs familles. C’était une joie immense !’’
Toutefois, elle a vite déchanté, car elle a découvert que Habré avait fait raser sa maison. ‘’On m’a raconté qu’il passait devant la maison pour aller dans son jardin, et a demandé à qui appartenait cette bâtisse. C’est ainsi qu’il a donné l’ordre de la démolir, puisqu’elle appartenait à un Zahawa.’’
‘’La défense bannit la comparution de Brahim Tassi’’
Si le témoignage de Fatimé Hachim a été religieusement écouté, celui de Brahim Tassi a fait polémique. Agent de sécurité de profession et président de la commission d’investigation dans le réseau des associations des droits de l’Homme, sa comparution a été récusée par la défense. ‘’La défense estime qu’un témoin est une personne qui a vu ou entendu. Nous avons des questions, mais comme il n’a rien vu, rien entendu, nous estimons qu’il n’est pas digne de lui poser des questions. Nous ne le considérons pas comme un témoin et merci de nous en donner acte‘’, a martelé Me Mounir Balal.
Et pourtant avant d’être contesté, Brahim Tassi a fait des révélations macabres. Il a affirmé qu’ils ont découvert une fosse commune de 250 militaires Hadjaraïs et 65 Zahawas. Dans d’autres fosses communes, son équipe a trouvé des personnes égorgées, abattues et des corps décomposés. A l’Est de Jiriba, trois autres fosses communes ont été découvertes : Deux fosses communes contenant 12 personnes trempées dans une eau bouillante et 13 individus dans la troisième. Ensuite, le témoin a rapporté que Habré avait étalé 12 personnes de l’ethnie Zahawa à la place de l’indépendance, déclarant que ceux qui le suivront seront sauvés, mais que ceux qui suivront Déby seront ainsi traités.
Selon toujours son témoignage, une détenue a été éventrée et son bébé tué par une balle à la tête. Seulement, lorsque le procureur lui a demandé s’il a assisté à toutes ces scènes de torture, il a avancé que ce sont des témoignages des rescapés que le réseau a interrogés. Car, leur association a pour but de recenser et de repérer les victimes pour les écouter, les défendre et les accompagner. Ils se sont rendus dans 79 lieux, ont découvert 73 fosses communes et 6 lieux d’abattage.