Si Hissein Habré a été présenté comme un démon, hier, l’expert Yakhara Gassama Diop a présenté une face angélique de l’ex-président tchadien dans son rapport fortement critiqué par les avocats des parties civiles et le parquet général.
L’enquête de personnalité de l’ex-président tchadien se poursuit, devant la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Hier lors de la sixième journée du procès, l’expert Yakhara Gassama Diop a été entendu en premier. La dame devait éclairer la lanterne des juges sur la personnalité de l’ex-Président tchadien jugé pour crimes internationaux.
Dès l’entame de la présentation de son rapport, la psychologue-conseillère à l’Ecole nationale des travailleurs sociaux spécialisés (ENTSS) a exposé les difficultés auxquelles elle a été confrontée durant sa mission. En plus du refus de Hissein Habré de la recevoir, elle a évoqué le court délai accordé par la commission d’instruction des CAE. ‘’Pendant trois mois, on n’a pas pu le voir et l’entendre. L’autre difficulté est que sa famille proche a refusé également. Il s’y ajoute que j’aurais voulu disposer de plus de temps, vu l’envergure de la personne de Hissein’’, a-t-elle souligné.
Néanmoins, malgré ces difficultés, elle a produit un rapport qui présente un visage de l’inculpé aux antipodes de celui jusque-là connu. L’expert s’est basé sur le témoignage de quelques Tchadiens installés à Dakar. Tous décrivent leur ex-Président comme un homme ‘’ambitieux pour lui-même et pour son pays’’. Cette ambition fait qu’il a été nommé secrétaire d’administration à 16 ans et sous-préfet à 19 ans, avant de réussir au concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration de France, en 1963.
Côté caractère, le rapport présente un Hissein Habré ‘’de nature très calme, d’une extrême courtoisie envers les personnes, quelle que soit leur position sociale’’. Et un homme ‘’qui ne reste jamais assis, pour saluer une personne, même quand il était au pouvoir, et qui raccompagne toujours ses invités’’. D’après toujours le témoignage de l’expert, ‘’ la loyauté en amitié est fondamentale pour Habré’’ qualifié également de ‘’généreux à l’endroit de ses compatriotes et même de ses voisins sénégalais à Ouakam’’. Même si certains de ses compatriotes affirment ne pas bénéficier de cette générosité.
Habré, un homme d’une grande spiritualité
Des défauts, comme tout être humain, le Tchadien de Ouakam en a. L’enquête de personnalité révèle un Habré ‘’tenace et implacable envers ses ennemis’’; qui ‘’ne recule devant rien et ne regrette pas, car il assume tout ce qu’il fait’’. Il est également dépeint comme une personne ‘’qui a une très haute estime de lui qui frise l’orgueil’’ avec une ‘’grande assurance et confiance’’. Habré se révèle être un homme vraiment pieux, d’une grande spiritualité. Selon le témoignage de l’ancien directeur de la prison du Cap Manuel où l’ex-Chef d’Etat est détenu, depuis le 2 juillet 2014, le détenu tchadien ‘’n’a aucune activité et s’enferme toujours dans sa cellule et a toujours en main un chapelet et un exemplaire du Saint Coran’’.
Le rapport critiqué
Si le rapport convient bien à la défense, il n’a pas eu l’heur de plaire au parquet général. Ils ont trouvé le tableau trop beau et ils n’ont pas hésité à critiquer le rapport. Le substitut général, Youssoupha Diallo a reproché à l’expert d’avoir poursuivi son enquête, alors qu’elle n’a pas pu rencontrer l’accusé et ses parents proches. ‘’J’ai exposé les difficultés et j’ai voulu arrêter, mais le juge d’instruction m’a demandé de continuer’’, s’est justifiée Mme Yakhara Gassama Diop. Son collègue Moustapha Kâ a reproché à l’expert de n’avoir pas interrogé les proches voisins de Habré, notamment, les notables de Ouakam, ainsi que les opposants tchadiens vivant au Sénégal. Toutefois, leur collègue Mme Anta Ndiaye Diop a estimé que ‘’le rapport a apporté un bémol à l’instruction qualifiée d’instruction à charge’’.
Les conseils des victimes ont encore moins aimé le rapport qui, selon eux, n’apporte rien aux débats, puisqu’il a été fait en sens unique. ‘’Les sources sont infimes car seules sept personnes ont été interrogées et le rapport ne dit pas qui est Habré et il est cantonné ici au Sénégal. Or, l’on ne peut pas parler de Habré sans aller au N’Djaména’’, a martelé l’avocate tchadienne Laminal Ndintamadji. Mes Georges-Henri Beauthier et Fatimata Sall ont abondé dans le même sens, en fustigeant le fait que la psychologue-conseillère n’ait pas enquêté sur l’enfance de l’ex-président tchadien.
‘’L’enfance détermine l’individu et le rapport ne l’a même pas évoquée’’, s’est emporté l’avocat belge. Face à ces critiques, l’expert a expliqué que certains ressortissants tchadiens ont justifié leur refus de témoigner de peur de représailles, parce que des agents secrets tchadiens les épient et que l’un d’eux a été agressé, pour avoir critiqué l’ex-Président. A l’en croire, même le fils adoptif de Habré qui l’avait accueillie est parti sans finir l’entretien. La femme de celui-ci a également renoncé.