C’est un talent sûr. Un génie. Un doué. Une valeur sûre de la littérature, Mohamed Mbougar Sarr, 24 ans, a reçu le prix Kourouma 2015 pour son œuvre Terre ceinte. Une œuvre qui traite d’un thème d’actualité : Le terrorisme religieux. Un roman d’anticipation de la crise qui sévit au Nord-Mali. Cet ex-enfant de troupe, étudiant à l’école des Hautes études en sciences sociales de Paris, fait la fierté de ses parents, de son pays. Après le succès de ce livre, il promet d’autres œuvres après sa thèse, bien sûr. Le Quotidien a dressé son portrait.
A entendre le titre du roman de Mohamed Mbougar Sarr, Terre ceinte, sans voir l’écriture, le lecteur a l’impression que l’auteur nous invite à une visite de lieux saints, quelque part dans le monde. Mais il n’en est rien. Mbougar tourne le lecteur en bourrique. Parce qu’il s’agit d’une expression de violence et de terreur. Ensuite vient la photo de couverture du roman. Un feu qui jaillit sur un fond noir et annonce également un certain chaos. Quelque part. A Kalep, ville du Sumal, selon l’auteur. Le lecteur pourrait croire que la scène se passe dans le nord du Mali, ou tout simplement au nord du Nigeria avec la secte Boko haram. Ou encore en Libye. Certainement que le jeune auteur pense la même chose. Terre ceinte, c’est aussi un roman d’anticipation sur la situation de crise qui sévit au nord Mali. Il traite d’un thème d’actualité. «Le terrorisme religieux». Mohamed Mbougar Sarr, dans un style classique, peint une violence qui bouleverse l’intimité des âmes. Une violence universelle. Un fléau des temps modernes. Et dès le début, l’auteur prend au collet le lecteur et l’oblige à lire jusqu’à la fin son œuvre. Il a une intelligence de rendre les choses de manière simple, claire et précise. Ibrahima Samba, professeur de Lettres au Prytanée militaire de Saint-Louis, séduit par le style d’écriture de son élève, soutient que «Mbougar écrit comme l’éternel matin claudélien où les choses se confondent à leur formulation. Il suffit de dire quelque chose et ce quelque chose soit».
Ce n’est donc pas étonnant que ce livre ait reçu le prix Kourouma devant des écrivains majeurs. «Je savais qu’il avait le talent. Je savais que des fois, il écrivait mieux que moi. J’ai l’habitude de dire ‘’je suis trop bien en français, mais Mbougar est meilleur que moi’’ et il a prouvé qu’il est meilleur que moi. Il a une capacité rhétorique et une capacité d’écriture hors pair», témoigne humblement son professeur de Lettres Ibrahima Samba. Ce jeune est donc un génie. Son maître l’adore. Cela se voit quand il parle de son élève. Il est passionné. Il s’en défend, déclarant que cette passion transcende la personne de Mbougar. «Je suis passionné de l’homme de Lettres qu’il est devenu. Et c’est cette même passion que j’ai devant Michel Foucauld, Rolland Barthes etc.», précise-t-il. Mais Mbougar, lui, pense le contraire. Il l’avait même avertit la veille de la cérémonie de dédicace de son livre. «Il m’a dit : ‘’monsieur, vous êtes passionné. Arrêtez, vous risquez de ne pas vous organiser à cause de la passion’’.» Et M. Samba de lui répondre : «C’est l’occasion pour moi de rendre hommage à Dieu. Parce que tout ce que nous faisons dans le cadre de l’enseignement, nous le voyons immédiatement. Au Prytanée militaire, nous avons l’habitude de dire que notre plus grand salaire, c’est de voir ce que nous faisons se réaliser immédiatement.» La complicité qui lie les deux amis dépassait les rapports élève-enseignant. Ils se côtoyaient dans des activités périscolaires. Ils ont tissé une vraie relation de camaraderie. Mbougar lui faisait des tâches que les siens ne faisaient pas. Il lui lavait les moutons. Il achetait un sandwich pour son maître. Il le taquinait et le professeur le lui rendait bien.
«Mbougar écrit mieux que moi»
L’ex-enfant de troupe aime passionnément lire. Il a adoré sa «rencontre» avec les maîtres. Des classiques de manière générale. Soit des classiques de la littérature africaine, sénégalaise ou des classiques européens. Aimé Césaire, Aminata Sow Fall, Malick Fall, Léopold Sédar Senghor, Balzac, Victor Hugo, etc. Une passion qui l’a poussé très vite à l’écriture. Déjà au Prytanée militaire, il était le rédacteur en chef du journal La Vie de l’enfant de troupe (Vet). Un journal que tenait son maître et complice, Ibrahima Samba. Mbougar était dans le théâtre de l’école. Avec son maître, il a participé à plusieurs concours au niveau national. Il a gagné la compétition du meilleur discours jeune sur le thème de la violence et des arbres. Un discours qu’il est allé lire par la suite à l’Assemblée nationale et plus tard à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Son talent d’écriture, il le développe également dans son blog «Choses revues» où il réfléchit sur des thèmes quotidiens de la vie. Son parcours, c’est aussi le résultat d’une formation rigoureuse. Après des études primaires à Diourbel, à 12 ans, il pousse la porte du Prytanée militaire de Saint-Louis. Une école d’excellence où ce natif de Dakar a fait son septennat (6ème à la Terminale). Il est allé en France où il a poursuivi des études de Lettres en classe préparatoire entre Khâgnes et Hypokhâgnes. Ensuite, il se retrouve à l’Ecole des hautes études en sciences sociales où il est actuellement étudiant en littérature et prépare sa thèse. Ce chemin parcouru n’a pas été réalisé ex-nihilo. Il est vrai, l’éducation est à la charge de l’école, mais d’après certains, elle doit commencer dans la famille, à la maison. Et cela, la maman de Mbougar l’a bien compris.
Son père, Malick Sarr, qui rendait un hommage à la maman de Mbougar, témoigne : «J’ai eu la chance d’avoir une épouse qui a surtout consacré toute sa vie à s’occuper de la maison et de l’éducation des enfants.» La famille Sarr, soucieuse de l’éducation de leurs enfants, s’est visiblement répartie les tâches. Le père, médecin chef de région à Matam à l’époque, ne pouvait pas, malgré toute sa volonté, consacrer du temps à sa progéniture. Et c’est là que Mame Sabo Sène, la maman de Mbougar, a assuré, révèle le docteur Sarr à la retraite, «trop fier de (son) fils».
Son regret d’avoir négligé les Mathématiques
Enfant, il aimait jouer au football. Au point que son père lui réclame aujourd’hui, sur le ton de la plaisanterie, ses nombreux vases de fleurs qu’il a cassés en jouant au ballon. Ces belles échappées qu’il s’octroyait n’ont rien gâché de ses études, du moins de sa carrière. Le seul regret de Mbougar durant son cursus scolaire, c’est le fait, dit-il, d’avoir négligé les Mathématiques. Cela lui a joué des tours dans sa formation. Car le jeune littéraire est d’avis qu’un esprit n’est jamais aussi ouvert que s’il est imprégné des Mathématiques. «Il y a une formation mathématique qui est fondamentale que j’ai ratée par négligence, par paresse et que je regrette aujourd’hui non pas forcément dans l’écriture, mais surtout dans la lecture. Parce qu’il y a dans certaines lectures des philosophes qui sont imprégnés de mathématiques. Descartes, Leibnitz sont des esprits mathématiques d’abord. Et à la lecture de ces esprits mathématiques, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose. C’est un manque que je ressens», confesse-t-il. Qu’en est-il du regard de l’étudiant en Littérature à l’école des Hautes études en sciences sociales sur la littérature sénégalaise ? Il affirme que c’est l’une des plus fécondes du continent. Même si, souligne-t-il, depuis quelques années l’on a l’impression qu’elle s’est un peu essoufflée. Il ressent qu’il y a manqué une transition entre les grands auteurs classiques et la nouvelle génération. Un petit passage à vide, du fait peut-être de la considération que la culture avait dans ce pays. Mais le jeune auteur reconnaît qu’il y a «d’excellents jeunes auteurs. Il trouve d’ailleurs que cette littérature est en train de se réinventer».
Il y existe donc d’excellents auteurs à l’image de Mbougar qui «détient un talent précoce», selon Felwine Sarr, enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Certains, euphoriques, lui prédisent dans un futur proche le Nobel de littérature. Son aîné, Felwine Sarr, pense qu’il lui faut encore beaucoup travailler et ne pas se laisser happer par le buzz. L’auteur de Terre ceinte n’est pas dupe. Il répond : «Ces prédictions n’engagent que ceux qui les tiennent.» Mais peut-on ne pas penser à cette ambition, surtout quand à l’âge de 24 ans seulement, on remporte le prestigieux prix Kourouma ? La réponse du jeune auteur est sans équivoque : «Si Je dois penser au prix qu’il y a derrière un livre, j’arrêterai d’écrire tout de suite.» Il sait toute la difficulté qu’il y a à écrire et à bâtir une œuvre. Mohamed Mbougar Sarr, aîné d’une fratrie de sept garçons, n’est pour autant pas le seul enfant prodige de la famille Sarr. Le père annonce d’autres Mbougar. Normal, son aîné a montré et balisé la voie. Naturellement, il pousse les autres à faire plus d’efforts. Un de ses frères a été major de son centre à l’examen du dernier baccalauréat et a bénéficié d’une bourse qui l’a conduit actuellement en France. Un autre est au Collège turc Yavuz Selim, en classe de 6ème et a obtenu une moyenne de plus de 17 sur 20.