Les pèlerins du premier vol de la commission au pèlerinage sont de retour à Dakar. Dans la nuit du lundi à mardi, ils ont été reçus par le Premier ministre qui a revu le bilan des morts sénégalais à la hausse. D’ailleurs les pèlerins sont très mitigés sur l’accomplissement du cinquième pilier de l’Islam. S’ils sont heureux d’avoir fait le hadj, la mort des compatriotes dans la bousculade de Mina les attriste.
Dans la pénombre de ce mardi naissant, minuit passé, difficile de percevoir les gendarmes de l’aéroport sans leurs gilets fluorescents. De la porte de l’aérogare, seuls les parents sur les bennes des pick-up ou sur les toits des voitures sont visibles. Au hangar de Léopold Sedar Senghor, ils étaient nombreux hier malgré l’heure tardive, (minuit passé), à accueillir les parents. Parqués derrière des barrières métalliques blanches, on se réjouit de la venue des pèlerins dans le contexte d’un pèlerinage particulièrement meurtrier. Ces derniers, après l’atterrissage de l’avion à minuit dix minutes, ont dû attendre quelques minutes de plus pour un accueil par le Premier ministre sénégalais.
Les scènes de joie se déroulent sous le regard intransigeant d’un gendarme posté au portail signalant ‘‘sortie vers embarquement’’. Pas de passe-droit pour ceux qui n’ont pas de badges et veulent voir leurs pèlerins avant la fin de l’allocution du PM. Il faut montrer patte blanche pour accéder à la salle où se tient la déclaration du PM aux pèlerins, le premier lot de la commission ayant rejoint donc Dakar, hier.
Le retour des pèlerins sénégalais de La Mecque nous avait habitués à plus d’allégresse. Mais l’année 2015 fait exception à la règle. A l’organisation calamiteuse par le commissariat, s’est ajoutée la bousculade meurtrière de Mina avec une incertitude intenable sur les chiffres fluctuants d’un bilan lugubre. Quatre, cinq, onze, quatorze ? Le gouvernement a décidé de couper court aux spéculations sur le nombre de victimes sénégalaises du drame. Ce sera désormais la transparence communicationnelle si l’on se fie au Premier ministre, Mahammad Dionne.
‘‘Le président nous a instruits, nous le gouvernement et de même que l’Etat dans son ensemble, que nous soyons responsables, transparents et solidaires face à la situation’’, a-t-il déclaré. Aussi a-t-il annoncé hier, à 2 heures du matin, de nouveaux cas qui viennent noircir le tableau. ‘‘Le bilan était de 14 jusqu'à ce matin (Ndlr : lundi). Mais, on nous a signalé cet après-midi (Ndlr : lundi) que 19 autres personnes ont perdu la vie. Ce qui ramène le bilan à 33. Il y a eu toujours aussi en cet après-midi (Ndlr : lundi), 10 corps retrouvés dans certains hôpitaux. Les Sénégalais sont en train d’y travailler’’, poursuit-il. Ce qui pourrait décupler le bilan à 43 morts poursuit le chef du gouvernement sénégalais.
Malgré les bonnes dispositions prises pour un retour le plus agréable possible, l’insatisfaction est le sentiment le mieux partagé. ‘‘Laissez-nous y aller, nous sommes exténués’’, ont déclaré certains d’entre eux en se levant juste après le discours du PM, manifestement peu emballés par les consignes du micro leur demandant de recevoir des bénédictions d’un guide religieux. Revenus sains et saufs d’un pèlerinage éprouvant, ils ont préféré les accolades avec la famille à ces bondieuseries. Des larmes de soulagement ont accueilli certains pèlerins dont les membres de la famille ont eu la perspicacité, ou les connaissances, pour entrer sous le grand chapiteau du hangar de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor.
‘’Plus jamais ça ‘’
Le pèlerinage a été particulièrement meurtrier cette année. 769 personnes ont perdu la vie dans une bousculade à l’étape de Mina. Un événement qui a bridé le bonheur des pèlerins plus qu’il n’a suscité leur extase après l’accomplissement du cinquième pilier de l’Islam. ‘‘Comment voulez-vous qu’on se sente après avoir vécu un tel drame ? Nous sommes contents d’être de retour, d’avoir fait le pèlerinage, mais nous ne pouvons pas ne pas penser aux disparus’’, lance Adja Yacine Guèye après avoir récupéré ses bagages. Oumou Diallo est quant à elle beaucoup plus critique sur la gestion d’ensemble du pèlerinage. ‘‘Plus jamais ça. Les approximations dans le convoyage des pèlerins ne sont pas admissibles. La communication floue du gouvernement l’est également. On ne dit pas que ce qui est arrivé là-bas est de leur faute, on dit simplement que nous avons droit à la vérité’’, proteste-t-elle.
Dans le vaste hangar drapé aux couleurs nationales, les pèlerins tout de blanc vêtus s’affairent autour d’un parterre de bagages débarqués une demi-heure plus tôt par des semi-remorques de la compagnie Sénégal Handling Services (SHS). Des interpellations tous azimuts, des sourires, des salutations, des embrassades et beaucoup de pleurs ponctuent des retrouvailles sous les consignes assourdissantes de haut-parleurs du hangar qui suggèrent aux pèlerins d’aller récupérer leur bidon d’eau ‘‘zam-zam’’ après les formalités administratives. Très fatigués, ou occupés à chercher leurs bagages, ou euphoriques à l’idée de revoir la famille, ou peinés au souvenir des événements, certains ne se sont pas embarrassés de convenances pour décliner leur refus. Malgré ce soulagement ambiant, certains pèlerins sont toujours hantés par ce qui s’est passé à Mina.
‘‘C’aurait pu être n’importe lequel d’entre nous tous qui sommes ici. Nous rendons grâce au Dieu de nous avoir fait retrouver nos familles. C’est l’essentiel’’, déclare Faty Ngom essuyant les larmes d’un rebord de son écharpe blanche. A ses côtés, une pile de bagages qui attendent d’être déménagés par les chariots. La vieille femme refuse catégoriquement de revenir sur la bousculade meurtrière. Trop récent et trop affligeant à son goût.
Tout juste consent-elle à lâcher qu’elle a eu la chance de s’être levée tôt et d’avoir fait sa dilapidation de Satan avant les événements dramatiques. ‘‘Une heure après avoir accompli notre devoir, nous avons entendu une clameur derrière nous. Je n’y ai pas accordé une importance outre mesure, croyant que c’était normal. Mais en écoutant les informations, j’ai su que c’était une véritable tragédie’’, lâche-t-elle à la fin, le ton larmoyant. Tout le contraire de ce pèlerin qui dit travailler pour une institution privée. Poussant son chariot, il prend le contre-pied de l’avis général et plaide pour une confiance dans la décision de l’autorité. ‘‘On rend grâce à Dieu. Ce qui est arrivé, est arrivé. Vos confrères journalistes y étaient.
Les services de renseignement de l’Etat y étaient. Peut-être que vous au Sénégal étiez plus informés que nous à La Mecque. Laissons les autorités prendre les décisions qui s’imposent et arrêtons de vouloir influencer l’opinion. Il faut que les gens arrêtent de dire n’importe quoi à chaque fois que quelque chose de grave se passe’’, se défend ce pèlerin entre deux âges qui requiert l’anonymat. Avant de disparaître dans la pénombre de la nuit, l’esprit sans doute hanté par la tragédie qui s’est produite à Mina, un certain jeudi 24 septembre 2015.