Honte ! Désolation ! Chagrin ! Les candidats au pèlerinage, cloués au hangar des pèlerins de l’aéroport de Dakar depuis plusieurs jours, oscillent entre ces sentiments. L’avion affrété par le chef de l’Etat a sorti de l’auberge 101 personnes laissant derrière lui des dizaines de fidèles «pris au piège» et sans interlocuteur. C’est la fin du rêve.
Ils sont très loin de la Kaaba. Les candidats au Hajj 2015 sont toujours hagards au hangar des pèlerins situés à l’aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar. Le chef de l’Etat a convoyé à la Mecque à bord d’un Airbus A 330 de la compagnie XL 101 fidèles, selon les autorités. 92, d’après les déçus. Et le vol spécial affrété par Macky Sall a laissé à Dakar plus de 100 personnes meurtries par la perspective de rater le pèlerinage. Ce qui est devenu presqu’une évidence.
Il est 12 heures au hangar des pèlerins. Les gendarmes, qui ont reçu l’ordre de bloquer la presse, essaient de contrôler la circulation de l’information. Mais il est difficile de contenir la colère des personnes laissées en rade. Elles ont décidé de briser le cordon de sécurité pour venir raconter «l’atmosphère de désespoir» qui prévaut chez elles. Bassirou Mbacké Diatta, candidat au pèlerinage, qui voit son rêve voler en éclats, raconte : «La situation est indescriptible, c’est piteux. Nous sommes en train d’assister à des scènes inédites au niveau des pèlerins restés au hangar des pèlerins. Nous avons encore vu des camarades partir nous laissant ici. Pis, nous n’avons même pas d’explications, encore moins d’interlocuteurs ! Face à cette situation, les femmes pleurent et tombent en syncope, il y en a même qui ont été évacuées à l’infirmerie.» Le ton de sa voix ne dissimule pas la déception : «Elles ont investi humainement et financièrement et ne parviennent pas à partir à la Mecque pour sacrifier à ce cinquième pilier de l’islam.»
Face à cette situation, il dénonce la rupture de l’égalité des citoyens sénégalais divisés «en pèlerins du public et du privé» : «93 visas ont été attribués au reste des pèlerins alors qu’ils sont au total 200. Ceux qui sont partis sont uniquement ceux qui s’étaient inscrits dans le public. Plus de 100 attendent encore. J’exhorte tous les Sénégalais à dénoncer ce fait inédit. Il n’y a pas des Sénégalais du privé et du public. Tous sont des Sénégalais et quand ils souhaitent effectuer le Hajj, l’Etat doit mettre les conditions quel que soit le convoyeur.» Passablement «agacé», il demande au chef de l’Etat «d’arrêter de marginaliser les uns et favoriser les autres».
C’est désormais le hangar des lamentations. «En réalité, ce sont les candidats du privé qui sont là. Le départ pour tous était prévu pour 11 heures, mais jusqu’à 14 heures (hier), rien n’a été fait et les candidats restent dans un désarroi total», avance Iba Gallo Seck, candidat au pèlerinage venu de Kaolack. Il dénonce surtout le fait que les autorités sénégalaises «n’aient pas pu mettre la pression sur les Saoudiens. Le président de la République a juste loué un Boeing en faisant croire aux Sénégalais qu’il était en négociations avec les Saoudiens depuis le samedi dernier. Ceux qui sont partis, ce sont leurs protégés et ils ont laissé plus de 120 candidats qui sont là ne pouvant pas embarquer».
Aujourd’hui, le dernier espoir s’est volatilisé. «L’adjoint au commissaire Bamar Dia qui nous servait d’interlocuteur a pris le dernier avion, il a fui et embarqué alors que nous autres sommes bloqués par les Forces de l’ordre. Les gens sont touchés et ne peuvent pas retourner chez eux», a scandé Gallo Seck. Il dénonce un «mensonge» d’Etat : «L’Etat sénégalais n’a pas de respect pour ses citoyens. Il devait tenir un langage de vérité et arrêter de leurrer les gens. La commission devait dire la vérité quand il y a eu un problème de forclusion et que tout a été arrêté. Puisque le président de la République a pris des dispositions allant jusqu’à louer un avion pour faire voyager les candidats, il devait le faire pour tous. Mais en réalité, ce n’était qu’une mascarade, tout est nébuleux dans cette affaire.» Comme au pèlerinage, il lapide les autorités : «Tout cela est faut. Ce matin (hier), ils ont fait un rappel de 92 passagers sur 200 et quelques candidats. Ils ont sélectionné ceux qu’ils ont convoyés alors qu’avant la lecture de leur liste, ils nous ont assurés que tout le monde allait partir. Mais à la fin de leur liste, ils se sont enfuis nous laissant sans interlocuteur et à la merci du vent», a vociféré Gallo Seck. C’est presque la fin d’un rêve.