Le grand flou
A deux semaines de la fête de Tabaski, les moutons ne sont toujours pas au rendez-vous dans la capitale sénégalaise. Ils viennent au compte-gouttes. Les vendeurs ne voient pas l’ombre des clients et ils ne sont pas sûrs qu’il y aura suffisamment de moutons.
Dans les principaux points de vente de moutons de Dakar, les animaux se font toujours attendre. Comparé à l’année dernière, à la même époque, certains vendeurs estiment qu’il y a de quoi s’inquiéter. Au point de vente de Nord foire, rien n’indique qu’on est à quelques jours de la plus grande fête musulmane. En cet après-midi du mercredi 9 septembre 2015, l’ambiance est plutôt calme. Quelques bergers et vendeurs de moutons ont déposé leurs baluchons. Sous un soleil de plomb, les moutons apparemment affamés sont regroupés en petits groupes très serrés.
Dans cet enfer terrestre, il y a des moutons privilégiés. Il s’agit des béliers élevés dans les maisons appelés communément « xàru yar » (Ndlr : mouton d’élevage) différents de ceux qui parcourent la brousse en quête de pâturages. « On les met sous les tentes, car, ils ne sont pas habitués au soleil. La chaleur intense peut les rendre malades », explique un berger. Lui et ses camarades partagent les abris de fortune avec ces gros moutons bien entretenus, contrairement à ceux qui viennent de la brousse et des pays limitrophes.
« Pour le moment, il n’y a pas assez de moutons », lance un vendeur, pessimiste sur l’approvisionnement du marché. A en croire le maître des lieux, il y a de quoi s’inquiéter, malgré les assurances de la ministre de l’Elevage Aminata Mbengue Ndiaye. Plusieurs raisons sont avancées par les éleveurs et les vendeurs. « Je suis berger, mais ce que j’ai vu cette année, je ne l’ai jamais vu », s’inquiète Samba Sow, habillé en tenue traditionnelle avec un grand pantalon bouffant et une écharpe autour du cou. Les clients sont une denrée rare au niveau de ce point de vente où ils sont pourtant vivement souhaités.
Sous une petite tente se tient un groupe de six personnes. Elles partagent le local avec quatre gros béliers. L’endroit est très animé. Mais, lorsqu’un client se pointe, les offres fusent de partout. Chaque berger essaye de lui fourguer un bélier. Une concurrence assez particulière, puisqu’elle ne joue pas en faveur du client, en lui permettant d’acheter moins cher. En effet, chacun essaye de convaincre les acheteurs mais il y a une entente autour des prix qui varient entre 35 000 et 400 000 francs CFA, selon Bassirou Mbodj, chef de « Daral » (Ndlr : marché de bétail). Il est plus optimiste sur l’approvisionnement du marché que ses autres collègues vendeurs.
« De toute façon, le combat entre clients et vendeurs aura lieu »
« Pour le moment, dit-il, on ne peut pas juger le marché. Il faut attendre huit jours avant la fête pour se prononcer objectivement. Les clients aussi attendent, avec les promesses de la Ministre. Ils pensent qu’il y aura beaucoup de moutons et après, les prix vont diminuer. Nous aussi, nous les attendons. De toute façon, le combat entre clients et vendeurs aura lieu », explique-t-il avec beaucoup d’humour. La seule cliente qui s’est présentée, entre 15 heures et 16 heures 30 minutes sur les lieux, a vite été entourée par vendeurs et courtiers. Khadijatou Diène a fini par rentrer sans acheter, car elle juge les prix trop élevés. « J’étais là pour voir les moutons, mais pour l’instant, les prix ne m’arrangent pas. Avant la tabaski, les mêmes moutons coûtaient 40 000 francs CFA. Aujourd’hui, ils me demandent 75 000 F CFA, dernier prix. J’attends encore. Peut-être qu’avec l’approche de la fête, les prix vont baisser », confie la dame au teint noir et de taille moyenne.
Les deux voies de Liberté 6, le coin des VIP
17 heures sur les deux voies de Liberté 6. L’endroit est très connu des Dakarois pour ses gros moutons exposés le long de ces deux voies goudronnées. Pour l’instant, il n’y a qu’un seul exposant. Bougouma Guèye vient de Louga. Il connaît bien le métier qu’il pratique depuis 30 ans. Sous une grande tente, aidé par plus d’une dizaine d’enfants et de jeunes, il s’attelle à finaliser son installation. Ici, c’est pour les VIP. Les prix varient entre 90 000 et 600 000 F CFA. Bougouma ne se fait pas de souci pour écouler sa marchandise. Il dispose d’une centaine de têtes. « Moi, j’ai des clients à qui je vends, chaque année. Actuellement, beaucoup d’entre eux ont déjà payé leurs moutons et ils les laissent avec moi. Le jour de la tabaski, ils viennent les récupérer », informe le Lougatois. Contrairement à nos précédents interlocuteurs qui se plaignaient d’un manque d’espace pour exposer leurs bêtes, l’associé de Bougouma, qui a requis l’anonymat, brandit une copie de l’arrêté du Préfet de Dakar autorisant la vente sur leur site.
Séras attend ses moutons et ses clients
A la Société général des abattoirs du Sénégal (SOGAS), plus connu sous le nom de Séras, la situation est identique. Le plus grand point de vente de Dakar attend toujours les moutons et les clients. L’endroit était presque inaccessible, hier, après les précipitations matinales qui sont tombées sur la capitale. Une odeur nauséabonde se dégage des lieux. Les vendeurs occupent même les rails, faute de place. Les acteurs affirment que les animaux ne sont pas encore au rendez-vous. Ici aussi, propriétaires et courtiers se tournent les pouces. Certains font même du racolage pour trouver un acheteur. Ils ne sont pas plus avancés que leurs collègues des autres points de vente sur l’approvisionnement du marché en moutons. « Je ne suis pas sorti du Sénégal mais ce que je vois ne me rassure pas», lance Abdoulaye Sow, très sceptique par rapport aux assurances du gouvernement.
En attendant les derniers jours de la fête de tabaski, le doute continue de planer dans la tête de nombreux Sénégalais, quant à l’approvisionnement du marché en moutons.