Bandjoum Bandoum, qui était au cœur de la machine répressive de la Dds, a cristallisé hier toutes les attentions. Selon lui, Hissein Habré recevait quotidiennement des rapports sur la situation des détenus de la Dds et ordonnait les arrestations.
On en sait un peu plus sur la chaîne de commandement de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds). Bandjoum Bandoum, ex-agent de la Dds, et réfugié actuellement en France, a retracé devant la barre avec précision la chaîne de commandement. A cette époque, M. Bandjoum était le directeur adjoint du service d’exploitation au sein de la Dds. Sa mission était de faire la saisie des informations reçues qui étaient des fiches envoyées par des ministres de l’Unir de l’époque sur des personnes soupçonnées, des procèsverbaux d’audition et des renseignements des indicateurs de la Dds. Après la collecte de ces différentes informations, l’ex-agent procédait au recoupement avant de faire la synthèse et envoyer le rapport au directeur de la Dds. Celuici, à son tour, expédie le rapport au Président Hissein Habré. Répondant à la question du procureur sur des annotations trouvées
sur certaines fiches, le témoin a soutenu que c’est lui-même qui les archivait et qu’il y avait bien des annotations du Président sur elles. Sur les ordres d’arrestation, Bandjoum a indiqué devant la Chambre qu’il y a eu des cas où c’est le Président Habré qui a donné l’ordre. Il cite l’exemple d’un certain Jacob pris à la frontière camerounaise par un hélicoptère du Coton Tchad. «Son ordre d’arrestation a été donné par le Président Habré», note-t-il. Il a cité également le médecin Ndem et le procureur de Sarh tous exécutés. «Les détenus buvaient avec des boîtes de conserve qui ont servi d’urinoir» Revenant sur les conditions de détention, le témoin les qualifie «d’inhumaines». Il révèle une surpopulation carcérale. «Le matin pour les besoins du recensement, une odeur fétide se dégageait des
cellules, dit-il. L’alimentation et les soins médicaux constituaient un problème sérieux. Il n’y avait pas de médecin, un seul infirmier assurait le service. Les prisonniers mourraient de dysenterie. Les conditions d’hygiène également étaient très désastreuses. Les détenus pissaient sur des boîtes de conserve et les utilisaient pour étancher leur soif», témoigne Bandjoum Bandoum. L’ex-agent parle de la spécificité de la cellule C de la prison des locaux de la Dds. Cette cellule était réservée, dit-il, aux gens dangereux, les détenus politiques. «Si on ne meurt pas à l’intérieur, on est extrait la nuit et personne n’aura plus de tes nouvelles», soutient-il. Il raconte l’histoire d’une détenue qui voulait voir sa fille avant de mourir. «Cela m’avait choqué et j’ai pris des risques. J’ai amené sa fille pour qu’elle la
voit une dernière fois», se targuet-il. En ce qui concerne les motifs d’arrestation, Bandoum explique qu’ils pouvaient être multiples et sur la base de simples soupçons. «Tout ce qui venait de la Libye, des propos mal vaillants à l’égard du Président Habré ou du régime étaient l’objet d’une arrestation», atteste-t-il. Pour recueillir des aveux, la torture était «systématique», selon l’ancien agent de la Dds. Il indique en outre que «les détenus étaient sortis de la prison avant de faire l’objet de torture de la part des éléments de la Brigade spéciale d’intervention rapide (Bsir). L’arbatacha, les décharges électriques, et faire boire une quantité d’eau importante aux détenus».
«J’ai accepté de témoigner pour mon fils» Bandjoum a tenu à dire devant la Cour les raisons qui l’ont poussé à témoigner. «J’ai en 2000 entendu à la radio l’annonce d’une plainte contre le Président Habré. J’ai saisi Me Moudeina pour lui dire que j’avais des choses à dire. Elle m’a dit d’attendre le procès. C’est une démarche personnelle, car j’ai vu des choses au Tchad qui ont troublé ma conscience. Ensuite, je devais témoigner pour mes parents, mes enfants et ma femme», a-t-il dit. Son fils, âgé de 14 ans à l’époque, ne cessait de lui demander le rôle qu’il (Bandoum) a joué dans la répression du régime de Habré, car sa maman était souvent interpellée à Ndjamena à ce sujet. En ce moment, explique Bandjoum, «je ne pouvais pas lui répondre. Peut-être un jour il y aura un procès et tout le monde saura». D’ailleurs, soutient le témoin, il était prévu que son fils assiste au procès, mais le réajustement du calendrier a fait qu’il ne pouvait plus, car il a repris ses études présentement.
Bandjoum Bandoum nie les accusations
«Je n’ai ni torturé ni tué»
Bandjoum Bandoum est resté loquace sur son rôle au sein de la machine «répressive» de la Dds. L’ex-agent s’est lavé à grande eau. «Je n’ai tué personne. Je n’ai torturé aucun détenu», s’empresse-t-il de réponde au Procureur général. Pourtant, l’homme était au cœur de la machine répressive. Aussi, beaucoup de victimes l’ont identifié comme étant un bourreau. Dans l’ordonnance de renvoi, son nom a été cité par des victimes qui se plaignaient de ses agissements à la Dds. Mais lui minimise son rôle et parle de quelques missions qu’il a faites, notamment des arrestations à Ndjamena, à l’extérieur du Tchad et le transfèrement de ces personnes dans la capitale. En revanche, M. Bandoum s’est attardé sur ses deux missions au Sud du pays pour relater les négociations auxquelles il a participé avec une délégation gouvernementale avec des Codos. Des négociations qui ont abouti à des accords Bodo 1 et Bodo 2. Bandjoum a-t-il dit la vérité et toute la vérité ? La Cour appréciera sans doute.