Je ne sais pas où en est la situation au Burkina, ce matin ! Cela ne m’est pas indifférent, bien entendu. Car, non seulement ce sont les Burkinabés, nos voisins et nos frères mais il se trouve, aussi, que notre propre président y est en mission pour le compte de la CEDEAO dont il est la président en exercice. C’est dire que tout ce qui se passe à Ouaga, ces jours-ci, nous concerne et de manière très particulière.
Il a été, le Burkina, quand il s’appelait Haute-Volta, précurseur dans les révoltes populaires et les coups d’Etat militaires. En cette dernière matière, il a longtemps disputé au Bénin, ex-Dahomey, le titre, peu glorieux ou enviable, de champion, sinon d’AOF du moins d’Afrique occidentale, ce qui est encore plus fort. Les jeunes d’aujourd’hui ne le savent pas très bien mais, ces deux pays étaient avec le Sénégal et le Soudan français de l’époque les fondateurs de la défunte Fédération du Mali avant que les arguments, sonnants, selon les uns ou trébuchants, selon les autres, de F. Houphouët-Boigny ne leur fassent faire une bien triste Volte-face. C’est ainsi que mourut l’idée d’un ‘’Exécutif Fédéral’’ c’est-à-dire d’un Etat qui irait, en passant par Ouagadougou et Bamako, de Dakar à Cotonou. Quel rêve magnifique s’évanouissait là !
Maurice Yaméogo, qui fut le bras qui tenait le poignard dans le dos de la Fédération, apprit, à ses dépens, que le crime, décidément, ne payait pas ! En tout cas pas indéfiniment car, au milieu des années soixante, les fonctionnaires et les populations voltaïques, lassés de ses frasques et de ses foucades tant domestiques que politiques, se mirent en grève et à manifester contre lui. Il crut devoir décider de leur envoyer la troupe pour leur apprendre à vivre. Mal lui en a pris. Car dès qu’elle fut dehors et dûment requise, c’est à lui-même, Yaméogo, qu’elle a décidé de s’en prendre : il fut ainsi déposé et immédiatement jeté en prison ! C’est depuis lors que se sont toujours mais toujours plus ou moins maquillés des soldats qui gouvernent le Burkina !
Certains oublient ou feignent de le faire que le ‘’Héros national’’ proclamé et tant célébré par maints thuriféraires et hagiographes, Thomas Sankara lui-même, n’était qu’un officier subalterne qui avait ramassé un pouvoir qu’avait laissé tomber un chef de bataillon, lequel l’avait pris à un colonel qui lui-même l’avait arraché au même général qui l’avait confisqué des mains de Maurice avant de mettre celui-ci en prison. Sangoulé Lamizana, c’était lui le général qui fut à l’origine de tout.
Du milieu des années 60 à maintenant, il n’y a jamais eu ou presque que des militaires au pouvoir au Burkina Faso ! Blaise a remplacé Sankara, non pas comme cela s’était toujours fait : un clou chasse l’autre, ou un simple changement de sentinelle, une relève de garde. Parce qu’il était son ‘’ami’’, il ne pouvait pas laisser Sankara vivre pour n’avoir pas à le regarder en face ! C’était radical, c’était mortel, mais c’était efficace ! Car, faire ça à quelqu’un dont tout le monde sait qu’il est votre ami, cela vous pose un homme !
Moyennant quoi, Blaise a duré 27 ans, presque une génération humaine ! Mais lorsque son ‘’cas’’ s’est posé, il y a eu comme un grincement dans la belle mécanique militaire. Car oui, il devait partir mais il n’avait ni su ni pu organiser son départ, c'est-à-dire sa succession. Ce que l’armée savait faire, c’étaient des putschs et non des dévolutions démocratiques. Ses ‘’amis’’ n’ont pas voulu lui organiser une ‘’sortie’’ à la Sankara, ils se sont juste abstenus de faire réprimer au niveau adéquat, et qu’ils connaissent si bien des manifestations qui demandaient son départ. Cette attitude des ‘’Forces’’ et d’abord de la principale, le Régiment de Sécurité Présidentielle (R.S.P.), en a trompé plus d’un.
Les politiciens et les manifestants ont ainsi cru que c’étaient eux qui avaient fait partir Blaise. C’est faux car ce sont ses propres troupes, ses prétoriens à lui qui, par leur passivité manifeste et leur manque d’initiative, lui ont montré la porte de sortie. Ses cadres n’étaient pas d’accord avec son idée de se perpétuer au pouvoir mais ils n’avaient pas encore trouvé ou inventé le biais pour s’y perpétuer eux-mêmes ! Car, de même que chez les politiques l’on prône à tout va les belles vertus de l’alternance, de même dans les casernes burkinabé. Les péripéties autour du colonel Zida et de ses démêlées avec le R.S.P. procèdent seulement de la surenchère interne à ce corps qui est, véritablement, l’épine dorsale même de l’Armée. C’est la garde prétorienne qui, seule, fait et défait au Burkina.
La sagesse commande d’en tenir compte et avec le plus grand soin davantage en tout cas que les cris d’orfraie de certains politiciens ou vedettes du show-biz qui, parce qu’on les célèbre pour leurs belles mélodies, croient avoir leur mot à dire lorsque c’est de la tragédie de vies et de morts concrètes qu’il s’agit de débattre ! Compaoré, en dépit de ce qu’on peut dire de lui et des conditions qui ont présidé à son accession au pouvoir, n’était pas n’importe qui.
Il a fait l’histoire, il en était d’abord le pur produit. Il était voltaïque, il est devenu burkinabé et franchement, ce sont deux pays, deux mondes différents. Il avait de réelles qualités d’homme d’Etat. La qualité de ses médiations dans la sous-région est encore dans la mémoire de tous car elle a souvent empêché d’irrémédiables catastrophes, que ce soit en Guinée, en Côte d’Ivoire ou au Mali. S’il fut, quelque part, un peu cassant ou intolérant voire criminel pour parler de Sankara et de Zongo, il ne faudrait pas oublier quand même, et en Afrique et au Burkina plus qu’ailleurs, qu’on ne gouverne, jamais, impunément.