Le «Tambour majeur» s’en est allé. Doudou Ndiaye Rose est parti. Il laisse derrière lui un monde meurtri, triste et une famille digne qui compte perpétuer le lourd héritage. Hier, parents, voisins, amis et autorités sont venus lui rendre un dernier hommage et l’accompagner au cimetière de Yoff où il repose désormais. Celui qui ne voulait pas d’un hommage à titre posthume est parti avec son projet de création d’un Institut des rythmes africains. Pourtant de son vivant, il avait frappé à toutes les portes pour sa réalisation. Des artistes regrettent le mutisme de l’Etat. Pour autant, ils saluent la grandeur de cet homme et souhaitent que ce projet voie le jour.
Ce n’était pas facile hier d’extraire de la mosquée des Hlm 1 le corps sans vie de Doudou Ndiaye Rose. Enveloppé dans un drap avec des écritures coraniques, des brancardiers flanqués des tenus de la Croix-Rouge ont eu toutes les peines à installer le défunt dans le corbillard de la commune de Médina. L’iman qui a dirigé la prière mortuaire a même supplié la foule de laisser passer le corps. Dès les premières heures de la matinée, amis, voisins, parents, autorités et simples badauds ont pris d’assaut les voies qui mènent vers la mosquée Abba Sall des Hlm 1. Le maire de la ville de Dakar, Khalifa Sall, Penda Mbow, Magip Sène, Abdoulaye Wilane, le maire de Dieuppeul, Bécaye Mbaye, le Premier ministre Mahammad Boun Abdallah Dione, le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, tous ont tenu à rendre un dernier hommage à ce monument de la culture sénégalaise, Doudou Ndiaye Rose, rappelé à Dieu mercredi dernier des suites d’un malaise.
La mosquée était déjà prête pour vivre une matinée spéciale. Certains sont assis sur l’estrade et d’autres sont debout dans la cours. Le visage triste, le regard hagard. L’émotion est pesante. Les gens chuchotent. Ils commentent toujours la brutalité du décès du Tambour-major. Le fils aîné du défunt, digne dans l’épreuve, en véritable maître d’orchestre, organise la cérémonie. Il accueille les invités, les remercie de leur soutien. Il répond au téléphone et aux questions des journalistes. Il témoigne devant les micros : «Mon père était un homme de conviction. Il est resté Socialiste malgré les multiples invites du régime de Wade. Il était également un homme courtois», et c’est pourquoi, souligne-t-il, malgré son appartenance aux Verts, «il communiait avec tous les partis politiques». A peine avait-il terminé ses propos qu’un notable griot enchaîne. «Doudou Ndiaye était votre père, mais vous avez réussi vous aussi à emprunter la voie qu’il a tracée et cela n’est pas donné à tout le monde.»
Les minutes s’égrènent, la foule grossit. Les autorités arrivent massivement. La cours de la mosquée est subitement devenue trop petite pour contenir cette foule immense. Vers 11 heures 20 minutes, l’imam invite les fidèles à prier pour le repos de l’âme de l’illustre disparu. Commence alors la prière mortuaire. Après des minutes d’intense recueillement, le cortège funèbre s’ébranle vers le cimetière de Yoff. Le regretté Doudou Ndiaye Rose laisse derrière lui une famille meurtrie, mais digne. Alors que le cortège funèbre se prépare à partir, ce fut le moment choisi par son ami et compagnon de longue date, El Hadji Doudou Thioune, pour apporter son témoignage. «C’était un homme généreux qui aimait sa famille. Nous avons le même âge. D’ailleurs, son fils aîné porte mon nom. C’était un musulman et le dernier acte que Doudou a posé sur cette terre l’illustre parfaitement. Il s’est levé tôt le matin du mercredi pour effectuer la prière du matin et c’est après qu’il a eu un malaise avant de rendre l’âme. Dieu a exaucé toutes ses prières. Que Dieu l’accueille dans son paradis !», déclare son ami et complice. A sa suite, les témoignages s’enchaînent de tous côtés. Chacun voulait dire tout le bien qu’il connaissait du disparu. Le rappeur Simon venu également rendre hommage au maître des sabars évoque très ému le souvenir d’un homme humble et foncièrement bon. «Lors de notre concert au Grand Théâtre, il est venu malgré le fait qu’il fût un peu malade. Il était sur scène. Il s’est donné à fond et à chaque fois qu’on le rencontrait, il nous tenait chaleureusement la main».
Scène de cirques des autorités
Abdoulaye Wilane soutient quant à lui que Doudou Ndiaye Rose est un grand monument. Pour Penda Mbow, «il mérite d’être au Panthéon». L’universitaire pense que ce n’est pas possible de laisser tomber ce monument de la culture sénégalaise. Car, souligne-t-elle, il a porté le flambeau du Sénégal partout dans le monde. Elle estime que la meilleure chose que le Sénégal puisse faire pour lui après son décès, c’est de réaliser son projet. Il voulait créer un institut des rythmes africains. Ce projet lui tenait à cœur. Il en parlait à chaque interview. Il disait ceci lors d’une émission : «Faites quelque chose pour mon institut», rappelle Simon qui affirme qu’il «a écrit à des autorités et personne n’a répondu. Je ne peux pas comprendre que le Japon, l’ambassade des Etats-Unis, la Suisse, le Canada, la Chine lui rendent un hommage. Maintenant il est parti et vous allez voir, tout le monde va défiler ici, des enveloppes vont circuler. Pourtant, il en avait besoin de son vivant», regrette Simon sur un ton amer. «De son vivant, on ne lui a pas donné la place qu’il méritait. Et il avait compris cela et c’est pour cette raison que Doudou Ndiaye disait qu’il ne voudrait pas d’un hommage à titre posthume. Il m’a dit une fois que des gens ont tout fait pour que l’actuel Président Macky Sall ne lui accorde pas d’audience. Mais ils ne savent pas que Dieu lui accorde dans la journée cinq audiences», rapporte le Y’en à marriste. Dj Prince, animateur à la Rts, regarde quant à lui la scène, notamment les va-et-vient des autorités qui défilent. Il assimile ce spectacle à du cirque. Des regrets, de l’amertume, ses proches, ses amis l’ont ressenti à l’égard des autorités. Pour autant, ils estiment que l’œuvre de Doudou Ndiaye va rester. Pour eux, «que les autorités réalisent ou pas ce projet, Doudou Ndiaye est à jamais entré dans le cercle restreint des immortels».