A 81 ans, Aïssatou Samb ne perd pas espoir de voir les restes de sa fille Tabara Samb exécutée le 23 août 2012 en Gambie, suite à une peine de mort, lui être restitués. Dans un ultime espoir, elle fouette la fibre humaine du président Jammeh et des autorités sénégalaises.
« Mon souhait le plus ardent, c’est que le président Jammeh me donne les restes de ma fille Tabara ou alors qu’il m’indique le lieu où elle a été enterrée. Je veux savoir pour pouvoir faire le deuil. » La voix tremblotante, les gestes secs mais éloquemment déployés au milieu du lit en fer forgé où elle est assise, Aïssatou Samb est une dame qui refuse de lâcher prise. Peut-elle d’ailleurs en faire autrement face à cette douleur qui la tenaille et l’empêche de savourer cette espèce de retraite forcée que la société impose aux personnes de son âge ? Négatif ! Elle s’est toujours gardée de parler aux médias depuis l’exécution de sa fille Tabara Samb mais aujourd’hui, elle se lâche. Elle avoue qu’on lui a toujours dit que parler dans les médias ne servirait à rien sinon à exposer la vie de toute sa famille sur la place publique. Mais face à ce chagrin qui la consume, la vieille mamie âgée de 81 ans a choisi l’option de livrer les secrets de son cœur meurtri.
« Si le président Jammeh et les autorités sénégalaises exhaussent mon vœu en me ramenant ce qui reste de ma fille, je serai enfin soulagée, car lorsque l’on perd un être cher dans de telles circonstances, on se pose mille et une questions, on se demande souvent même si la personne est réellement morte », soupire la vieille dame au visage émacié, à la peau frêle et aux doigts traversés par une foultitude de veines, tels une mosaïque de cours d’eau.
Le mutisme des autorités sénégalaises
Le regard souvent lointain, elle pointe ses doigts qui semblent prier sur le drap marron-bleu savamment étalé sur le lit. A sa droite, deux éventails qu’elle remue mollement de temps à autre pour chasser quelques mouches perturbatrices et ventiler son corps affaibli par la maladie. Puis à sa droite, un sachet blanc rempli de médicaments : « Je suis malade depuis un certain temps et porte présentement une ceinture lombaire pour tenir », dit-elle avant de formuler à nouveau le souhait pressant de pouvoir faire le deuil de sa fille. « Je souhaite ardemment une réponse à mes multiples interrogations avant de mourir. »
Celle qui est affectueusement appelée Mame Aïda résiste bien au temps, son esprit est resté intact : « Je ne cesse de penser à ce qu’on lui a fait et aux souffrances qu’elle a vécues durant les heures qui ont précédé sa mort », dit-elle entre deux sanglots.
Ce qui rend sa souffrance plus ardente, c’est qu’à ce jour, aucune autorité sénégalaise n’a pris langue avec elle, ne serait-ce que pour lui expliquer ce qui s’est passé, regrette Mame Aïda.
Fierté en bandoulière, Mame Aïda dit cependant n’éprouver aucune rancœur envers le président Jammeh : « Je ne suis pas fâchée contre Yahya Jammeh car à mon avis, il a fait ce qui lui semblait juste ; il m’arrive souvent d’apercevoir son image à la télé mais je n’éprouve aucun ressentiment envers cet homme, je veux juste entrer dans mon droit et rien d’autre », laisse-t-elle entendre fièrement.
Tabara la fille adulée
Lorsqu’elle parle de sa fille exécutée le 23 août 2012 par le régime gambien, Mame Aïda a les yeux qui brillent : « Tabara était d’une gentillesse légendaire, elle m’adorait et faisait en sorte que je ne manque de rien. Elle adorait également ses enfants issus de son premier mariage. »
Une dame qui se réjouit d’avoir appris que sa fille Tabara apprenait assidument le Coran à la prison de Mile 2 où elle était détenue. « Nous sommes des musulmans et cela me réconforte beaucoup », dit-elle sous le regard de Abdoul Aziz Sy Dabakh, confortablement représenté sur un poster qui surplombe la tête de la vieille dame.
Au bout d’un tour d’horloge, les prières de Mame Aïda viennent mettre fin à la discussion au moment où le crépuscule s’abat sur sa chambre mal éclairée, rendant la visibilité réduite. Le visage radieux, l’octogénaire affiche la mine d’une personne soulagée d’avoir partagé ses peines, ses angoisses et ses craintes.
PAPE AMADOU SECK, MOUHAMED SECK, BABACAR SECK
Quand le destin s’acharne sur la progéniture de Tabara Samb
Trois garçons, trois destins. Les enfants de Tabara Samb ont sombré dans une nuit sans fin après l’exécution de leur mère. Comme si le destin s’acharnait sur eux, les trois garçons ont tous perdu leur boulot, traumatisés qu’ils ont été après l’exécution de leur mère. L’aïné Pape Amadou Seck 32 ans, travaillait dans l’exploitation des mines d’or à Sabodola au moment des faits.
Il témoigne : « Lorsque j’ai appris que ma mère a été tuée par le régime de Jammeh, je ne pouvais plus rien faire, j’ai tout abandonné pour venir soutenir mes jeunes frères. » Idem pour son petit frère Mouhamed qui s’est vu radié de la police après quelques bisbilles avec un supérieur. « Mouhamed n’a pu surmonter l’exécution de maman, il a finalement sombré et il ne jouit plus aujourd’hui de toutes ses facultés mentales», renseigne Pape Amadou Seck. Le cadet lui, Babacar Seck, a été libéré de l’armée après la peine de mort appliquée à sa maman.
Chez leur père à Tivaouane, la fratrie se bat aujourd’hui avec leur grand-mère Mame Aïda pour retrouver le corps de Tabara Samb ou alors sa tombe. « Que Macky Sall essaie un peu de se mettre à notre place ! Il comprendra sans doute notre souffrance », pousse Pape Amadou, la rage au ventre. « Mes petits-fils me font de la peine. J’aurais bien aimé qu’ils soient soutenus face au drame qui leur est tombé dessus », déclare Mame Aïda, peinée.