Précurseur de la musique acoustique au Sénégal avec la guitare et l’harmonica, Ismaël Lô est un musicien complet qui a droit de cité chez les ténors. Transfuge du Super Diamono de Dakar, l’homme-orchestre jouit aujourd’hui d’une renommée internationale. Il a reçu EnQuête dans la cour de sa résidence.
A ce jour, combien d’albums compte votre carrière depuis ‘’Xalat’’?
On a vingt-deux albums en tout. ‘’Sénégal’’, le dernier, est sorti entre 2006 et 2007. Permettez-moi de saluer un admirateur de taille que j’appelle l’ami ILOPRO. Il saura se reconnaître. C’est un éternel fan qui ne me lâche pas. Il ne cesse de me dire : ''Il faut que l’album sorte.'' Parce qu’il adore la musique d’Ismaël Lô. Je ne peux pas lui refuser ça. On échange souvent au téléphone. Je réponds toujours à ses SMS. Et je pense que si ça ne dépendait que lui, je devrais sortir un nouvel album toutes les semaines.
C’est pour quand la sortie de votre prochain album?
Disons que c’est pour bientôt. Aujourd’hui, il y a un travail qui se fait. Il faut laisser du temps au temps. Même si je n’ai pas atteint le sommet, je crois ne plus avoir à prouver quoi que ce soit dans la musique. Après toutes ces années d’activités professionnelles, j’estime avoir beaucoup appris et grandi en maturité. La musique n’est pas une course contre la montre.
Quand on écrit une chanson, il faut amplement la laisser à l’appréciation du public. Une chanson, c’est comme la signature. Une fois que vous mettez votre tampon, elle fait le tour du monde. Il arrive parfois que l’on veuille revisiter une chanson un ou deux ans après sa sortie. C'est-à-dire qu’on ressent le besoin d’ajouter quelque chose. Cela ne peut que se faire en live. Retenez que la sortie du nouvel album est pour bientôt. Je ne donne plus de date, ni de délais.
Est-ce qu’il vous arrive de jouer souvent pour vos fans?
Jouer pour ses fans, c’est un choix. Je le fais à l’occasion des manifestations auxquelles je suis sollicité au théâtre national Daniel Sorano, au centre culturel français ou ailleurs. Par exemple, je viens de faire récemment une tournée nationale, à Saint-Louis, Kaolack, Dakar, Ziguinchor jusqu’à Banjul. C’était une occasion pour moi d’aller à la rencontre de mes fans. C’est vrai que j’ai perdu un peu l’habitude de me produire tous les soirs.
Je le faisais au Super Diamono, avec Adama Faye, Oumar Pène et les autres. C’est vraiment pénible de se coucher vers 8 h, se réveiller à 14 h pour aller en répétition, avant d’enchaîner sur un concert dans la soirée qui commence à minuit et s’achève à 4 h. Cela m’a un peu lassé. C’est bien de le faire, mais je ne peux pas me produire tous les soirs. J’avoue que ce sont des moments de communion qui me manquent. Les fans me réclament et j’en suis conscient, mais c’est un choix que j’ai fait.
Cela veut-il dire que vous avez d’autres activités à part la musique?
Je suis Monsieur touche-à-tout, l’homme aux douze métiers, comme on le dit. Je n’ai pas d’autres activités à part la musique. Par contre, je suis quelqu’un qui aime s’occuper, plus précisément dans les domaines du bâtiment, de l’agriculture. Par moment, je soutiens mon épouse par rapport à l’école Tata Fa qu’elle dirige. Pour le reste, il y a la musique et la peinture.
Maintenant, il y a les rêves d’enfant. On ne peut pas passer son temps à chanter du matin au soir. Il faut un temps de récréation pour réaliser ses rêves d’enfant, comme planter un arbre, faire pousser de la salade et un manguier.
On constate que l’agriculture occupe une place de choix chez vous. Y a-t-il une raison particulière?
La raison est qu’on avait un instituteur qui répondait au nom de M. Zinzou Paul à l’école primaire Matar Seck de Rufisque. Il était aussi un homme de culture. C’est donc lui qui nous avait initiés à l’agriculture. On avait un petit potager à l’école. En début d’année, on nous initiait à la terre. On avait nos plants qu’on arrosait tous les jours à tour de rôle.
Tous les jours à 17 h, il y avait deux ou trois élèves qui arrosaient. Au bout de quatre mois, on récoltait des fruits, des choux, des navets etc. c’est de là qu’est partie ma passion pour l’agriculture. J’avais même un petit plant de salade à la maison. Mais ça n’a pas marché, parce qu’il y avait les poules qui détruisaient tout. Et je me suis dit que quand je grandirai, j’aurai mon propre potager. Par moments, je fais du maraîchage.
Au Sénégal, les maraîchers sont confrontés à un problème qui fait que tout mûrit ensemble. Si l’on n’a pas les moyens de les exporter... J’appelle des amis pour leur dire que j’ai des légumes et des mangues. Je n’ai jamais cherché à les commercialiser.
Avec une si belle carrière internationale comme la vôtre, êtes-vous déçu de ne pas avoir de disque d’or?
Non, je ne suis pas du tout déçu. Vous savez, pour avoir un disque d’or, il faut vendre 100 000 exemplaires en l’espace de trois mois. Maintenant, ça peut se faire dans la durée. Maintenant, l’album d’Ismaël Lô qui aurait dû être disque d’or en un temps record mais en deux phases, c’est ‘’Jamou Africa’’ qui fait partie des meilleurs ventes. Selon moi, cet album a dépassé le disque d'or. Le fait que ''Jamou Africa'' se soit retrouvé dans une compilation, par la suite, m'a vraiment porté préjudice. Je ne veux pas entrer dans les détails. C'est ma carrière.
Il faut expliquer pour éclairer la lanterne de l'opinion.
Quand vous signez avec un label, c'est pour un nombre d'albums donné, sur une durée déterminée. ''Jamou Africa'' est une compilation d'anciennes chansons que j'ai revisitées. Ce qui veut dire que cet album a été classé hors série. Même si cette décision n'a pas brouillé les cartes entre la maison de disque et moi, j'avoue qu'elle m'a beaucoup porté préjudice. Vous savez, les multinationales sont ce qu'elles sont. Je n'ai pas besoin de jeter des pierres.
On a gardé de très bons rapports, mais il y a des plans qu'elles maîtrisent plus que l'artiste. Encore une fois, ce n'est pas une déception. Il est mieux de faire une carrière dans la durée que d'avoir un disque d'or et s'en arrêter là. Quand tu cours derrière un disque d'or, tu ne vas jamais le trouver. Ce n'est pas le but du jeu. Maintenant, le disque d'or est symbolique, comme récompense dans la carrière d'un artiste.
J'ai eu un disque d'or avec Bisso Nabisso et non avec un album d'Ismaël Lô. J'avais tenté de le faire avec un album, Dieu en a décidé autrement. J'ai une carrière bien dessinée qui me permet de jouer dans des salles pleines. Et Ismaël Lô vend bien sur le plan international.
Comment se fait-il que votre musique soit plus consommée à l’étranger qu’au Sénégal?
Personnellement, je ne sais pas pourquoi. Il va falloir faire un micro-trottoir pour interroger les Sénégalais (rires). Même s’il y a des gens qui disent que nul n’est jamais prophète chez soi. C’est un choix. On peut faire du mbalax pur et dur dans plusieurs boîtes de nuit, tous les soirs. Peut-être que dans ce cas de figure, on va t’entendre sur toutes les stations de radio et te voir sur les plateaux de télévision.
Je pense qu’on a fait notre temps et qu’il faut laisser la place aux autres. Aujourd’hui, celui qui écoute l’album ‘’Xalat’’ joué avec de grands musiciens comme Vieux Mac Faye et Manu Lima, ça reste toujours au goût du jour. C’est pareil pour des chansons comme ‘’Xiif’’, ‘’Jalya’’ etc. C’est ça l’essentiel. Je crois que l’artiste doit, dans sa carrière, demander au Bon Dieu de lui accorder la santé qui lui permettra de créer de belles compositions pour les admirateurs qui le soutiennent en achetant ses albums.
On sait que vous êtes attaché à la famille, est-ce que ‘’Adu kalpé’’ est une histoire réelle?
‘’Adu kalpé’’ n’est pas une histoire réelle. Vous savez, quand on débute sa carrière, on imagine des histoires pour écrire une chanson. C’est après que j’ai entendu des gens rapporter que mon père a été agressé par des ‘’Adu kalpé’’comme c’est dit dans la chanson. Mon père était un grand monsieur qui était trop attaché à sa famille. Je crois d’ailleurs avoir hérité de lui cette qualité. ‘’Adu kalpé’’ n’est qu’une chanson. Mon père est décédé d’une mort naturelle sur son lit à l’hôpital Le dantec, un mois après son retour de La Mecque.
Pensez-vous qu’il y a une bonne relève pour l’avenir de la musique sénégalaise?
Je pense qu’il y a une très bonne relève. Je dirais plutôt une excellente relève. Aujourd’hui, on a la chance d’avoir de grandes cantatrices comme Coumba Gawlo Seck, Viviane Chidid, Titi, Mah Sané, Adjouza pour ne citer que celles-là. Il fut une époque où on n’avait pas autant de voix féminines dans la musique sénégalaise. On a, à côté des filles, Alioune Mbaye Nder, Pape Diouf, mon fils Waly Ballago et d’autres talents. Nos aînés ont balisé la voie. On a suivi. Mais avec la technologie, la jeune génération a plus de chance que nous.