C’est un retour à la case départ pour les populations affectées par le projet (PAP) de l’AIBD. Un dialogue de sourds s’est installé entre les autorités et ces populations, en ce qui concerne l’application des accords signés le 9 mai à Saly. En cause, notamment, le paiement des impenses et des pertes de récoltes. Il s’y ajoute le cas du marabout Cheikh Ahmed Mbacké.
Au sortir de la rencontre de Saly du 9 mai dernier, un grand vent d’espoir avait soufflé pour les populations affectées par le projet (PAP) de construction de l’aéroport international Blaise Diagne. Autorités et populations avaient trouvé un terrain d’entente pour que les populations réfractaires puissent se déplacer, avant la date du 31 mai dernier, à certaines conditions. Sauf que les promesses de l’AIBD et des autorités locales n’ont pas été tenues. «Sur le paiement des impenses, deux jours après le déguerpissement des populations du village de Mbadate, en 2012, le gouverneur et le directeur de l’AIBD d’alors Modou HAYA avaient fait une sortie pour dire que tout l’argent était disponible à Thiès. Que les populations pouvaient aller le récupérer. Et jusqu’au moment où je vous parle (21 août 2015), tout l’argent n’est pas disponible», déclare Malick Diouf, membre du collectif des PAP.
Mais, du côté de l’aéroport, on relativise. Certes, il y a un retard dans le paiement des impenses et des pertes de récoltes, mais le Docteur Kaly Niang de l’AIBD, en charge de la réinstallation de la population, se veut rassurant. Selon lui, «tout l’argent est disponible au niveau de Thiès. Il ne reste qu’une démarche administrative pour que les populations puissent récupérer leur argent ». « Mieux, nous payons les pertes de ressources qui sont une enveloppe de 150 mille francs par femme de ménage. Celles du site ont déjà reçu leur part, il ne reste que les populations réfractaires qui occupent les emprises de l’aéroport et bientôt, elles vont le récupérer. »
Concernant le paiement des impenses, deux études ont été faites. La première a eu lieu en 2002 par le comité départemental de recensement et d’évaluation des impenses (CDREI) qui a appliqué le barème national. La deuxième en 2010. Elle est définitive et s’est basée sur le barème international imposé par les bailleurs. Cette étude a entraîné une augmentation des impenses qui sont passées du simple au double (445 000 à 750 000/ha) (voir troisième tableau) et aussi le paiement des pertes de récoltes.
Les raisons du refus
Dans le site de recasement comme dans les zones de Khessoukhate, les réfractaires sont nombreux. Les uns ont refusé d’aller récupérer leur argent. «Personnellement, j’attends que tout l’argent (indemnité et perte de récolte) soit disponible, avant d’aller le prendre. Avec les promesses non tenues, il vaut mieux que nous soyons prudents. Si tout l’argent est disponible, j’irai demain le récupérer», dit Ibrahima Diouf, le chef de village de Khessoukhate. Outre ce problème de disponibilité de la totalité de la somme due, il s’y ajoute un autre, dû «aux failles » dans le recensement. «Lorsque mon père est allé récupérer la première tranche du paiement des impenses, on lui a dit qu’il s’agissait de ses trois champs. Or, l’un des champs n’est ni dans l’emprise de l’aéroport, ni dans la zone économique. Donc ce champ ne devait pas concerner le recensement, c’est la raison pour laquelle il a refusé de prendre l’argent », explique Malick Diouf.
Les failles de la commission d’audit et de recensement
L’article 3 de l’accord qui a été signé entre les différentes parties indique qu’un comité d’audit et de recensement doit vérifier si les villas ont été données aux véritables ayants-droit, à partir de la base de données. Que les clés devaient être retirées au non ayants-droit. Mais, selon toujours le Dr Kaly Niang de l’AIBD, seuls ceux qui figurent sur la base de données ont été dotés d’une villa. «Les gens qui disent de telles choses n’ont jamais pu amener des preuves. Toutes les personnes bénéficiaires d’une villa se trouvent sur la base de données», affirme-t-il.
Mais, du côté du collectif, on souligne que la réalité est tout autre. Le 6 juillet dernier, c'est-à-dire 5 jours après la dernière réunion de la commission, le collectif déclare avoir envoyé un mail portant les noms des personnes concernées par cet article 3. Mais, dit-on, aucune vérification n’a été faite. En réalité, une source indique que «c’est très sensible ». « C’est vrai que des gens en ont profité pour se faire recenser. Maintenant, ils ont une villa, parce qu’ils se trouvent sur la base de données. Alors qu’ils n’avaient pas de bâtiment ni de maison. Aujourd’hui, si on leur retire leur clef, nous créons un autre problème qui risque d’être impossible à résoudre. Très sincèrement, nous savons que ce dossier est une patate chaude et personne ne veut être l’agneau du sacrifice », révèle ce membre du comité local qui a requis l’anonymat.
Le boycott des agriculteurs
Sur l’avant-dernier alinéa de l’article 2 de l’accord, les parties avaient décidé que «les mesures nécessaires seront prises pour le défrichage des 300 ha, avant le début de l’hivernage. A cet effet, l’AIBD a mis à la disposition du GOT une enveloppe de 25 millions, pour le défrichage». Mais la somme a été jugée insuffisante. Finalement, il y a eu une rallonge de 10 millions. Donc, le 18 août, des communiqués ont été diffusés, informant les populations qu’elles pouvaient s’inscrire pour disposer d’un terrain à cultiver. Sur 65 personnes inscrites, 45 ont été éligibles. Le reste de la population a refusé de s’inscrire, considérant que le retard sur l’hivernage était rédhibitoire. Elle a préféré boycotter. En plus, à peine 100 ha sont disponibles sur les 300 ha promis. Toutefois, l’AIBD a consenti des efforts, en trouvant un accord avec ANIDA, pour l’exploitation de 10 ha en contre-saison.
Un comité local virtuel
Dans cette affaire, c’est un dialogue de sourds. L’alinéa 2 de l’article 6 de l’accord déjà mentionné stipulait : « Une somme de 250 mille dont 150 mille, comme frais de déplacement, conformément au projet de réinstallation révisé, sera dégagée par ménage recensé, au plus tard le 13 mai ». Mais, au sortir de la rencontre de Saly, le directeur de l’AIBD, Abdoulaye Mbodj, avait dit : « Les populations réfractaires se trouvant dans l’emprise de l’aéroport vont recevoir 250 mille, comme frais de déplacement et pourront récupérer la clé de leur villa.
Si elles veulent, elles iront habiter sur le site de recasement, ou elles vont occuper le site qui va être trouvé d’un commun accord avec la mairie, tout en disposant de leur clé». Toutefois, les 100 mille francs de plus annoncés par le Dg sont ponctionnés par le sous-préfet. A en croire le chef de l’exécutif local, il n’a jamais été question de remettre une enveloppe de 250 mille francs plus une clef. Cette idée est renforcée par le Dr Khaly Niang : soit le PAP prend une enveloppe de 150 mille francs plus une clé, soit une somme de 250 mille francs sans la clé.
A propos de la remise des clés, une commission composée du sous-préfet, de trois représentants des PAP, de l’ONG MSA, du maire et des représentants de l’AIBD doit chaque fois se regrouper pour remettre des clés aux ayants-droit qui manifestent la volonté d’en disposer. Mais à plusieurs reprises, le sous-préfet, dit-on, a remis des clés avant d’en informer les autres membres de la commission.