L’hivernage 2015 laissera un grand souvenir pour tous les riverains qui vivent dans des villes mal assainies ou simplement en face de la mer. Depuis quelques semaines, si ce sont pas des ponts qui s’effondrent sous le poids cumulé de camions en surcharge, ce sont des traits de côtes qui bougent et reculent sous la pression des eaux et de la mer. Déjà, la semaine dernière, la mer en furie a déversé ses fortes houles sur les côtes entrainant des dégâts énormes, notamment à Dakar (Corniche Est, Hann, Yarakh), Mbao, Rufisque, Bargny, Mbour et Saly-Portudal, avec à la clé des maisons effondrées ou englouties, des pirogues et autres matériels de pêche endommagés. Le spectacle était désolant, obligeant le chef du gouvernement à effectuer le déplacement auprès des sinistrés. Changement climatique ou pas, au moment où l’hivernage entame son second mois actif, il semble que les périls vont se poursuivre si des mesures énergiques ne sont pas prises pour venir en aide à ces gens établis sur des zones parfois très dangereuses pour leur vie
1987, la pointe de Sangomar situé au sud de la ville de Joal, perd la moitié de sa surface. Séparée de la Pointe de Djiffère et son bel hôtel à l’époque, ce bel endroit devient tout d’un coup une île et une zone sinistrée. La fin des années 80 sonne presque le glas du tourisme dans ce petit village de pêcheurs, mettant en sursis la vie des populations de localités toutes proches, la sous-préfecture de Niodior et l’île de Dionewar, qui venaient y écouler leurs ressources tirées de la mer, en péril. Cela ne faisait que commencer.
Les années 1990, ne sont guère mieux avec la ville de Joal qui voit une bonne partie de son littoral et les petits villages autour comme Palmarin (Nguedji et Fakao réunies) partie sous les eaux. Images terribles d’un scénario improbable. Eux avaient vu les premiers signes d’un tsunami africain. Mais, l’alerte n’attire pas l’attention des autorités parce qu’on est encore loin de Dakar. Or, dans cette partie du territoire national décrite dès 1848, le comte Édouard Bouët-Willaumez, officier de marine et explorateur français comme une côte coupée par de petites rivières ou marigots qui viennent déboucher à la mer, surtout pendant la saison des pluies, le lagunaire et le précaire se mélangent.
Plus près de Dakar, avant même le péril que connaît aujourd’hui, la station balnéaire de Saly et le littoral mbourois, ce sont les cimetières de Rufisque et les quartiers de Mérina, Keuri kaw, Diokoul, Thiawlène qui sont envahis par la mer encore, au milieu des années 1990 avec des ossements humains qui sortent de l’eau. Là aussi, c’était encore la mer qui venait de charger. 1986-2000-2015, quand on en parle sans regarder en arrière, l’impression est que le risque et les catastrophes naturels ne se passent qu’à un certain moment de la vie. Et, tout d’un coup, criant au secours, les populations ameutent la presse pour crier au scandale ; mais qui est le véritable responsable de ces phénomènes ? Pourquoi la mer charge-t-il le continent ?
Le plus fataliste vous expliquera les raisons, en invoquant Dieu le tout puissant. Le chercheur et le spécialiste de ces ouragans, typhons, cyclones ou tempêtes tropicales vous diront eux que les causes parce qu’il y en a beaucoup, ce sont bien entendu, l’homme et ses imprudences. Même si la nature et ses effets sur la vie des gens, ne peuvent être totalement exclus. L’histoire de la mer qui monte remonte à bien plus loin depuis la fin du 19 ème siècle, mais c’est nul doute grâce à la photo satellite qu’on a remarqué l’avancée de la mer sur le continent.
Sur le littoral atlantique, comme sur le Pacifique, la mer monte tout le temps avant de redescendre des fois à son niveau normal ; mais après que de dégâts causés sur les habitations, les cultures, le fragile écosystème littoral. Au Sénégal, dans la ville de Saint-Louis, le village de Guet Ndar a vu nombre de ses habitations en dur sombrer dans la mer.
UN PAYS ENTRE FLEUVE ET OCEAN : L’alerte a été donnée par le Magazine «Thalassa»
Le magazine de France 3, Thalassa du mois d’octobre 2014 dans un documentaire intitulé « Le Sénégal entre fleuve et océan » présenté par l’inspiré Georges Pernoud avait encore sous les éclairages de Haidar El Ali, avait attiré l’attention sur les risques énormes qui pesaient sur cette partie du nord du pays. En vain apparemment. Les images à couper le souffle, des solutions quasi inexistantes face à un problème d’une telle ampleur ; même l’ancien ministre de l’environnement, demeurait impuissant, est resté dans un descriptif sommaire qui n’apportait rien de nouveau au nouveau.
Au Sénégal, nombre de villes sont aujourd’hui établies sur des sites à risques : Dakar, Saint-Louis, Rufisque, Mbour, Joal, Kaolack et les îles du Saloum, au loin de la Casamance de l’île de Karabane au Cap Skirring… On ne finit pas le décompte. Et si ce n’est pas la mer qui charge, ce sont les pluies qui coupent des ponts ou « chassent » les populations mal installées dans des villes à risques et sur des zones non constructibles. De Sédhiou à Vélingara en passant par Ziguinchor, Kaffrine, Tambacounda, Bakel, aucune de ces villes ne dispose d’un assainissement correct. Aujourd’hui, une grande ville comme Mbour est sous les eaux depuis plus d’un mois et sur ses anciennes belles rues, si on peut encore leur octroyer ce pseudo.
Ce long panorama a donné une belle image de ce pays enfoui par certains pans de son finage dans la mangrove (en Casamance), dans les estuaires ( au Saloum), les embouchures dans la vallée du fleuve pour d’autre. Mais, il s’agit bien de zones précaires. Du changement climatique et de l’avancée de la mer, trois regards de chercheurs et d’un défenseur de la nature en la personne de Mamadou Mbodj, président de l’association sénégalaise des amis de la nature, s’y sont posés et n’ont pas suffi. La mer bouscule les pointes de Djifère et de Sangomar et de Djiffère depuis l’année 1986. Et cela, tous les trois l’avaient prédit. Le professeur Madiagne Diagne, brillant agro-climatologue aujourd’hui disparu fut l’un des plus actifs. Isabelle Niang et Pape Goumba LO, la première du département de géologie de la faculté des sciences et le second géologue à l’Institut des sciences de la terre (Ist) de l’Université de Dakar, ont été les premiers à s’intéresser à cette avancée du trait de côte sur le continent.
Aujourd’hui, sur les 10.000 km de côtes que compte l’Afrique de l’ouest à travers un ensemble de 11 pays, le Sénégal n’en dispose que de 700 presque toutes plus exposées les unes que les autres. Sur le littoral de cette partie du territoire la plus fragile face au changement du climat, Mamadou Mbodj explique que le phénomène s’est aggravé avec la disparition des écosystèmes de mangrove. La faute, selon lui, aux hommes et femmes qui venant chercher des huîtres ne se gênaient pas à abattre les pieds d’avicenna ou de rhizophora pour leur propre plaisir.
Pour le professeur Pape Pape Goumba Lô, la première conséquence de l’extraction du sable marin, serait l’érosion côtière. Babacar Diop, responsable du conseil rural de Dionewar n’hésitera pas à un moment pour dire que « Le risque, c’est de voir disparaître les îles du Saloum. Il y a eu certes une prise de conscience avec la rupture de la Pointe de Sangomar, mais même avec la rationalisation de l’exploitation des huîtres, la nécessité de protéger ces zones fragiles est devenue une urgence… »
En revenant un peu plus au centre du pays, la station de Saly, est aujourd’hui sous la menace des eaux. L’installation de digue autour de certains hôtels n’a pas suffi pour arrêter la mer. Aujourd’hui, toute la station est sous la menace de l’eau depuis le Savanah jusqu’à Téranga qui ont perdu une bonne partie de leur plage. Dans la ville de Dakar, Yarakh et la baie de Hann sont encore bien plus exposés. Et, les populations dans le désarroi se sont mobilisées derrière une petite association dite des populations victimes de la mer. Chose qui n’empêchera pas la mer de s’agiter sur les habitations situées dans sa zone d’emprise et sur les plages plus proches.
DJIFERE-SANGOMAR : Deux pointes mythiques coupées en deux
La rupture de la pointe de Sangomar est l’aboutissement d’un processus naturel vieux de quelques millénaires1, déjà remarqué par les marins. En 1891, on constatait ainsi que la pointe avait été rognée de 25 à 30 m depuis 18862. Au XXe siècle plusieurs ruptures sont signalées en 1909, 1928, 1960, 1970. De grande ampleur, la dernière en date se produit le 27 février 1987 au lieu dit Lagoba. Un an plus tard, la brèche mesure 1 km de large, et dix ans plus tard environ 4 km. Plusieurs campements et bâtiments ont été détruits. L’usine de conditionnement de poisson de Djifer a été fermée en 1961. En effet, le village situé à 4 km au Nord du premier point de rupture, est de plus en plus menacé et les autorités envisagent l’évacuation de ses habitants vers le nouveau port de Diakhanor.
Parallèlement au phénomène d’érosion se produit un processus de sédimentation : l’extrémité Sud de la nouvelle île de Sangomar s’étend de 100 m par an vers le Sud et, sur la rive opposée, les abords des villages de Niodior et Dionewar s’ensablent considérablement, ce qui réduit le trafic des embarcations et contribue à l’enclavement des populations. La pointe de Sangomar est aussi décrite depuis longtemps par les navigateurs et les ingénieurs hydrographes à cause de sa barre et en raison de sa position stratégique en aval du port de Kaolack, centre de production important pour l’arachide et le sel.
Au milieu du XIXe siècle, Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal, cherche à prendre le contrôle des pays de l’arachide et à encercler le Cayor. Il mène notamment une expédition au Sine en mai 1859. Pour consolider les positions françaises, et comme à Rufisque (Cayor), Saly-Portudal, Kaolack et Joal un fortin est construit à Sangomar. En 1890, on y édifiera un poste de douane.
ZOOM SUR... SAINT-LOUIS : UNE ILE, DEUX BRECHES
Dans le nord du Sénégal, l’ouverture de la brèche sur le littoral atlantique, pose un autre problème avec des pans de l’île de saint en danger. La langue de barbarie est dans le lot. En octobre 2003, suite à un risque important d’inondation de la ville de Saint-Louis, les autorités décident d’ouvrir un « canal de délestage » pour faciliter l’écoulement du fleuve vers la mer, à 7 km au sud de la ville. De 4 mètres de large au moment de l’ouverture, le canal a atteint 250 mètres de large trois jours après le creusement, passant même à 800 mètres au mois d’avril 2004.
L’érosion est aujourd’hui très importante dans la partie sud, entraînant la disparition des filaos et des dunes. Il s’y ajoute la salinisation inquiétante de la nappe phréatique qui a entraîné le déclin de bon nombre de cultures.
L’ouverture de la brèche a ainsi complètement modifié le milieu estuarien et certains spécialistes craignent désormais que la ville de Saint-Louis soit plus sensible qu’auparavant à une augmentation, même minime, du niveau de la mer. Une nouvelle brèche a été ouverte par la mer en octobre 2012 un peu au Nord de Gandiole, à 500 mètre de la première. Au départ limitée à quelques vagues, c’est désormais une nouvelle ouverture d’un kilomètre de large qui coupe la langue de Barbarie, menaçant notamment le campement Océan et Savane, tout proche. La rive continentale du fleuve reçoit aujourd’hui directement les vagues sur ces berges.
FOCUS SUR... TOUT UN LITTORAL EN PERIL
Au Sénégal, nombre de villes sont aujourd’hui établies sur des sites à risques : Dakar, Saint-Louis, Rufisque, Mbour, Joal, Kaolack et les îles du Saloum, au loin de la Casamance de l’île de Karabane au Cap… On ne finit pas le décompte.
Pour faire face à un tel péril, des actions sont tentées depuis une vingtaine d’années grâce à la science et aux chercheurs de l’université. Les populations aussi s’y sont mises quand elles n’avaient plus personne pour leur venir en aide. Ces dernières aidées en cela par des spécialistes, ont commencé à mettre en place des épis, des brise-lames ou autres remblais pour se protéger. Et Djibo Ka, à l’époque ministre de l’Environnement et de la Protection de la Nature parlait de protéger tout le littoral régional à travers la ferme volonté de l’Etat de s’engager dans la recherche de solutions. Mais surtout, l’élaboration de dispositions à différents niveaux pour juguler le mal sur l’ensemble du littoral du Maroc au Cameroun et même l’Afrique du Sud.
L’expert Pape Goumbalo, en sa qualité de centre expérimental de recherche et d’étude pour l’équipement (Cereq) avait encore une fois, comme à son habitude depuis des années, situé les racines et l’extension du phénomène d’érosion côtière. Déplorant le fait que les actions sectorielles et parcellaires mais aussi individuelles pour trouver des solutions avaient empiré le mal et affirmant que cela créait beaucoup de plus de problèmes. C’est dans ce cadre d’ailleurs qu’un programme intégré de lutte prenant compte le phénomène dans un vaste ensemble a été initié avec l’appui de l’Union économique et monétaire ouest-africain dont le professeur est un des experts sur la question.
Sur la démarche, l’initiative entreprise par l’Uemoa pour un coût global estimé à 96 milliards de francs Cfa devant prendre appui sur des études pour le diagnostic, mais aussi d’ouvrages sur une durée de 5 ans a été ainsi initiée.
L’UEMOA ET L’UICN AVAIENT TIRE LA SONNETTE D’ALARME
C’est ainsi que sous l’égide de l’Uicn et de la Commission de l’Uemoa, une rencontre s’est tenue à Dakar du 16 au 17 mai 2011. Quatre années déjà se sont écoulées après cette validation d’une étude régionale sur le suivi du trait de côte et l’élaboration d’un schéma directeur sous-régional ouest africain. Mais la mer ne cesse d’avancer sur le continent.
Les résultats de ce diagnostic avaient ainsi montré la forte dynamique des différentes formes d’occupation de l’espace littoral, avec des concentrations fortement croissantes des populations et des biens dans les espaces à proximité de la mer. Les éléments ainsi présentés de ce diagnostic de l’Uemoa avaient montré l’importance stratégique de la réduction des ridsques littoraux dans le développement futur des Etats côtiers. Dans le même sens, celle-ci a été aussi argumentée par celle de l’Acmad qui a rappelé les effets du changement climatique sur le littoral tout en précisant les larmes marges d’incertitude qui affectent et toute prospective dans le domaine. Tout autant, toujours ont poursuivi les experts, que la montée progressive de la mer et difficilement quantifiable du niveau de la mer, les épisodes exceptionnels météo-marins déjà connus et pouvant intervenir à tout moment, et les surcôtes de tempête qu’ils peuvent engendrer constituent des risques directs, plus proches et qui s’inscrivent dans la réalité quotidienne des territoires cotiers et populations littorales de la sous-région.
Quatre ans après, il semble que la mise en place d’un observatoire du littoral ne soit encore qu’un mot politicien. Il semble surtout que la bonne gouvernance nationale et régionale des risques côtiers comme la mise en place d’un réseau d’observateurs indépendants en vue de l’élaboration d’un observatoire chargé de suivre l’évolution du trait de côte et l’avancée de la mer, ne soient encore qu’au stade des idées. Ce mal africain ne disparaîtra que lorsque le décideur politique et l’élu local comprendront que leur élection ne doit rien à leur intelligence, mais surtout aux espoirs énormes que les populations placent en eux, en les mettant face à leurs responsabilités, le premier jour de leur arrivée au pouvoir.