L’institut Bachir Guèye, qui a été le théâtre du décès du jeune talibé de 12 ans, est un exemple du ‘’daara’’ moderne que le gouvernement sénégalais cherche à promouvoir. Tout un dispositif a été mis en place au sein de l’établissement pour se conformer aux règles d’une école coranique moderne. Mais le recrutement d’un personnel de qualité a été la fausse note.
‘’Posez toutes les questions, je suis disposé à vous répondre.’’ Cette phrase est revenue, à plusieurs reprises, dans les propos de Makhtar Sylla, le directeur de l’institut Bachir Guèye, qui s’est retrouvé sous le coup des projecteurs par la faute de l’un de ses enseignants. Celui-ci a abrégé la vie de Dame Niane, un des pensionnaires de l’école, âgé de 12 ans, suite à des sévices corporels. Trouvé en pleine conversation, dans un des salons de l’internat, le directeur de l’école, qui ne s’attendait pas à recevoir la presse, nous met à l’aise. Très serein, avec un esprit ouvert, l’homme braque son regard assez profond sur la télé-caméra, en face de lui. Il ne quitte pas des yeux l’écran.
S’il s’efforce d’adopter une mine impassible, Makhtar Sylla est tout de même tracassé par l’idée de n’avoir pas résolu une équation inacceptable : son recours aux nouvelles technologies ne l’a pas épargné de certaines anicroches. 16 caméras de surveillance sont installées dans son internat. Malgré cela, l’irréparable s’est produit : un enfant y a été battu à mort. ‘’J’ai installé des caméras de surveillance dans l’établissement, le 6 avril dernier. C’était suite à des échanges avec une inspectrice de police de Yeumbeul. Elle a attiré mon attention sur des pratiques pas du tout musulmanes qui se déroulent dans les écoles d’enseignement coranique. J’ai été mis au parfum de la présence de l’homosexualité dans nos écoles, de même que des cas de viol. J’ai été horrifié. J’ai vite fait d’installer des caméras dans toutes les pièces de l’école.’’
Comment l’enseignant a-t-il pu tromper cette surveillance ? ‘’Ma mère et moi, qui sommes les responsables de l’école, étions absents, ce jour-là’’, fait-il savoir. Le directeur de l’institut n’essaie pas de disserter sur les circonstances de ce décès brutal. Il dit avoir pris conscience de son incapacité à déceler l’aspect psychologique de l’humain. ‘’Car nous avons pris toutes les dispositions pour assurer la sécurité et le bien-être de nos élèves. Nous nous appuyons d’ailleurs sur des critères stricts pour recruter le personnel enseignant. En dehors des acquis professionnels, nous exigeons une enquête de moralité. Mais pour le cas de l’enseignant mis en cause dans cette affaire, il nous a été recommandé par un collaborateur, qui est d’une exemplarité sans commune mesure...’’
Un nombre pléthorique d’élèves ou une surcharge de travail sont-ils à l’origine de ce drame ? ‘’Le nombre d’élèves est limité, chaque professeur est payé par élève et les salaires sont assez intéressants’’, fait savoir notre interlocuteur. En effet, c’est en moyenne 27 élèves pour 6 classes. 9 enseignants ont été recrutés pour les 210 élèves dont 45 filles. Ils paient 18 000 F par mois. Ils sont répartis dans 12 chambres, disposent de 6 salons et 6 cuisines dans ce bâtiment R3. Le directeur se réjouit de cet effort de modernisation, alors que pour les spécialistes de la protection des droits de l’enfant, c’est insuffisant. ‘’Tous les enseignants sont des hommes et sont très jeunes’’, nous souffle un membre du comité départemental de protection des droits de l’enfant de Pikine.
‘’On respectera toute mesure que l’Etat voudra bien prendre’’
Mais, souligne Makhtar Sylla : ‘’Nous exhortons toujours notre personnel à faire preuve de patience et de douceur envers les élèves. Ils sont dans l’obligation de cerner la psychologie de chaque enfant, de détecter si l’enfant a faim ou a peur de son maître. Si c’est le cas, ils doivent impérativement rassurer l’enfant….’’ L’homme, qui exprime une volonté d’être un serviteur modèle, nage aujourd’hui dans un climat de suspicions. Au sein de l’institut, différents sentiments s’entremêlent. Le regard des enfants qui sont rencontrés dans le hall est révélateur. Certains semblent perturbés, d’autres insouciants continuent à s’amuser. Les cours continuent à être dispensés. Seulement, le directeur de l’institut dit se soumettre à la décision des autorités en charge de statuer sur leur sort. Cette mort subite est pour lui le signe d’un nouveau départ.
‘’On respectera toute mesure que l’Etat voudra bien prendre. Mais s’il décide de fermer l’école, nous nous réjouirons d’avoir rempli un devoir civique, en matérialisant cette volonté des autorités étatiques de moderniser les daara. Mais s’il offre une occasion de continuer notre mission, nous nous évertuerons à plus de rigueur, de sorte qu’une situation aussi déplorable ne se reproduise plus’’. Son discours assez limpide est teinté d’accents de sincérité. Renseignement pris, c’est le même discours qu’il a tenu au préfet, avec les mêmes informations.
Bonne réputation d’un daara moderne
Dans le quartier, l’école jouit d’une bonne réputation, elle reçoit régulièrement la visite de l’inspectrice de la police du quartier. Tous apprécient le fait que les ‘’talibés’’ soient logés dans une R3 qui dispose d’un préau. Un bâtiment bien entretenu par des techniciennes de maison. Il s’y ajoute ‘’qu’on ne les voit jamais mendier. On apprécie sa démarche novatrice, car les apprenants sont très corrects. On ne les voit jamais traîner dans la rue’’. Une œuvre de salubrité publique pour cet ancien d’un ‘’daara’’, qui refuse que son institut porte le label de ‘’daara’’. Son sourire est large quand il nous fait visiter l’institut, qui offre aux apprenants un cadre d’enseignement assez agréable.
‘’J’ai reçu l’autorisation de l’Etat, le 11 mars dernier, même si l’école a ouvert ses portes, depuis 2005.’’ ‘’Ici les enfants ont la possibilité de voir leurs parents le premier dimanche de chaque mois. Tous les parents viennent passer la journée avec leurs enfants. Ils les questionnent, échangent avec eux, et s’ils constatent des failles ou des manquements, ils ont la latitude de nous en faire part. Donc, le lendemain, lundi, est un jour férié. Ils se reposent une semaine durant la Korité et le Gamou, et passent un mois chez leurs parents durant la Tabaski.
Une belle initiative saluée par les acteurs mais qui doit inciter l’Etat à ‘’veiller aux conditions ergonomiques du ‘’daara’. Car tous trouvent inconcevable que l’Etat ne contrôle pas ces instituts, une fois ouvert. Mais pour Fodé Sow, la première mesure à prendre, c’est de se pencher sur les modalités de recrutement, en mettant l’accent sur l’interdiction du châtiment corporel dans le contrat de travail légalisé par la police. Que celui qui s’est engagé sache ce qu’il encourt, en cas de transgression. ‘’Il faut procéder à des engagements écrits et légalisés. Il ne faut pas leur en vouloir, ils sont dans un secteur privé qui n’est pas organisé. C’est à l’Etat de formaliser. Il est dans l’obligation de donner un regard et de sanctionner.’’