La communauté musulmane du Sénégal se distingue encore par la célébration dans la division de la fête de l’Aïd el Kabir ou Tabaski. Alors que la Commission d’Observation du Croissant Lunaire (COCL), mise sur pied par la Coordination des Musulmans de Dakar (CMD) qui a scruté la lune le dimanche 13 septembre, correspondant au 29 zoul-hikhda (digui Tabaski) 1436H, célèbre l’Aïd el Kabir le jeudi 24 septembre prochain se basant sur la Mecque, la Commission Nationale de Concertation sur le croissant lunaire (CONACOC), dirigée par Mourchid Ahmed Iyane Thiam, qui s’est réuni à la RTS le lendemain lundi 14 septembre (soit le 29 zoul-hikhda 1436H pour la commission), retient la date du vendredi 25 pour la même fête de Tabaski. Encore un problème de vision et d’interprétation de textes religieux qui prennent en otage les musulmans sénégalais crédités de plus de 95% de la population. Pourtant, l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie révèle que la lune est restée pendant 50 mn dans le ciel avant-hier, lundi 14 septembre, avant de se coucher. Donc elle était suffisamment visible à l’œil nu, pourvu que les conditions météorologiques non favorables ne viennent perturber cette possibilité. Eclairage et explication des différentes sensibilités
AHMADOU MACTAR KANTE, IMAM DE LA MOSQUEE DE POINT E, COORDONATEUR DES «JOURNEES DE REFLEXIONS SUR L’OBSERVATION DU CROISSANT LUNAIRE» : «Mettre sur pied un observatoire national»
«La Commission nationale dirigée par mourchid Ahmed Iyane Thiam scrute la lune depuis 1996. On ne peut pas dire que tout est parfait, mais elle mérite confiance. Je travaille avec elle depuis quelques semaines, mais j’ai vu que leur méthode de scruter la lune est intéressante. (…) C’est normal qu’elle observe la lune hier (avant-hier lundi) parce ce que c’était le 29ième jour du mois. Durant toute la séance d’observation du croissant, personnes, sur toute l’étendue du territoire national, personne n’a appelé pour annoncer l’apparition de la lune quelque part. Nous avons contacté toutes les familles religieuses du Sénégal (Touba, Tivaouane, Ndiassane, Thiénéba, etc.) et aucun Khalife n’a eu l’information de l’apparition du croissant lunaire. C’est pourquoi nous nous sommes accordé que le premier jour de zoul hijja (Tabaski) sera le mercredi 16 septembre et le vendredi 25 septembre la Tabaski, au Sénégal. (…) Auparavant, deux ateliers ont réuni tous ceux qui sont concernés par la question de l’observation du croissant lunaire pour échanger sur la base de connaissances claires, il y a quelques jours. C’est pour en fin mettre sur pied un observatoire national dans lequel toutes les sensibilités se reconnaitront, pour éviter des divergences».
IMAM ISMAÏLA NDIAYE, PRESIDENT DE LA COORDINATION DES MUSULMANS DE DAKAR : «Il y a un problème d’interprétation du Fiqh islamique»
«Il y a un problème d’interprétation du Fiqh (jurisprudence) islamique. Les positions divergent sur l’observation du croissant lunaire: certains réduisent la scrutation à un niveau national, d’autres à une échelle sous régionale notamment des pays qui partagent le même fuseau horaire et certains considèrent que partout où le croissant est aperçu dans le monde, cela doit engager tous les musulmans. Ce sont ces deux dernières positions (niveau sous régional et échelle mondiale) qui cadrent avec l’Islam, mais la troisième qui est une considération nationale n’existe pas en Islam. Si souvent on note des divergences en ce qui concerne les autres mois notamment le Ramadan et la Korité, la Tabaski a une particularité qui est la station d’Arafat (mont du même nom où les pèlerins aux lieux saints de l’Islam passent la journée). Dans tout le monde entier, la Tabaski est fixée en fonction du jour de la station d’Arafat. Et quand nous sommes entrés en contact avec la Mecque qui détermine ce jour, on nous a informés que la station d’Arafat correspondra au mercredi 23 septembre, donc le lendemain jeudi 24 sera jour de Tabaski. Toutefois, la Tabaski est célébrée sur trois jours et tout sacrifice (de mouton) durant ces trois jours est bon. Mais le mieux, selon le Prophète (Psl) c’est de faire ce sacrifice le premier jour, c’est-à-dire le lendemain de la station d’Arafat, donc le jeudi 24 septembre 2015».
MARAME KAÏRE, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION SENEGALAISE POUR LA PROMOTION DE L’ASTRONOMIE : «Le lundi 14 septembre, la lune était dans le ciel pendant 50 mn, mais...»
«(…) Nous, nous retenons une date par rapport à la possibilité de voir le croissant ou pas et non par rapport à la Tabaski. C’est important de le préciser. Ce que nous avions retenu sur la base des éphémérides astronomiques, c’est que la lune allait se coucher trop tôt le dimanche 13 septembre et qu’il n’était pas possible de l’observer parce que simplement il a suivi le soleil de 12 mn. Par contre, le lundi 14 septembre, elle s’est couchée à 20H03. Les informations qui sont partagées unanimement au Sénégal, c’est que le soleil s’est couché entre 19H12 et 19H13, de façon précise à 19H13. Ente 19H13 et 20H03, il y a 50 mn. Astronomiquement, on considère que ces 50 mn sont largement suffisant pour observer le premier croissant. Donc hier lundi 14 septembre (avant-hier, ndlr), la lune, le premier croissant était dans le ciel pendant 50 mn.
Maintenant, c’est un élément que nous donnons toujours dans les communiqués de l’association, la lune peut être dans le ciel et que le ciel soit couvert et surtout pendant la période d’hivernage. Donc ce que nous avons retenu pour la journée d’hier (avant-hier lundi), c’est que la lune était dans le ciel pour 50 mn. Les conditions météo faisaient peut-être qu’on ne pouvait pas l’apercevoir, tous ceux qui l’ont cherché hier (avant-hier) n’ont pas pu l’observer. Ils ont systématiquement appliqué, ce que la Commission nationale a fait, l’ajout d’un jour supplémentaire qui a donné peut-être la date du vendredi 25 septembre. Ils se basent sur la Charia: «si vous voyez à l’œil nu vous priez et si vous ne le voyez pas vous rajoutez une journée». On ne va pas leur refuser cela, on s’accorde sur des critères qu’ils ont utilisés. Ceux qui se sont basés, en conclusion, sur le fait que la lune était dans le ciel lundi pendant 50 mn et ont retenu la date du jeudi 24 septembre, se basent sur des informations scientifiques, fiables, vérifiées un peu partout à travers le monde. Au final, tout est une histoire de critère au départ».
IMAM OUMAR DIENE, MEMBRE DE LA COMMISSION NATIONALE (CONACOC) : «La référence à la station d’Arafat ne figure pas parmi les critères pour fixer la Tabaski»
«Nous avons procédé à l’observation du croissant lunaire conformément à la Charia. Nous avons scruté la lune hier (avant-hier lundi) mais personne ne l’a vu. La lune n’a été aperçue nulle part au Sénégal. Et tous les chefs religieux sont d’accord qu’on applique ce que dit la Charia, en complétant le mois à 30 jours. Ce qui fait que le mercredi 16 septembre est considéré comme premier jour du mois de zoul hijja et le vendredi 25, correspondant au dixième jour, la Tabaski. La lune n’est pas apparue, le cas contraire, nous l’aurions déclaré. Donc nous nous conformons aux textes, ce qui a toujours guidé notre position ici au Sénégal. Les textes disent voir à l’œil nu, c’est que nous avons fait, mais la lune n’a été aperçue dans aucune contrée du Sénégal. Les familles religieuses, les gouverneurs, préfets et sous préfets, les directeurs d’écoles ont été mis à contribution, mais personnes n’a reçu d’information sur l’apparition du croissant lunaire.
Nous ne sommes pas à la Mecque et la Mecque, non plus, n’est pas Sandaga ou Tillène. Les pèlerins à la Mecque sont dans leur œuvre et se conforment aux exigences de ce cinquième pilier de l’Islam. Nous, ce que nous recommande la religion, c’est n’est pas: «jeûnez si la Mecque jeûne et priez si la Mecque prie, mais plutôt jeûnez si vous apercevez la lune et rompez (le jeûne) si vous apercevez la lune et (pour la Tabaski) priez si vous apercevez la lune». Nous nous conformons et œuvrons pour cela. Mais la tâche est très difficile parce que nous nous rendons compte que les gens ne nous apportent que la lune des autres, comme si la lune n’apparait pas au Sénégal. Il faut que les gens arrêtent de nous importer la lune d’on ne sait où. (…) La référence à la station d’Arafat ne figure pas parmi les critères pour arrêter le jour de la Tabaski. Arafat est à la Mecque, tout comme Mouna, Mouzdalifa. Ce sont eux (les pèlerins) qui effectuent le hadj, mais pas nous. Ils sont sur la bonne voie, nous aussi, nous n’avons pas dévié de ce chemin».