Des cris, des crises, des larmes, de la détresse, de l’écœurement, de la déception à la place de la félicité promise aux pèlerins de La Mecque. Le dernier acte de la pièce qui se jouait au hangar de l’aéroport depuis la semaine passée a offert une fin double : 92 personnes voient leur rêve se réaliser, quelque 120 autres ont eu la désillusion de leur vie et vont passer la Tabaski au Sénégal.
‘‘Makka metti waay! ’’ La boutade du regretté humoriste Sanokho aurait prêté à rire si la situation n’avait pas été aussi sérieuse, hier au hangar de l’aéroport de Dakar. La dramatique des 200 pèlerins restants a offert un dénouement bouleversant auquel on pouvait s’attendre. Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Seules 93 personnes ont été autorisées à prendre les airs hier après que le problème de visa eut été résolu de manière parcellaire. Le reste, plus d’une centaine de personnes, passe tout simplement par pertes et profits. A défaut de réciter leur talbiya à Médine, ils l’ont fait hier à Dakar, par bravade, devant les grilles verrouillées du hangar de l’aéroport. A leur tête, Oustaz Ndiaga Seck, qui s’est remis d’un malaise, conduit une procession en colère. Tout semblait bien parti pourtant avec le communiqué du conseil des ministres du mercredi, où le président Sall avait annoncé avoir affrété un avion pour ces candidats au voyage. La terre s’est dérobée sous leurs pieds quand l’adjoint au commissaire, Bamar Ndiaye, est venu leur annoncer, ‘‘dans un discours lamentable ’’, à dix heures passées, que finalement moins de 100 pèlerins sont les ultimes heureux élus.
‘‘La situation était indescriptible. C’était piteux ; j’ai assisté à des scènes inédites. Les femmes tombaient comme des mouches. Certaines ont pleuré comme des enfants ; et deux personnes ont été évacuées à l’infirmerie car elles étaient tombées dans les pommes’’, témoigne Bassirou Mbacké dans une gestuelle véhémente. De la route de l’aéroport où il a rejoint la presse pour témoigner, d’autres pèlerins sont venus le rejoindre pour dire leur détresse et déception. Derrière les murs beiges, le drame se joue, implacable pour les pèlerins. A l’entrée, des berlines rutilantes et des taxis s’engouffrent. Les quelques fidèles résignés, aux visages bouffis, qui ont décidé de rentrer chez eux, lancent des paroles vipérines au commissaire général Ahmed Tidiane Dia.
Victimes majoritaires de ce pilotage à vue : les pèlerins des vols privés, à l’image de Iba Gallo Seck qui ‘‘ne peut pas supporter ce qui se passe’’, déclare-t-il. Et de poursuivre : ‘‘Pourquoi on nous sacrifie comme si nous n’étions pas des Sénégalais ?’’ peste-t-il. D’ailleurs tard dans la soirée, un communiqué du voyagiste privé Walo Voyages s’indignait du ‘‘parti pris’’ et de ‘‘l’incompétence du commissaire Dia’’ qui a laissé 35 de ses clients dans l’incertitude. Mame Yeli Lam, un autre pèlerin qui se résigne à partir, ne manque pas d’égratigner le commissaire au pèlerinage. ‘‘On ne sait pas de quelle immunité bénéficie un incompétent aussi notoire que lui’’, lance-t-il.
''Comme si on m’avait transpercé le cœur avec un couteau''
La tension était à son comble. Pour preuve, une autorisation imaginaire et improvisée a été exigée aux journalistes pour entrer dans le hangar. ‘‘C’est nouveau ça. On a déjà fait des reportages dans le hangar sans aucune autorisation’’, dit-on à un gendarme élancé, de teint clair. ‘‘ Bah ! cette fois-ci, il vous la faut pour entrer’’, réplique-t-il, éloignant toute personne non munie de badges de pèlerin. Seuls les parents venus aux nouvelles ont été admis à ramener leurs rares pèlerins écœurés qui ont préféré rentrer chez eux. Pour l’occasion, ce dispositif sécuritaire de la gendarmerie s’était déployé autour de l’enceinte qui abrite le hangar.
Leur but, empêcher la presse de filmer les images de la tragédie de ces pèlerins jusque-là épris de l’espoir qu’ils allaient fouler la terre saoudienne. Ce sont ces derniers qui sont venus raconter eux-mêmes leurs propres mésaventures. ‘‘Ils savent pourquoi ils refusent de vous laisser entrer. Les gens tombent en syncope, d’autres piquent des crises, les cris et pleurs fusent de partout. La situation est tout bonnement indescriptible’’, lance Aminata Ndoye. Le pesant aspect social de ce cinquième pilier de l’islam n’est pas pour arranger les choses. Certaines personnes disent préférer mourir que de retourner chez eux non auréolés du titre symbolique de El Hadji ou Adja.
‘‘C’est comme si on m’avait transpercé le cœur avec un couteau. Chez moi, mes enfants parlent doucement au téléphone pour que le voisinage ne sache pas que je suis toujours à Dakar’’, déclare une femme d’un ton larmoyant. A ses côtés, Yéli Lam plaide pour une intervention des pouvoirs publics afin de préserver la santé mentale de certains candidats au voyage. ‘‘Il faut une assistance psychologique à ces gens. Autrement le pire pourrait arriver. Certains sont totalement au bord de la rupture’’, confie-t-il, ne comprenant pas ce manque d’élégance républicaine du Premier ministre qui a quitté avec une délégation de quinze personnes au moment où ses administrés souffraient le martyre.
Plainte contre le commissaire Dia et l’Etat du Sénégal
Cette faille est du pain béni pour l’opposition. Après sa visite du mardi, Omar Sarr au nom du Fpdr est revenu apporter ‘‘le soutien, la solidarité agissante et la compassion’’ aux pèlerins en s’interdisant de faire de la politique. Il s’est tout de même posé une question à savoir : ‘‘Tout le monde s’inquiète. Comment a-t-on fait pour arriver à ce niveau ?’’ s’étonne-t-il avant d’inviter le président de la République à saisir le roi saoudien pour un traitement diligent de la question. Si quelques rares candidats, dégoûtés et résignés, ont préféré rejoindre leurs familles, le gros de la troupe compte mener la vie dure aux autorités pour rejoindre la terre saoudienne.
Malgré les chances presque nulles d’y aller, l’Arabie Saoudite ferme son espace aérien ce vendredi à minuit, les ‘‘oubliés’’ ne veulent envisager aucune autre option que la Terre sainte. ‘‘Nous ne bougerons pas d’un iota. Ils envoient les gendarmes pour nous intimider, mais jusqu’à ce soir, jusqu’à demain, on va rester ici. Nous ne voulons pas entendre parler de compensation. Makka rek ! (Seule La Mecque nous intéresse)’’, lance Bassirou Mbacké. Aminta Ndoye d’emboucher la même trompette : ‘‘On est prêts à subir toutes sortes de brimades, mais personne ne nous fera bouger d’ici. C’est La Mecque ou la mort’’, déclare-t-elle.
Après des concertations, ces déçus de La Mecque ont décidé d’intenter une action en justice contre le commissariat et l’Etat du Sénégal. Des ratés ont fréquemment émaillé l’organisation du voyage à La Mecque, mais l’incompétence dont a fait montre le commissariat cette année est sans doute inédite. Malgré son courroux indicible, le pèlerin kaolackois Iba Gallo Seck a laissé échapper une remarque pleine de sens sur laquelle les autorités devront réfléchir : ‘‘Depuis 1960, il y a des manquements dans l’organisation du voyage à La Mecque. Je me demande bien si les autorités prennent le temps d’apprendre des erreurs du passé’’, peste-t-il. Un questionnement parmi tant d’autres, qui aura certainement le temps d’être débattu dans deux semaines..., au retour des pèlerins.