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Gouloumbou - Derrière l’hippopotame tueur : Les interdits du fleuve
Publié le mardi 1 septembre 2015  |  Le Quotidien




La localité de Gouloumbou est connue dans tous les coins du Sénégal par le bras du fleuve Gambie qui la traverse. Ce fleuve a longtemps fait son bonheur, grâce à la pêche qui y était pratiquée. Mais depuis plus d’un an maintenant, très rares sont les habitants du village et des environs qui osent se rendre dans le fleuve. La faute à l’hippopotame qui a décidé d’y faire régner la terreur. Ayant à son actif plusieurs victimes, il est aussi protégé par les services de l’Etat, comme une espèce menacée. Toutefois, cet animal amphibie n’est pas la seule menace qui pèse sur les aventuriers qui se rendent dans le fleuve.

Le fleuve Gambie qui traverse le village de Gouloumbou est un véritable empire pour hippopotames. Constituant la principale source de revenus des populations riveraines qui y pêchent et cultivent à ses berges, il est aujourd’hui abandonné par les pêcheurs et les autres usagers, du fait du comportement d’un hippopotame «assassin» qui tue les personnes qui s’y aventurent. Malgré ses côtes poissonneuses, aucune activité ne se pratique plus dans le fleuve, à cause de l’animal qui en a fait sa chasse gardée. L’animal a accroché sur son tableau de chasse, plus d’une vingtaine de victimes dont la majorité sont des fils du terroir, même si quelques étrangers (principalement des Gambiens et des Maliens), sont aussi passés sous ses crocs.
Gouloumbou, cette bourgade de la région de Tambacounda, dans l’arrondissement de Missira, située à la frontière avec la région de Kolda et de la République de Gambie, n’attire plus. Jadis, pôle d’attraction de la convoitise de tous les pêcheurs du pays et des pays voisins, du fait de la grande quantité de poissons dont regorgent ses eaux, qui rendent le fleuve navigable quasiment tout le long de l’année, la localité n’attire plus et son économie en a pris un sacré choc. Un hippopotame «meurtrier» vit dans le fleuve et en interdit tout accès aux populations qui ont fini par s’en éloigner par la force des choses. Un fleuve longtemps hanté.

Au-delà de l’hippopotame, d’autres interdits
L’hippopotame du fleuve Gambie à la hauteur de Gouloumbou, est juste venu enrichir une panoplie d’histoires qui renforcent le mystère de ce bras de mer. Avant que l’animal amphibie ait décidé d’imposer sa loi, avec il faut le dire, la protection des services des Eaux et forêts, qui ont interdit qu’il ne soit chassé par les armes ou tué, il a toujours été dit que les bords du fleuve étaient déjà hantés par des esprits. Ces derniers en interdiraient d’ailleurs, la traversée par une nouvelle mariée. «Une mariée vêtue de ses habits traditionnels ne doit pas traverser le fleuve», soutiennent certains notables du village. Depuis les temps immémoriaux, il en a toujours été ainsi. «Ce sont les esprits qui ne veulent pas de cela dans le fleuve», enseignent les anciens. Tous ceux qui ont essayé de défier les esprits, en ont vu sans tarder, les conséquences. Le véhicule, qui transporte la nouvelle mariée, n’arrive jamais à destination sans faire un accident mortel. Et généralement, la mariée ne survit pas, expliquent les Cassandres. Ce fleuve est depuis toujours habité par des esprits qui en sont les protecteurs. L’hippopotame dont on parle dans ce fleuve n’est pas n’importe quel animal. Même s’il n’y avait pas eu l’interdiction des services des Eaux et forêts et que les gens essayaient de l’éliminer, cela ne serait ni possible ni facile. Il faut seulement éviter sa zone de prédilection, assurent donc des personnes avisées, et cela, surtout pendant les mois qui vont d’avril à juin. La presque totalité de ses attaques sont survenues durant ces périodes, font remarquer les mêmes personnes.

Le fleuve, un potentiel abandonné
Le fleuve Gambie, qui traverse le village un peu au sud, constituait la principale source de revenus des populations, en faisant pour beaucoup, un véritable Eldorado. Dans le village de Gouloumbou, la pêche est l’activité dominante même si elle n’est plus l’apanage des «thioubalos» (ethnie qui pratique la pêche). Toutes les familles s’y lancent, afin de chercher à améliorer leurs conditions de vie. En ce temps, racontent les populations, l’activité nourrissait son homme et il n’y avait pas d’attaque mortelle, précisent-elles. Malheureusement, aujourd’hui, la pêche sur le fleuve ne nourrit plus son homme car presque à l’arrêt dans le village. Aucune activité de pêche ne se mène plus à Gouloumbou. L’animal tueur est parvenu à paralyser l’économie de toute une zone. «C’est une véritable richesse potentielle qui est maintenant abandonnée par les populations contre leur gré», gémit Adama Samba Fall, président de la fédération des pêcheurs de la zone. Il précise que maintenant, tous les pêcheurs se sont déportés vers la Guinée-Bissau. «A partir du mois de novembre, les villages sont désertés par leurs fils pêcheurs, obligés de les quitter jusqu’au mois de juillet pour d’autres cieux beaucoup moins meurtriers, mais avec beaucoup de peine. Imaginez, on quitte nos familles pendant des mois, sans possibilité de les voir, avec toutes les souffrances endurées à l’étranger, au moment où ce que nous cherchons se trouve en abondance chez nous. Cela fait mal», rugit le président des pêcheurs.
Et l’exil a un prix parfois très lourd, explique le professionnel : «En Guinée, nous payons pour le séjour, payons avant de descendre dans les eaux, louons les pirogues, entre autres charges», énumère Adama Fall. Il ajoute : «C’est trop couteux et très lourd comme charges.» D’où son appel insistant aux autorités, pour une solution à la crise qu’ils vivent.
Même les cultivateurs ne sont pas épargnés par les agissements de l’hippopotame car, il lui arrive souvent de sortir de l’eau et d’aller dévaster les champs tout autour du fleuve, même ceux qui éloignés de son espace d’habitat. Les plantations de bananes sont ceux qui subissent le plus la furie de l’hippopotame, explique le président des pêcheurs, visiblement peiné. Déboussolé, il récrimine, car les habitants du village et des environs n’osent prendre aucune mesure à l’encontre de l’animal, de peur de susciter des sanctions sévères à l’égard des populations, de la part des autorités. «La bête est plus considérée que les humains ici à Gouloumbou», se désole Adama Fall qui ajoute : «Elle tue sans être inquiétée alors que les humains n’ont pas le droit de se venger contre elle.» A plusieurs reprises, une opération pour tenter de l’abattre a été imaginée mais à chaque fois, l’autorité s’est fortement opposée, brandissant même des menaces.

23 victimes au compte de l’amphibien
Depuis le début du décompte des attaques de l’hippopotame sur le fleuve Gambie, plus d’une vingtaine de victimes ont été enregistrées. 23 individus de différentes nationalités, dont une majeure partie des Sénégalais, sont passées sous les crocs acérés et mortels de l’animal tueur. 2 Gambiens et deux Maliens ont également péri sous les crocs de l’animal. La première victime remonte à 2003, année de la première attaque de la bête sur le fleuve. Un homme de plus de 50 ans a été déchiqueté par l’hippopotame. Depuis lors, à chaque fois, l’animal a attaqué et tué des riverains du fleuve. Mamadou Panapo, Malien d’origine ainsi que le muezzin du village de Gouloumbou, sont les deux personnes dont la mort a le plus marqué les esprits, du fait de l’atrocité qui a entouré leur décès. Le premier a été décapité tandis que le second, a été éventré avant d’être déchiqueté et sévèrement mutilé par la bête. Cette année, si de nouvelles victimes n’ont pas été enregistrées, c’est parce que les populations ont abandonné le fleuve.

Une économie au ralenti
Selon toujours le président de la Fédération des pêcheurs de la zone, dont les membres sont issus de près d’une dizaine de villages, la situation causée par l’arrêt des travaux dans le fleuve est une véritable catastrophe. Adama Samba Fall martèle, du fait de l’inaccessibilité des pêcheurs dans le fleuve, le chômage est devenu quasiment endémique dans la zone, et l’économie presque à l’arrêt. Tous ceux qui s’activaient dans les eaux et en tiraient leur gagne-pain, sont aujourd’hui sans emploi. Aucune autre opportunité ne s’offre à eux. Adama Samba Fall explique que lors des périodes de pêche, il arrivait à chaque pêcheur de gagner des montants variant entre 30 et 50 mille francs par jour. Ce qui leur permettait, selon lui, de gérer leurs dépenses et subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Les promesses du ministre non encore matérialisées
Le ministère de l’Environnement et du développement durable, en son temps dirigé par Mor Ngom, avait effectué une visite sur les lieux pour rencontrer les populations et voir de concert avec elles, les mesures à prendre pour pallier la situation. Sur place, Mor Ngom avait enjoint les populations d’éviter l’ouest du fleuve, zone où l’animal évoluait. D’autres avaient émis l’idée de voir la bête transférée dans le parc de Niokolo Koba. Par contre, il leur avait été promis du matériel beaucoup plus adapté pour la navigation dans le fleuve, et qui permettrait de mieux contourner l’animal. Des pirogues motorisées et des motopompes ont été promises aux populations par le ministre de l’Environnement. Et effectivement, reconnaît Adama Fall, après la rencontre, le ministre Mor Ngom, une fois à Dakar, avait envoyé des pirogues motorisées et des motopompes promises aux populations. Cependant, déplore le président des pêcheurs, le matériel est arrivé, mais il a été parqué au niveau du service des Eaux et forêts, et n’a pas été remis aux populations. «Nous n’y avons pas toujours accès et ne savons pas pourquoi, et il risque de moisir dans ces locaux. Nous avons rencontré les responsables du service des Eaux et forêts qui nous avaient signifié que c’est le ministre qui devait venir procéder à la remise. Mais, depuis que Mor Ngom a été débarqué du département de l’Environnement, rien n’est fait et le matériel risque de se détériorer.»
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