Le premier vol pour les lieux saints de l’Islam est officiellement prévu ce 7 septembre, même si des voyagistes privés commencent à convoyer leurs premiers pèlerins, depuis le lundi 31 août. Malgré les dispositions prises du côté de l’Etat et des organisateurs privés, tout n’est pas rose sur le chemin du hadj.
Malgré la cherté du prix du package fixé par l’Etat sénégalais à 2 650 000 F Cfa cette année contre 2 450 00 Fcfa, l’année dernière, le Sénégal a pu atteindre son quota de 10 500 pèlerins dans les délais. Les Sénégalais, qui vont accomplir le 5e pilier de l’Islam, en l’occurrence le pèlerinage à la Mecque, ont rempli toutes les formalités administratives, en dépit de la hausse d’un minimum de 200 000 Fcfa sur le package. ‘’Un climat de suspicion a prévalu en un moment. Il y a eu plus de peur que de mal. Le quota est largement atteint, on ne s’y attendait pas. Au 31 juillet, date de clôture des inscriptions, 80 % du quota des privés étaient atteints. On a dû prolonger de 15 jours. Sur les 68 regroupements privés, les 65 sont prêts à partir, les visas commencent aussi à tomber’’, renseigne le président de l’Union nationale des organisateurs privés pour le pèlerinage à la Mecque (Unophom), Sadibou Seck.
La même remarque est faite par le coordonnateur de la Fédération des organisateurs privés pour le pèlerinage à la Mecque (Fonom), qui réunit les voyagistes privés non alignés aux deux grandes structures existantes. Le président de ladite organisation, Demba Teuw, par ailleurs Docteur en civilisations islamiques et arabes, s’étonne aussi que le Sénégal ait atteint son quota. ‘’On pensait que le Sénégal n’allait jamais atteindre son quota. Il est parvenu à le faire dans les délais impartis. Aussi bien la commission nationale que les voyagistes privés, tout le monde a pu faire le plein’’, se félicite-t-il.
Package, des prix qui varient entre 2 700 000 et 4 750 000 F cfa
La cherté du prix package appliqué au Sénégal se justifie pour Dr Demba Teuw, dans la mesure où, la monnaie saoudienne, le Ryal qui est arrimé au dollar américain, a connu des fluctuations. Chez certains voyagistes privés, des packages catégorisés en argent, or et platine ont varié entre 2 700 000 et 4 750 000 Fcfa. Déraisonnable comparé aux pays de la sous-région ? Le directeur financier d’une agence de voyage, qui a investi ce créneau, depuis 30 ans, souligne que c’est dans l’ordre de l’acceptable. ‘’Les prix sont raisonnables comparés aux services qui sont offerts par les privés. Les pèlerins ont la chance de séjourner dans des hôtels avoisinant les lieux de culte. Ils bénéficient de meilleures conditions de séjour et d’encadrement. Un Hadj de qualité a un coût’’. Pour lui, comme pour d’autres, ‘’ les voyagistes privés qui font preuve de sérieux ne peuvent s’enrichir avec l’organisation du Hadj. Les véreux perdent leurs clients au fil des ans’’, précise notre interlocuteur.
Tracasseries et dysfonctionnements
Le pèlerinage à la Mecque, ce moment sacré dans la vie des fidèles musulmans, rime invariablement avec des tracasseries récurrentes. ‘’Depuis El Hadji Mass Diokhané, 1er commissaire général du pèlerinage sous le Sénégal indépendant, au Général Amadou Tidiane Dia, la problématique du hadj se dresse comme un adversaire invincible. Certes, des améliorations ont été notées mais d’une année à une autre, les symptômes réapparaissent mais jamais ne disparaissent ensemble’’, note le chercheur en islam, Cheikh Bamba Dioum.
Entre conditions d’hébergement déplorables, retard des vols, pèlerins laissés en rade, compagnie aérienne décriée, les dysfonctionnements ont la peau dure. ‘’Beaucoup de personnes qui reviennent de la Mecque auréolés du titre d’el hadj peuvent écrire tout un livre sur leur séjour cauchemardesque qui fait de certains d’entre eux des rescapés, avant d’être de nouveaux ‘’saints’’, relève Cheikh Bamba Dioum qui a tenté de faire le diagnostic dans son ouvrage intitulé ‘’les chemins du Hadj de l’Afrique noire à l’Arabie.’’
En dehors de l’indiscipline des Sénégalais passionnés de bousculade, figure également le manque de préparation psychologique de certains fidèles. Dans ce lot, ‘’ceux qui n’ont jamais quitté leur village natal et qui se retrouvent subitement invités au plus grand rassemblement mondial. De même que les vieilles personnes qui méritent une attention soutenue.’’
‘’Impossible d’organiser un pèlerinage sans difficultés’
L’aventure s’avère encore périlleuse, si les pèlerins ne bénéficient pas d’un service équivalent au prix casqué ou s’ils perdent leurs bagages, à cause de l’absence d’une cellule de gestion de bagages et des biens perdus chargée de ce volet, comme recommandé. Pour autant, si les différents acteurs s’évertuent à redoubler d’efforts pour corriger des manquements, pour le président de l’Unophom, il ne faut pas se voiler la face : ‘’un pèlerinage sans difficultés est impossible. Les capacités d’accueil n’ont pas changé. La réussite du ‘’hadj’’ ne dépend pas des efforts qu’on déploie, mais elle est tributaire d’une conjonction de facteurs. Des efforts louables sont consentis chaque année, mais des choses restent toujours à parfaire’’.
Pour Demba Teuw, coordonnateur de la Fonom, le mal est aussi à chercher dans le comportement de nos compatriotes. ‘’Les Sénégalais vivent à la Mecque, comme ils vivent dans leur localité. Il est très difficile d’apporter des changements majeurs, même s’il faut reconnaitre que le Général Dia a mis de l’ordre dans le secteur. Si tous les privés parviennent à remplir leur quota, c’est grâce à lui. Il essaie également d’instaurer la discipline’’, souligne notre interlocuteur présenté comme un pur produit de l’ancien commissaire général Rawane Mbaye, un prototype d’intégrité et de rigueur. Pour sa part, l’islamologue Pr Khadim Mbacké souligne que l’un des problèmes majeurs réside dans l’absence d’éducation civique d’une tranche de la population sénégalaise. ‘’Il arrive aussi que des pèlerins issus des grandes villes aient du mal à partager le même espace avec ceux qui viennent du milieu rural. La cohabitation est très difficile…’’
Missionnaires
Quel sort faut-il réserver à la mission d’encadrement des pèlerins ? Une question qui s’impose, dans la mesure où, des pèlerins remettent en cause l’efficacité des missionnaires, aux abonnés absents lorsqu’ils ont besoin de leurs services. Si la mission médicale passe jusque-là pour le service le plus apprécié, tel n’est pas le cas pour ceux-là chargés d’assurer l’encadrement et l’accompagnement des pèlerins. ‘’L’encadrement des pèlerins a été la principale défaillance de la mission nationale. En vérité, il n’y a pas eu une relation qui identifie, de façon formelle, l’encadreur et les pèlerins qui sont sous sa responsabilité. Le guide ou missionnaire, s’il reconnait ses supérieurs, ignore l’identité des personnes qu’il est censé encadrer, contrairement aux guides du privé.’’
Cette remarque du chercheur en islam Cheikh Bamba Dioum est encore d’actualité, surtout que les récriminations des pèlerins vont crescendo. Ce, en dépit du fait que le régime libéral avait pris le soin de se séparer des missionnaires délégués par la présidence, la primature ou encore le ministre des Affaires étrangères. Les missionnaires administratifs et médicaux sont passés 360 à 140 suite à une décision ferme prise par l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye lors d’un conseil interministériel. Insuffisant pour Demba Teuw, eu égard au nombre de pèlerins sénégalais. Pléthorique pour d’autres, dans la mesure où, des pays comme le Nigéria ne dépasse pas une trentaine de missionnaires.
Compagnie aérienne
L’Agence nationale de l’aviation civile du Sénégal (Anacim) n’a pas été épargnée par la pluie de critiques. Des voyagistes privés demandent à l’Etat du Sénégal de revoir le protectionnisme de cette structure à l’égard de la compagnie aérienne Sénégal Airlines en charge, avec la compagnie Flyners, d’assurer le transport officiel des pèlerins. Cette fois, c’est le Cophom, par la voix de sa présidente, Mme Safietou Seck, qui hausse le ton contre le choix porté sur ‘’une compagnie nationale moribonde qui cause des retards de plusieurs jours à l’arrivée à Médine et la perte des contrats d’hébergement de plusieurs millions de F cfa aux Privés, sans l’intervention ou l’arbitrage du Commissariat au pèlerinage.’’
Ainsi, Cheikh Bamba Dioum considère que la compagnie Sénégal Airlines doit revoir sa copie et éviter les irrégularités et autres retards qui portent sa marque, surtout que ‘’ses prix sont élevés’’. Pour réussir le hadj et atteindre les objectifs des différents acteurs, ‘’l’Etat doit désigner le plus tôt possible la compagnie nationale pour un quota en fonction de sa capacité réelle et céder le gap aux compagnies régulières ou recourir, au besoin, à un appel d’offre international pour cette partie restante.’’