Comme par effet de mode aux allures d’une véritable contagion sociale, la course pour le contrôle de vastes étendues de terres est sans répit dans la région de Sédhiou. Des individuels et des groupements constitués sont attributaires de milliers d’hectares de parcelles avec souvent, en ligne de mire, des projets qualifiés d’idylliques de par leurs ambitions. Hommes d’affaires nationaux et étrangers, marabouts, Etat du Sénégal, Organisations non gouvernementales (Ong), que de prétendants pour une assiette foncière morcelée ! L’agrobusiness est la principale motivation affichée des requérants au détriment des ménages à faibles revenus. La crainte des populations locales de devenir, demain, étrangers sur leurs propres terres se précise. Parce que celles-ci auront déjà été affectées à un (ou des) tiers, à charge pour ce dernier de jouer aux surenchères, protégé qu’il est par son titre de propriété foncière. A la gouvernance de l’argent, l’éthique se dérobe, la frustration s’installe et les conflits naissent en désespoir de cause. Sud Quotidien, en collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (Ipao), plonge ses lecteurs dans ce qui apparait comme la rixe de demain !
En sa session du 22 juin 2015, le Conseil municipal de Diendé (10 km au Nord de Sédhiou) a délibéré sur 500 hectares de parcelles affectés au marabout El Hadji Morikéba Touré. Le conseil déclare avoir procédé ainsi pour «utilité publique motivée par la présentation d’un document portant le projet agro-industriel de Pakao Tourécounda, Avant-projet sommaire». Une fois sur le bureau du sous-préfet de Diendé le même jour pour approbation, l’autorité remet le document au porteur pour complément de pièces matérielles, «pour me permettre de saisir rapidement les services techniques compétents. Je vous invite à verser au dossier l’extrait du plan cadastral matérialisant la superficie octroyée», lit-on dans l’accusé de réception.
Au sein du Conseil municipal d’abord, puis dans la collectivité locale, les langues se délient au sujet de la superficie octroyée sans présentation d’un projet banquable. A ce sujet, le maire Hamadou Diallo rassure que «l’enjeu est de créer de la richesse par des investissements divers en matière de production agricole dans le territoire communal de Diendé. Cela évitera aux jeunes de risquer leurs vies dans les océans pour trouver de l’emploi en occident», a fait observer l’édile de la commune.
DE 500 HA A 2000 HA AU PROJET PAKAO TOUREKOUNDA
Avant même de songer à s’exécuter sur les recommandations du sous-préfet, le Conseil est à nouveau saisi par le promoteur, Morikéba Touré, qui déclare que la superficie des 500 ha est «trop petite pour contenir notre projet». Dans la foulée, le conseil s’est réuni à nouveau et a délibéré, toujours en faveur d’El Hadji Morikéba Touré, sur 2000 ha de terres. Comme si certains conseillers avaient voté pour les beaux yeux du maire ou pour un autre mobile inavoué, ils ont manifesté leur stock d’hypocrisie dehors en faisant mijoter que ce projet de 2.000 ha est «faramineux et susceptible de déclencher un conflit entre les populations locales.» Sous le couvert de l’anonymat, ils ont rencontré l’autorité administrative pour lui tenir ce même discours. Mais celui-ci n’a pas manqué de décrier leur canaillerie.
L’EX-AVOCAT DE SASSOU N’GUESSO ET DES ASSOCIES DES EMIRATS ARABES INTERESSES
Depuis Paris, la capitale française, où il se trouvait début septembre, nous avons joint par téléphone le promoteur El Hadji Morikébé Touré qui se veut clair sur cette affaire. «En réalité, les 2000 ha sont même trop petits pour contenir nos ambitions de projet. Pour l’ensemble du territoire national sénégalais, nous avons un besoin de 50.000 ha de parcelles. Mais dans l’immédiat, 10.000 ha nous soulageront. Hélas que le Conseil municipal de Diendé ne peut excéder les 2000ha», confie-t-il. Et de poursuivre sur l’enjeu de ce projet, une fois mis sur orbite: «je travaille avec un Congolais du nom de Michel, un juriste commis comme avocat par l’ex-président Denis Sassou N’guesso (c’était avant son retour au pouvoir en 1997, date à laquelle il a renversé, par les armes, le président élu Pascal Lissouba). Il était même à Sédhiou jusque chez le sous-préfet quand on travaillait sur la requête de parcelles. Dans ce même projet, nous travaillons avec des partenaires des Emirats arabes unis».
S’exprimant au sujet des missions de leur projet, El hadji Morikéba Touré ajoute que «l’objectif est de lutter contre la pauvreté dans nos foyers. Car, comme vous le constatez ces derniers mois, des flux de migrants tentent de regagner l’Europe pour fuir la pauvreté et la misère alors qu’ils méprisent des richesses pour risquer leur vie en mer. Chaque spéculation sera emblavée sur 1000 ha au moins, les infrastructures hydro-agricoles seront aménagées et toute la logistique y afférente».
Toutefois, bien au fait des critiques qui fusent de partout, même dans son cercle restreint, El Hadji Morikéba Touré tient à faire comprendre ceci: «moi, j’ai déjà réussi ma vie. Je veux inciter les gens à travailler, mais ils manifestent un manque de volonté ou de la méchanceté. Je vais tout simplement m’en laver les mains. De toutes les façons, il y en a qui croient au projet».
LE SOUS-PREFET DE DIENDE SAISIT POUR ETUDE LE SERVICE REGIONAL DU CADASTRE DE SEDHIOU : Au nom de l’exercice du contrôle de légalité et de faisabilité technique
Face à l’immensité de la superficie demandée, le sous-préfet de l’arrondissement de Diendé, Cheick Oumar Tidiane Kamara, se réserve le droit de requérir une étude du Service régional du cadastre de Sédhiou. «Le Conseil municipal est souverain dans ses délibérations. Cependant, nous, administratifs, sommes tenus au respect des textes qui garantissent l’égal exercice du droit à chaque citoyen de jouir de ses prérogatives. Au nom donc du contrôle de la légalité, je dois au préalable vérifier la disponibilité de la superficie demandée, de voir s’il n’y a pas de contentieux sur le site demandé, la capacité de mise en valeur de la parcelle, entre autres», soutient l’autorité déconcentrée. Avant d’en déduire que «ceci évitera que demain des gens viennent se présenter à moi pour contester l’approbation qui sera faite sur une délibération. Et, au cas échéant, c’est la responsabilité de l’Etat, que nous représentons ici, qui sera engagée».
Quant à Babacar Faye, le chef du bureau du cadastre de Sédhiou, il relève que «la décision du sous-préfet de Diendé est très responsable. Il faut des études préalables de terrain arrimées aux données satellitaires pour apprécier la disponibilité des 2000 ha demandés. Nous remettrons ensuite les conclusions au sous-préfet qui appréciera à son tour, selon que des gens sont impactés par le projet ou non. L’autre contrainte et non des moindres, c’est l’exigence des moyens humains et logistiques pour conduire ces opérations de délimitation par le système de bornage».
Babacar Faye de douter et de se demander, par ailleurs, si vraiment certains appréhendent la dimension des superficies demandées. «J’ai fait comprendre à El Hadji Morikéba Touré que 2000 ha, font deux fois la ville de Sédhiou. C’est grand et il faut des arguments solides avant de procéder à l’affectation définitive», soutient-il.
A ce sujet d’ailleurs, le sous-préfet a indiqué qu’aucun document technique socialement acceptable et économiquement banquable ne leur est parvenu, à l’exception d’un avant-projet parcellaire et évasif. Mais El Hadji Morikéba Touré soutient le contraire arguant qu’il faut d’abord l’approbation de l’autorité administrative qui donne quitus et assurance à la banque de financer le projet définitif.
AGROBUSINESS ET CRAINTES DE SPECULATIONS FONCIERES
L’agrobusiness est l’ensemble des activités et des transactions en relation avec l’agriculture et les industries agroalimentaires. Elle regroupe différents types d’exploitations, qu’elles soient grandes, moyennes ou petites. Il est susceptible de soutenir l’ensemble d’une filière agricole en apportant plus à la chaîne de valeur globale et profite donc à tous les acteurs, y compris les petits producteurs et les populations plus vulnérables. La section régionale du Forum civil de Sédhiou se dit préoccupée par l’ampleur de l’accaparement des terres dans la région. Citant Mme Aurélie, Ingénieur agronome et présidente de l’association française ATTAC, El Hadji Dia, le coordonnateur du Forum civil ajoute ceci: «avec l’agrobusiness il y a toujours plus de biens financiers, toujours moins d’agriculteurs et moins de santé pour les populations».
Ainsi, le paradoxe, c’est que ce qui est un danger pour les populations est considéré par nos dirigeants comme la solution car ayant été conçu aux USA. L’agrobusiness est un segment du capitalisme, il est théorisé dans le Centre d’étude et de recherche où évoluent les plus grands savants américains.
Le développement de l’agrobusiness nécessite de tenir compte de l’ensemble des étapes allant de la production à la commercialisation des produits. Mais, au regard du rush vers la possession des terres, nombreux sont ceux qui, de plus en plus, croient à un accaparement progressif des zones de culture pour y exercer ensuite leur droit de propriété par des formes démesurées de cession à de futurs prétendants.
A ce rythme boulimique, le plus souvent sur de vastes étendues, délibérées d’un seul tenant, l’on craint avec raison qu’un jour, peut-être pas si lointain, que des heurts éclatent entre les pionniers et conquérants des terres neuves de la moyenne Casamance: la rixe du foncier aura bien lieu. D’où l’alerte sonnée dans cette investigation réalisée par Sud Quotidien avec le soutien de l’Institut Panos de l’Afrique de l’Ouest (Ipao).
DES LA CGOT, SODECA), PRS1 et PRS2, PRIMOCA, FDLS ET… PRODAC, ETC. : Une bousculade historique sur l’assiette foncière de Séfa
Dans les plaines de Koussy et de Diendé (Nord-ouest département de Sédhiou), c’est décidément une course effrénée à l’occupation des terres. Ici, marabouts, hommes d’affaires, politiques, organisations non gouvernementales, particuliers, tous cherchent à y délimiter ses parcelles. Mais pourquoi au juste cette ruée vers ces terres pourtant lessivées par endroit par une surexploitation agricole ?
C’est parce que depuis l’époque coloniale à nos jours, la zone a accueilli d’importants projets et programmes agricoles qui ont labélisé la destination. La Compagnie générale des oléagineux tropicaux (CGOT de 1948 à 1962) implantée dans le Séfa avec des visées économiques coloniales a retenu l’attention de plus d’un de par l’immensité des investissements agricoles et des constructions à usage d’habitation. Viennent ensuite la Société de développement de la Casamance (SODECA), le Projet rural de Sédhiou PRS1 et PRS2 en 5 ans chacun, le Projet de développement intégral de la moyenne Casamance (PRIMOCA) en deux phases de 5 ans, le Fonds de développement local de Sédhiou (FDLS - 3 ans), et enfin le Programme des domaines agricoles communautaires en cours, porté par l’Etat du Sénégal.
Outre les 2000 ha affectés à Morikéba Touré le promoteur de l’agro-industrie Pakao Tourékounda, l’administration déclare avoir été saisie par un religieux de renom à Bogal qui affirme être affectataire d’une cinquantaine d’hectares de parcelles à Sitaba, mais le sous-préfet dit n’avoir jusqu’ici pas reçu de note administrative dans ce sens. L’organisation CARITAS est aussi annoncée pour 20 ha dans le Koussy III, l’écologiste et ancien ministre de l’Environnement du Sénégal, Aly El Aïdar, aurait émis le vœu de disposer de 50 ha de terre à Djidima et à Koussy, selon une source digne de foi ayant requis l’anonymat.
Cette même source de révéler que des actes de délibération ne comportant point de mention d’approbation du sous-préfet sont délivrés à des individus. «Ce qui constitue des manquements graves et passibles de peines d’emprisonnement», ajoute Babacar Diouf, un expert en décentralisation. Dans le même temps, des individuels, notamment les politiques, convoitent les terres depuis la sortie de Sédhiou jusqu’au croisement Carrefour Ndiaye, avec des formes de pression quelques fois exercée depuis un haut niveau du pouvoir central, se désole-t-on.
1950 HA AU PRODAC, QUELQUES RESERVES TOUT DE MEME!
La commune de Koussy a affecté une superficie de 1450 ha au Programme des domaines agricoles communautaires (PRODAC) de Séfa et 500 autres ont été attribués à cette même entité par la municipalité de Diendé. Au total, 2096 hectares de terre ont été emblavés dans le Domaine agricole communautaire (DAC) de Séfa, y compris les aménagements hors DAC, générant plus de 4000 emplois directs pour la campagne 2015 et touchant 56 villages dans les collectivités locales de Diendé et de Koussy, a déclaré la direction du Programme des domaines agricoles communautaires.
Les emblavures prioritaires sur ces hectares emblavées sont le maïs et le sorgho. Mais déjà, et malgré les ambitions de lutte contre la pauvreté par la création des richesses et l’incubation d’emplois via les entrepreneurs agricoles, des voix s’élèvent pour décrier le fonctionnement de ce programme. Le maire de Diendé, Hamadou Diallo, se désole du fait, selon lui, que «le PRODAC se donne plus de moyens de fonctionnement que d’investissement, aux dépens des populations qui veulent voir plus de réalisations sur le terrain».
D’autres estiment que ce programme spolie des terres et emploie leurs occupants antérieurs comme «ouvriers agricoles». Aussi l’absence de forage, la monoculture du maïs et la pauvreté des sols sont invoqués par certains qui ne trouvent pas du tout innovante l’approche des PRODAC. Quant aux éleveurs, ils se disent exclus du système notamment dans le mode d’entretien de leurs bêtes astreints à paître et à s’abreuver loin des zones de culture, sans parcours du bétail ni point d’eau.
Omar Cissé, un promoteur agricole de Bloc-Koussy, lui, déplore le retard des paiements des frais de location de la logistique et invite la direction à la diligence dans le traitement des charges. Mais pour Sadibou Traoré, président d’un groupement d’entrepreneurs agricoles (GEA) à Koussy, «ce sont des gens malintentionnés qui tiennent des discours du genre. Le PRODAC est venu nous organiser avec un système d’alignement assez rentable. Nous nous sommes organisés en GEA de 15 producteurs et chacun de nous dispose de 3 incubés. Nous sentons vraiment la plus-value ici».
Les 106 groupements d’entrepreneurs agricoles actifs sont présentement dans la zone. Chaque GEA regroupe 1054 sociétaires soit 3142 incubés. Au-delà d’un camp d’immersion d’une cinquantaine de jeunes de Young Men’s Christian Association (YMCA) qui séjournent sur place, le domaine travaille depuis août 2014 avec 42 techniciens agricoles sortis des universités, des écoles et centres de formations agronomiques et horticoles. Le coordonnateur national du PRODAC se veut clair. «Des aménagements d’eau et des équipements modernes seront réalisés dans la zone de Séfa pour booster les rendements et faire de ces périmètres, notamment la station d’essai de Nimaya, un véritable pôle de production et de traitement de semences certifiées pour en approvisionner jusque hors du territoire national du Sénégal.» Car, «le chef de l’Etat Macky Sall a de grandes ambitions pour la région, nous allons y arriver», a rassuré Jean Pierre Senghor à l’occasion de la visite du ministre de la jeunesse et de l’emploi des jeunes en août dernier.
PROCESSUS DE DEGRADATION DES SOLS DEPUIS LA CGOT SELON UN PEDOLOGUE
Dans les champs qui furent cultivés durant l’époque de la Compagnie générale des oléagineux tropicaux (CGOT), explique un agent des services de la pédologie à la retraite, «l’érosion fit très vite son apparition et, de manière très marquée, dès que la pente atteignait 1,5%. C’est dire la fragilisation de la structure de ces sols». Et de poursuivre: «les décapages occasionnés par l’action de pousser les arbres abattus ainsi que les labours profonds ramenaient en surface de la terre infertile qu’il fallut ensuite amender à grands coups d’engrais verts. De plus, sous ce climat humide, les herbes poussaient plus vite que l’arachide. On fit alors venir des sarcleuses de Géorgie (USA), où les sols sont cultivés depuis trois siècles. Les agriculteurs de cette région paient encore aujourd’hui les frais de cette dégradation du milieu».
BAMBALY - 520 HA AU PRODECA POUR 3 HOTELS, 5 BANQUES, 3000 LOGEMENTS, (…) : Le doute !
A en croire le maire de la commune de Bambaly, Mamadou Ndiaye, «l’ancien Conseil rural de cette collectivité locale devenue commune, à la faveur de l’Acte III de la décentralisation, a délibéré en 2014, à la veille des élections locales, sur 520 ha de parcelles au profit du Projet de développement de la Casamance (PRODECA). Cette entité est dirigée par le sieur Moustapha Ndiaye, connu sous le sobriquet de «Prince». Depuis que nous avons été installés à la tête de cette commune, les responsables de ce projet nous ont annoncé plusieurs rencontres qui n’ont jamais eu lieu alors que des langues se délient sur les mobiles de leurs activités en perspective. Aux yeux de la loi, au bout des deux ans d’observance légale, nous les mettrons en demeure. Cet acte peut, au demeurant, aboutir à une procédure de désaffectation» souligne, avec force, le tout jeune édile de Bambaly.
Interrogé sur le bien-fondé de ce projet dont la structuration fait rêver plus d’un, Abdoulaye Diallo, coordonnateur régional du PRODECA et ex-commissaire de la brigade mobile de sureté (BMS) de Sédhiou, dévoile leurs ambitions en ces termes: «nous sommes effectivement affectataires de ce site sur 520 ha. Nous nous organisons à y construire 3000 logements, 3 hôtels de 4 étoiles chacun, des centres commerciaux, 5 banques, un hôpital de niveau, une université, 2 lycées modernes et un stade olympique. Ceci est juste pour une première phase qui ne peut pas contenir l’ensemble des infrastructures que nous voulons réaliser. Le montant de l’investissement de cette première phase se chiffre à 500 milliards de F Cfa».
Abdoulaye Diallo de préciser qu’ils sont dans la phase de validation auprès du ministère de l’Aménagement du territoire. «Les entreprises sont déjà désignées. La commune de Sédhiou a fait des délibérations sur ce même site qui nous est affecté, mais tout est à nouveau aplani après des séances d’explications».