L’ex-président tchadien, Hissein Habré, jugé à Dakar pour "crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de torture", semble bâtir sa stratégie de défense sur les incidents d’audience, pour empêcher son jugement.
Lorsque son procès a repris ce lundi, il s’est mis à crier sur les juges des Chambres africaines extraordinaires (CAE).
La reprise du procès suspendu depuis le 21 juillet dernier n’a pas été de tout repos pour le parquet général et les membres de ce tribunal créé par le Sénégal et l’Union africaine pour le juger.
A 9h15, le procureur général des CAE, Mbacké Fall, et ses adjoints, suivis par le président de la cour, Gustave Kam, entrent dans la salle d’audience, pour la reprise du procès.
Les journalistes, les témoins, les victimes présumées et leurs familles, les avocats, les greffiers et les curieux prennent d’assaut la salle d’audience, dès les premières heures de la journée. Ils constatent, à leur surprise, l’absence de l’accusé.
Une question du président de la cour, Gustave Kam, coupe court aux rumeurs, chuchotements et spéculations sur l’absence de l’ex-président du Tchad. "Monsieur le procureur, je constate que la chaise qui est réservée à Hissein Habré est vide. Peut-on savoir pourquoi ?" lance M. Kam.
"Un ordre d’extraction a été délivré aux responsables de la prison du Cap Manuel. Monsieur Habré est extrait de sa cellule et se trouve en ce moment dans la cave du palais de justice de Dakar (le procès se tient dans l’enceinte du même palais, Ndlr)", répond Mbacké Fall, sans tarder. A ce moment-là, M. Fall n’attend que soit prononcée la formule d’usage ordonnant de faire entrer l’accusé dans la salle d’audience.
Mais, c’est compter sans le plan prévu par l’ancien chef d’Etat tchadien, qui ne change rien de sa ligne de défense : refuser à tout prix de comparaître de son propre gré. Une attitude qui oblige le tribunal à délivrer une nouvelle ordonnance de comparution, "celle du 21 juillet, à l’ouverture du procès, n’étant valable que pour cette date-là".
Le président de la cour suspend l’audience, pour ordonner, de retour dans la salle d’audience, la voix de plus en plus grave, une "sommation à comparaître immédiatement", après avoir saisi la chambre des huissiers.
La sommation est vite exécutée, car quelques minutes plus tard, du bruit venant de l’extérieur de la salle annonce l’arrivée de l’accusé. Drapé dans un grand boubou blanc, sa tête dissimulée dans un turban de même couleur, Hissein Habré, malgré ses 71 ans, se démène pour s’arracher des mains des forces de l’ordre, qui s’efforcent de le maintenir sur une chaise.
Tout semble maintenant fait pour un bon déroulement de l’audience. Mais l’ancien chef d’Etat n’est pas encore à bout de prouesses. "Monsieur Hissein Habré, vous êtes devant les Chambres afri…" lance Gustave Kam, interrompu par une audacieuse question de l’accusé. "Quelle chambre ? Vous n’êtes rien du tout. Vous n’êtes qu’un petit organisme de justice manipulé", lance l’ex-président tchadien, visiblement déterminé à rendre la vie dure aux juges.
"Que vous le voulez ou non, ce sont les Chambres africaines extraordinaires qui vont vous juger. Vous connaissez l’adage M. Habré : force va rester à la loi", rétorque le président du tribunal.
Hissein Habré, plein de culot, somme le greffier occupé à lire une longue liste des témoins et victimes présumées de se taire : "Taisez-vous ! Vous êtes hors la loi."
Les éléments de sécurité au physique herculéen, encagoulés de surcroit, n’intimident nullement l’accusé, qui lancent des piques et petites phrases hostiles au personnel du tribunal.
Peut-être étonné par l’attitude de M. Habré, le président du tribunal suspend de nouveau l’audience pour, certainement, voir comment assurer le bon déroulement du procès.
Les deux bras levés, faisant à l’aide de ses doigts le signe de la victoire, Hissein Habré est visiblement content d’avoir chahuté l’audience.